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Le Pape qui démythifie les Papes

Massimo Faggioli, thélogien italo-américain libéral répond aux questions de Il Foglio. (17/10/2013)

Poursuivant son rôle de "modérateur" des débats sur le Pontificat de François (cf. Dures critiques catholiques contre le Pape et L'avertissement de Massimo Introvigne ) , Il Foglio a interrogé cette fois Massimo Fagioli, un théologien, historien du christianisme italo-américain, de sensibilité libérale (au point de collaborer au site Huffington Post où il tient un blog). C'est lui, en particulier, qui a supervisé la traduction en langue anglaise de l'interviewe du Pape à la Civiltà Cattolica.

Selon Massimo Faggioli, il n'y a plus personne pour prétendre qu'avec François, «il n'y a rien de changé par rapport à Ratzinger».
Lui voit en François le Pape qui va enfin mettre en oeuvre le Concile,- comprendre, dans son "esprit", même si l'auteur de l'article l'exclut, c'est ce que les libéraux comme lui attendent - (exit, donc, les efforts de Benoît XVI pour réaliser la juste herméneutique, qui était encore son dernier message, le 15 février, devant les prêtres de Rome). Et il pense que ses plus gros problèmes, il risque de les avoir avec l'Eglise américaine, dont il est culturellement trop éloigné (sans parler du prétexte, assez comique, de son refus du politiquement correct!).

     

Le Pape qui démythifie les Papes

http://www.ilfoglio.it/soloqui/20232
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«Le pape est en train de démythifier la papauté. Fait évident, question centrale chez Jorge Mario Bergoglio, mais ce n'est pas de son propre fait».
Massimo Faggioli, historien du christianisme à l'Université St. Thomas à Minneapolis/St Paul, selon sa propre définition, «catholique de l'école Vatican II», dit à Il Foglio que François ne fait rien d'autre que la mise en œuvre du Concile.
Bien sûr, «il est très malin (furbo), il ne dit pas que ses gestes dérivent de là, mais c'est très clair».
Il ne fait pas de choses sensationnelles, comme Paul VI mettant aux enchères la triple couronne symbolisant depuis des siècles l'autorité du père des princes et des rois, du recteur du monde et du vicaire du Christ sur terre. Il n'ordonne pas aux monsignori et autres serviteurs de s'abstenir d'utiliser des expressions baroques telles que «de ses augustes lèvres» pour indiquer que le Pape a parlé. «Ces choses avaient déjà commencé il y a longtemps, elles sont en oeuvre depuis cinquante ans», ajoute notre correspondant. Ce ne sont pas des nouveautés.
Le désarroi montré par les perplexes et les nostalgiques du passé, le cas échéant, vient du fait que «la démythification est réalisée par quelqu'un qui n'a pas les titres pour le faire: un jésuite, un latino-américain, quelqu'un qui ne possède pas la formation académique de ses prédécesseurs.
Bergoglio est considéré comme un "parvenu" (en français dans le texte) dans l'histoire de l'Église. En somme, c'est quelqu'un qui dérange. La démythification aurait été plus acceptable si elle avait été le fait d'un Angelo Scola», par exemple.
En tout cas, «jusqu'à il y a quelques semaines, dans le spectre des jugements sur le Pape François, il y avait deux extrêmes: d'une part, ceux qui voyaient en Bergoglio un pape post-catholique, de l'autre, ceux qui disaient que rien n'avait changé par rapport à Ratzinger. A présent, les seconds ont disparu, on ne les entend plus, on ne les voit plus. Car il est clair que le jésuite pris presque au bout du monde a apporté de la nouveauté».

Avant tout, il provient d'un contexte culturel et géographique radicalement différent de celui dans lequel ont été formés ses prédécesseurs: «Pour le catholicisme européen et nord-américain, le dernier demi-siècle a été interprété uniquement à la lumière de la sécularisation, du déclin, de la perte d'influence dans la sphère publique. Et, en conséquence, le Concile a été indiqué comme la cause de tout cela. Bergoglio, au contraire, a une perception différente, sa façon de voir l'Église n'est pas la même que celle de Ratzinger». La réalité catholique latino-américaine était presque un corps séparé par rapport à l'Occident, un monde différent qui avait peu en commun avec l'Europe en proie à l'avancée laïciste.

