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Entretien avec Gnocchi et Palmaro

Les deux intellectuels catholiques italiens évincés de Radio Maria pour avoir osé critiquer François s'expliquent. (14/10/2013)

>>> Cf. Dures critiques catholiques contre le Pape

Contrairement à ce qu'affirment certains, le trouble suscité par des gestes et des propos du Pape ne se limite pas à quelques grincheux franchouillards.
Même s'il reste timide et très minoritaire, le mouvement est plus développé en Italie que chez nous parmi les catholiques, et il n'est pas non plus absent de la sphère anglophone. C'est du moins ce que je perçois.
Le réseau des défenseurs du Pape, bien soutenu par les médias, reste très compact, et largement majoritaire, et s'en écarter fait forcément prendre des risques.
Même si les critiques se trompent, le trouble sincère de beaucoup d'entre eux ne mérite-t-il que du mépris?
Curieux, quand même, que des gens qui n'ont pas levé le petit doigt quand Benoît XVI a été désobéi, puis presque unanimement vilipendé, crient au schisme dès que l'on ose émettre la moindre critique contre son successeur.

     

Entretien avec Gnocchi et Palmaro

http://www.corrispondenzaromana.it
Luciano Capone
Libero, 10/12/2013)
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Alessandro Gnocchi et Mario Palmaro, deux journalistes catholiques, ont rompu l'unanimité médiatique en faveur du Pape François avec un article paru dans Il Foglio, intitulé «Nous n'aimons pas ce pape».
Tous deux ont avancé des critiques dures mais précises contre certaines prises de position et «déchirures» du pape, payant les opinions exprimées d'un limogeage de Radio Maria, station où pendant 10 années ils tenaient des émissions sur la bioéthique et sur l'Evangile.

* * *

- Partons de l'article, qu'a fait et dit le pape qui ne plaît pas à deux journalistes catholiques?

«Il y a deux aspects problématiques: la forme et les contenus. François a assumé un style et un comportement qui conduisent à la dissolution du pontificat dans sa structure formelle, et qui tendent à réduire le pape à l'un des évêques, et non au «doux Christ sur la terre» dont parlait Sainte-Catherine. En termes de contenu, dans les interviewes avec la Civiltà Cattolica et la Repubblica, il n'y a pas seulement des ambiguïtés, mais des erreurs philosophiques et doctrinales objectives. Comme journalistes, nous débattons sur le cas classique d'une non-nouvelle. Ici, il y a deux catholiques baptisés qui écoutent depuis des mois ce que dit le Pape, et qui depuis des mois se sentent mal à l'aise parce que ce qu'ils entendent jure avec les affirmations de la doctrine. A la fin, vu que leur métier est d'écrire et de commenter, ils écrivent et commentent. Ce n'est pas seulement l'une des règles de base de l'information qui le prévoit, mais également le droit canon. La lettre et l'interviewe avec Scalfari, l'interviewe avec la Civiltà Cattolica, ne sont que les derniers exemples les plus frappants. Ils ont fait le tour du monde, ils ont fait crier à la révolution, ils ont laissé médusés des milliers et des milliers de fidèles, donc d'âmes, et personne ne trouve rien à dire? Le nouvelle est au contraire le chœur unanime des hosannas qui va de certains catholiques conservateurs jusqu'à Pannella, Enzo Bianchi et Hans Kung».

- Vous avez critiqué l'interviewe à Eugenio Scalfari. Qu'est-ce qui n'allait pas, l'interviewe, ou l'intervieweur?

«Le choix d'Eugenio Scalfari est singulier et laisse perplexes de nombreux catholiques. En fait, il n'est pas seulement un laïc ou un non-croyant, mais un antagoniste historique du catholicisme. La Repubblica est le quotidien symbole de la culture "radical chic" qui a fait du divorce et de l'avortement les colonnes d'une nouvelle société nihiliste, dans laquelle il n'y a pas de place pour le Christ et les sacrements. Cela aurait été différent de rencontrer Scalfari en privé et de lui parler en vue de son bien. Et dans l'espoir de sa conversion».

- Quant à la critique du Pape à la Civiltà Cattolica, vous dites que les phrases sur l'avortement opposent la doctrine et la miséricorde. Que voulez-vous dire?

«La première forme de charité est la vérité. Le bon médecin ne cache pas au patient la gravité de sa pathologie, afin de le soigner. Dieu veut inlassablement nous pardonner, mais exige notre repentir, que nous reconnaissions que nous avons péché. Une Eglise qui se tairait sur la morale pour ne pas entrer en conflit avec le monde, manquerait de charité envers les pécheurs. Il est facile de dire que trois cents morts à Lampedusa sont «une honte». Plus difficile de dire que trois cents enfants avortés chaque jour légalement en Italie sont une honte encore plus grande».

- Pour cela et pour d'autres choses, vous vous en êtes pris aux «normalistes», les catholiques qui, à la différence de la presse laïque, n'auraient pas vu la révolution par rapport au Magistère de l'Eglise. Mais qu'est-ce qui a changé, en réalité?

«Nous nous en sommes pris à ceux que nous avons appelé normalistes pour une raison très simple. Ces messieurs, pendant six mois, ils ne font que mettre des pièces aux bévues du Pape François. Sur la conscience, sur l'éthique et la bioéthique, sur la vie religieuse. Si l'on met de côté la bonne foi et les bonnes intentions, ils produisent un dommage énorme parce que, en disant que tout est normal et qu'il n'y a rien de nouveau, en injectant des doses de catholicisme là où il n'y en pas, ils finissent par faire passer pour catholiques les affirmations nue et crues du pape. Ils se leurrent, les pauvres, d'être médiatiquement plus forts que Bergoglio et pensent que leurs corrections arrivent au destinataire. Mais ils n'ont rien compris de ce qu'est la machine médiatique contemporaine. Ce n'est pas eux qui corrigent le pape, c'est le pape qui les phagocytent».

