Saint Bruno
Aujourd'hui, c'est la fête liturgique de Saint Bruno. Occasion de rappeler, encore et encore, l'homélie désormais prophétique prononcée par Benoît XVI le 9 octobre 2011, à la Chartreuse de San Stefano di Serra San Bruno, en Calabre (6/10/2013)
>>> Image ci-contre: Eustache Lesueur - Saint Bruno aux pieds du pape Urbain II
>>> Voir aussi benoit-et-moi.fr/2013-I
Le rappel et les soulignements sont de Marie-Anne, qui m'écrit:
<< Puisse notre cher émérite jouer encore longtemps du piano, et prier pour le ministère de son successeur qui en a bien besoin. Le succès médiatique ne serait qu'une façade s'il ne s'avance pas au large en suivant les profondeurs de Dieu là où il ne pourra plus plaire à tout le monde, loin de là.
Je peux vous signaler aussi que la phrase prononcée à Fribourg, puis reprise par le nouveau pape, sur la "démondanisation", est bien présente dans la Règle de vie écrite par st Benoît : " Se faire étranger à la manière du siècle." >>
Benoît XVI en Calabre
« Saisi par l'Un », par Dieu, « Unus potens per omnia » comme nous l'avons chanté dans l'hymne des Vêpres. Le ministère des pasteurs tire des communautés contemplatives une nourriture spirituelle qui vient de Dieu.
« Fugitiva relinquere et aeterna captare »: abandonner les réalités fugitives et tenter de saisir l'éternel. Dans cette expression de la lettre que votre fondateur adressa à Rodolphe, prévôt de Reims, se trouve le cœur de votre spiritualité (cf. Lettre à Rodolphe, 13): le désir de vivre en grand ecommunion avec Dieu, abandonnant tout le reste, tout ce qui empêche cette communion, se laisser saisir par l'immense amour de Dieu et ne vivre que de cet amour.
Chers frères, vous avez trouvé le trésor caché, la perle de grande valeur (cf. Mt 13, 44-46) ; et vous avez répondu à l'appel de Jésus d'une façon radicale:
«Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes et donne le aux pauvres, et tu auras un trésor dans le ciel: et viens! Suis-moi »( Mt 19:21).
Chaque monastère - masculin ou féminin - est une oasis où, par la prière et la méditation, on creuse sans cesse le puits profond où puiser «l'eau vive» pour notre soif la plus profonde.
Mais la Chartreuse est une oasis spéciale, où le silence et la solitude sont gardés avec un soin particulier, selon la forme de vie inaugurée par Saint-Bruno qui est restée inchangée au cours des siècles.
«J'habite dans le désert avec des frères», résume tout ce qu’écrivait votre fondateur (Lettre à Rodolphe, 4). La visite du Successeur de Pierre dans cette Chartreuse historique entend confirmer dans sa mission non seulement vous qui vivez ici, mais l'Ordre tout entier, car cette mission est plus que jamais d'actualité, pleine de sens pour le monde d'aujourd'hui.
Le progrès technique, en particulier dans le domaine des transports et de la communication, a rendu la vie humaine plus confortable, mais aussi plus agitée, parfois trépidante. Les villes sont presque toujours bruyantes : rarement on y est dans le silence, parce que le bruit de fond est toujours présent, dans certaines zones y compris la nuit.
Et dans les dernières décennies, le développement des media a développé et amplifié un phénomène qui se profilait déjà dans les années soixante : à savoir la virtualité, qui risque de dominer la réalité. De plus en plus, même sans s'en rendre compte, les gens sont plongés dans le monde virtuel, en raison des messages audiovisuels qui accompagnent leur vie, du matin au soir. Les plus jeunes qui sont déjà nés dans cette condition, semblent vouloir remplir de musique et d'images chaque instant vide, comme par peur de sentir, justement, ce vide. C'est une tendance qui a toujours existé, surtout parmi les jeunes et dans les contextes urbains plus développés, mais aujourd'hui elle a atteint un niveau tel qu'on parle d’une mutation anthropologique. Certaines personnes ne sont plus capables de rester longtemps dans le silence et la solitude.
J'ai voulu mentionner cette condition socio-culturelle, car elle souligne le charisme spécifique de la Chartreuse, comme un don précieux pour l'Église et le monde, un don qui contient un message profond pour notre vie et pour l'humanité toute entière.