«L'aspect intéressant, chez François, c'est qu'on ne sait pas encore bien quel genre de culture théologique il exprime», commente Faggioli: «Pour l'instant, nous pouvons dire que c'est une théologie spirituelle, ce qui signifie que sa vision de l'Église est essentiellement spirituelle et pastorale, et donc pas dogmatique, historique ou sociologique».
L'historien du christianisme nie toutefois que Bergoglio soit, selon les mots du supérieur de la Fraternité Saint-Pie X, Bernard Fellay, un «relativiste absolu». Pas du tout: «Nous essayons d'appliquer au Pape actuel une catégorie de matrice ratzingérienne. François, beaucoup plus simplement, représente bien les dilemmes des catholiques aujourd'hui. Les traditionalistes disent que c'est un pape qui déborde, qui veut parler davantage au monde, en dehors de l'Église, que dans l'Église. Je ne suis pas d'accord».

Le pape soldat d'Ignace, dévot de Pedro Arrupe, «met en lumière que dans la vie de tous les jours du catholique, il y a des dilemmes et des paradoxes. C'est-à-dire qu'il y a certaines choses auxquelles on ne peut pas appliquer un théorème disant que deux et deux font quatre. Et cela implique des compromis, des médiations. Ce n'est pas du relativisme. C'est de la sincérité, de l'honnêteté (plus haut, il disait qu'il était "furbo"...). Bergoglio est un pape qui ne prétend pas que les choses sont simples, comme ce fut souvent le cas pour ses prédécesseurs» (!!!).

En somme, la sienne est une approche pastorale ancrée dans le Concile. François, cependant, ne veut en exalter ni l'esprit ni les actes. Il ne se pose même pas le problème: «Il est devenu prêtre en 1969 - dit Faggioli - et pour lui, Vatican II n'est plus un sujet de débat. C'est un fait. Il ne met pas en doute que son Église doit être celle sortie des assises œcuméniques souhaitées par Roncalli (sans doute la raison pour laquelle il le canonise si promptement, sans respecter les règles habituelles). Bergoglio ne pense pas le Concile comme un sujet de discussion». On le voit aussi à partir de la liturgie: «Le Pape sur ce front, a usé de prudence, parlant d'herméneutique de la continuité et de la discontinuité. Mais il est clair que pour lui, la liturgie de l'Église ne peut être que celle conciliaire, malgré les tentatives de la dernière décennie visant à inverser la route». Et c'est un point de rupture avec ses prédécesseurs: «Wojtyla et Ratzinger étaient si liés au Concile que leur Magistère en était presque une suite».

Si à Saint-Pierre les foules traitent le pape argentin de la même manière qu'une rock star, lui lançant des chapelets, des poupées, des bannières et des t-shirts de toutes sortes, à des milliers de km de là, il y en a qui regardent le nouveau cours avec méfiance.
«L'Eglise américaine est le point critique de François», souligne Faggioli - qui a supervisé la traduction de l'interview papale à la Civiltà Cattolica pour la revue America. «Le fait est que l'Eglise des Etats-Unis est une Église polarisée comme aucune autre au monde; en outre, Bergoglio a une connaissance de la réalité anglo-saxonne assez pauvre. Il suffit de regarder comment il parle de la théologie de la femme, il est clair que ce n'est pas son langage». Et ces aspects ne sont pas passés sous silence, loin de là. «Pour François, ce sera un problème, parce que souvent les problèmes de l'Église américaine se répercutent ensuite dans toute l'Église». Et le fait que «le politiquement correct ne soit pas son langage» (1), ne l'aide pas.

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(1) Il me semble à moi que depuis sept mois, François n'a rien prononcé qui s'écarte du politiquement correct. Et c'est pourquoi il est si apprécié par les médias.