- Mais si le pape fait des déclarations non-catholiques, pourquoi les normalistes font-ils semblant de ne rien voir?

«Parce qu'au cœur du problème, il y a rien moins que le pape. A juste titre, les catholiques voient en lui le guide de l'Église dans l'histoire et ne voudraient pas avoir à critiquer. Pour être clair: si l'interviewe à la Civiltà Cattolica avait été le fait d'un théologien ou même d'un évêque, elle aurait été contestée dans de nombreuses parties qui ne vont pas».

- Mais, à part l’interviewe, vous avez aussi critiqué l'interprétation que donne le pape du Concile Vatican II. Ne s'agit-il pas d'une critique trop forte?

«Nous nous en tenons aux faits: avec Vatican II, l'Église déclare ouvertement vouloir s'ouvrir au monde et répondre à ses attentes. Un retournement qui, ces dernières décennies, a produit ses résultats: les séminaires se sont vidés, dans beaucoup d'entre eux on enseigne des doctrines non-catholiques, et en chaire, on laisse s'exprimer les non-croyants, comme le voulait Carlo Maria Martini».

- Vous imputez également à Bergoglio reconnu le feeling excessif avec les médias. Ne croyez-vous pas au contraire qu'il renforce l'image de l'Eglise?

«Voici la réponse de McLuhan (cf. benoit-et-moi.fr/2013-II/articles/le-medium-est-le-message): les médias créent une fiction qui devient un fac-similé du Corps mystique, et lui, il l'appelle "une manifestation assourdissante de l'Antéchrist" ».

- Mais hier, le pape dans son homélie, il a insisté sur le fait que le diable est une réalité et pas une métaphore, en disant que "Celui qui n'est pas avec Jésus est contre Jésus, il n'y a pas d'attitudes à moitié". N'est-ce pas en contradiction avec votre image de "Pape progressiste"?

«Ces derniers mois, le pape François dit beaucoup de choses catholiques. Mais c'est normal: il est le pape. Mais dans notre article, nous avons comparé ce qu'il dit de la conscience et ce que Jean-Paul II a écrit en 1993 dans l'encyclique "Veritatis Splendor". Eh bien, l'un a dit exactement le contraire de l'autre, et nous pensons qu'aucune contorsion de l'esprit le plus tordu ne peut dire qu'au fond, c'est la même chose. Jusqu'à présent, personne n'est entré dans la substance de ce que nous avons écrit. Personne n'a trouvé à redire sur une seule ligne. Un gentil monsieur nous a même appelés publiquement à nous confesser. Mais le sait-il, ce monsieur, qu'il nous est arrivé de dire ces choses en confession et de nous entendre dire par le confesseur qu'il pense pareil que nous, mais qu'il ne peut le dire à personne? Et il devrait savoir, ce monsieur, combien de lettres et d'appels téléphoniques nous avons reçus de catholiques qui n'en peuvent plus, et nous remercient pour ce que nous avons écrit».

- Ces considérations vous ont coûté le limogeage par Radio Maria. C'était une décision qui aurait pu être évitée, ou vous en avez tenu compte avant de vous exposer?

«Nous y avons pensé, mais il était impossible de se taire davantage. Nous étions amis avec le père Livio Fanzaga avant cet incident et nous le sommes encore maintenant. Il est le directeur de la station de radio et c'est lui qui définit la ligne éditoriale. Si cette ligne prévoit que le pape ne peut pas être critiqué, même quand il parle de football, évidemment, deux comme nous ne sont pas à leur place. Mais nous nous permettons aussi de dire que cette ligne, justement, nous ne la partageons pas. On ne peut pas étouffer l'intelligence et on ne peut pas censurer a priori des questions légitimes. Ce n'est pas bon pour le monde catholique et ce n'est pas bon pour l'Eglise. S'il y a quelque chose qui laisse un goût amer dans la bouche, c'est qu’après dix ans de collaboration, l'appel est arrivé deux heures après la publication de l'article, sans même un moment pour réfléchir à ce sujet. Dix années au cours desquelles nous avons eu la liberté de dire tout ce que nous pensions approprié, même sur les sujets les plus brûlants. Voilà, cette immédiateté fait mal».

- Vous pensez que votre expulsion a été décidée ailleurs?

«Il faut le demander au Père Livio, qui est un bon prêtre et une bonne personne.»

- Mais on peut être dans une radio catholique et critiquer le Pape?

«Bien sûr que oui, à condition que les critiques ne soient pas contraires à la doctrine de l'Eglise. Si Paul de Tarse n'avait pas critiqué le premier pape, aujourd'hui nous, catholiques, nous serions tous circoncis, parce que saint Pierre avait voulu établir cette norme. Si Sainte Catherine n'avait pas réprimandé les Papes, aujourd'hui Avignon serait encore le siège de la papauté ».

- Le Pape a dialogué avec beaucoup de gens, y compris avec différents athées militants, vous attendez-vous à un appel téléphonique? Qu'il veuille écouter les raisons de deux catholiques intransigeants et que peut-être il intervienne pour vous redonner l'émission de radio?

«Nous pensons qu'il est beaucoup mieux que le pape se consacre à son ministère: confirmer son troupeau dans la vraie foi, faire en sorte que les catholiques connaissent à nouveau le catéchisme et la doctrine, et faire en sorte que ceux qui sont éloignés se convertissent».