Je résumerais ainsi : en se retirant dans le silence et la solitude, l'homme, pour ainsi dire, s'« expose » au réel dans sa nudité, il s'expose à ce « vide » apparent que j'ai mentionné plus haut, pour expérimenter, bien au contraire, la Plénitude, la Présence de Dieu, sa Réalité la plus réelle qui soit, qui est au-delà des dimensions sensibles. C'est une présence perceptible dans chaque créature : dans l'air que nous respirons, dans la lumière que nous voyons et qui nous réchauffe, dans l'herbe, dans les pierres ...
Dieu, Createur de toute chose : Il traverse toute chose, mais Il est au-delà de tout, et justement pour cela, il est le fondement de tout. Le moine, en laissant tout, il court le «risque » de s'exposer à la solitude et au silence pour ne rien vivre d'autre que l'essentiel, et justement en vivant cet essentiel, il trouve aussi une profonde communion avec ses frères, avec tout homme.
Certains pourraient penser qu'il suffit de venir ici pour faire ce « saut ». Mais ce n'est pas le cas. Cette vocation, comme toute vocation, trouve une réponse dans un chemin, dans la recherche de toute une vie. Il ne suffit pas de se retirer dans un endroit comme celui-ci pour apprendre à se tenir en présence de Dieu. Comme dans le mariage, il ne suffit pas de célébrer le Sacrement pour devenir réellement une seule chose, mais il faut laisser la grâce de Dieu agir et parcourir ensemble le quotidien de la vie conjugale ; de même, devenir un moine réclame le temps, l'exercice, la patience, « dans une persévérante vigilance divine - comme l'affirmait Saint Bruno - attendant le retour du Seigneur pour lui ouvrir immédiatement la porte » ( Lettre à Rodolphe , 4).
En cela réside la beauté de toute vocation dans l'Église : donner à Dieu le temps d'œuvrer avec son Esprit, et à sa propre humanité de se former, de grandir selon la mesure de la maturité du Christ, dans cet état de vie particulier. Dans le Christ, il y a tout, il y a la plénitude; nous avons besoin du temps pour faire nôtre ne serait-ce qu’une des dimensions de son mystère.
On pourrait dire que c'est un chemin de transformation où se réalise et se manifeste le mystère de la résurrection du Christ en nous, un mystère que nous a rappelé ce soir la Parole de Dieu dans la lecture biblique tirée de la Lettre aux Romains : “L'Esprit Saint , qui a ressuscité Jésus d'entre les morts, et qui donnera vie à nos corps mortels” (cf. Rm 8, 11) est Celui qui accomplit aussi notre configuration au Christ, selon la vocation de chacun, un chemin qui serpente des fonds baptismaux jusqu'à la mort, passage vers la maison du Père.
Parfois, aux yeux du monde, il semble impossible de rester toute une vie dans un monastère, mais en réalité, toute une vie est à peine suffisante pour entrer dans cette union avec Dieu, dans cette réalité essentielle et profonde qui est Jésus-Christ.
C'est pourquoi je suis venu ici, chers frères qui formez la Communauté des Chartreux de Serra San Bruno! C’est pour vous dire que l'Église a besoin de vous, et que vous avez besoin de l'Église. Votre place n'est pas marginale : aucune vocation n'est marginale dans le Peuple de Dieu : nous sommes un seul corps, dans lequel chaque membre est important et a la même dignité, étant inséparable du tout. Vous aussi, qui vivez dans un isolement volontaire, vous êtes en réalité dans le cœur de l'Église, et vous faites couler dans ses veines le sang de la pure contemplation de l'amour de Dieu.
Stat Crux dum volvitur Orbis - dit votre devise. La Croix du Christ est le point fixe, au milieu des mutations et des bouleversements du monde. La vie dans une Chartreuse, fait partie de la Croix, qui est celle de Dieu, de son amour fidèle.
Restant fermement unis au Christ, comme des sarments à la vigne, vous aussi, Frères Chartreux, vous êtes associé à son mystère du salut, comme la Vierge Marie, qui près de la Croix – stabat - s’est unie à son Fils dans le même sacrifice d'amour.
Ainsi, comme Marie et avec elle, vous êtes profondément insérés dans le mystère de l'Église, sacrement d'union des hommes avec Dieu et entre eux. En cela, vous êtes aussi singulièrement proches de mon ministère.
Que veille donc sur nous la Bienheureuse Vierge Marie, Mère de l'Église et que du Ciel votre Père Saint Bruno bénisse toujours votre communauté.
Amen.