Saint François d'Assise, un géant de la sainteté
Rappel de la catéchèse de Benoît XVI, le 27 janvier 2010 (4/10/2013)
Image ci-dessous: Fra Angelico, le rêve d'Innocent III.
A côté d'une partie biographique passionnante, de nombreux thèmes d'actualité ont été abordés: délabrement de l'Eglise - hier comme aujourd'hui - éloge de l'obéissance et nécessité de la communion avec le successeur de Pierre - pas d'opposition entre le "charisme de gouvernement" et le "charisme de prophétie" (c'est-à-dire, en gros, entre le Pape et Mère Teresa) - refus de la récupération de Saint François, par l'opposition entre un prétendu personnage historique et celui de la tradition (cf Jésus de Nazareth), dignité du sacerdoce, dialogue avec l'islam, respect de la création, et pour finir, la joie que communique la foi, dont le Saint-Père lui-même est un témoignage vivant - et vibrant.
Ma traduction d'alors.
Chers frères et sœurs,
Dans une catéchèse récente, j'ai déjà expliqué le rôle providentiel que l'Ordre des Frères Mineurs et l'Ordre des Prêcheurs, fondé respectivement par Saint François d'Assise et saint Dominique de Guzman, ont joué dans le renouveau de l'Eglise de leur temps.
Aujourd'hui, je voudrais présenter la figure de François, un authentique géant de la sainteté, qui continue de fasciner de nombreuses personnes de tous âges et de toutes religions.
"Un soleil naquit au monde".
Avec ces mots, dans la Divine Comédie (Le paradis, Chant XI), l'immense poète italien Dante Alighieri fait allusion à la naissance de François, qui eut lieu fin 1181 ou début 1182, à Assise.
Appartenant à une famille aisée - son père était négociant en drap -, François passa une adolescence et une jeunesse insouciante cultivant les idéaux chevaleresques de l'époque. A vingt ans il prit part à une campagne militaire, et fut fait prisonnier. Tombé malade, il fut libéré. Après son retour à Assise, il commença un lent processus de conversion spirituelle, qui le conduisit graduellement à à abandonner le style de vie qu'il avait pratiqué jusque là. C'est à cette période que remontent l'épisode fameux de la rencontre avec le lépreux, à qui François, descendu de cheval, donna le baiser de la paix, et le message du Crucifié dans l'église de Saint-Damien. Par trois fois, le Christ sur la Croix s'anima, et lui dit: «Va, François, et répare mon église en ruines."
Ce simple événement de la Parole de Dieu entendue dans l'église de Saint-Damen cache un symbolisme profond. Dans l'immédiat, Saint-François est appelé à réparer cette petite église, mais l'état délabré de ce bâtiment est un symbole de la situation dramatique et alarmante de l'Eglise à l'époque, avec une foi peu profonds qui ne forme ni ne transforme la vie, avec un clergé peu zélé, avec le refroidissement de l'amour; une destruction intérieure de l'église qui implique également une décomposition de l'unité, avec l'apparition de mouvements hérétiques.
Toutefois, dans cette église en ruine, au centre, il y a le Crucifié, et il parle: il en appelle au renouveau, il appelle François au travail manuel pour réparer concrètement la petite église de Saint-Damien, symbole plus profond de l'appel à renouveler l'Eglise du Christ, avec la radicalité de sa foi et l'enthousiasme de son amour pour le Christ.
Cet événement, survenu probablement en 1205, évoque un autre incident similaire advenu en 1207: le rêve du pape Innocent III. Il voit en songe que la Basilique de Saint Jean de Latran, l'église mère de toutes les églises, est en train de s'écrouler et un religieux petit et insignifiant soutient l'église avec son dos afin qu'elle ne tombe pas.
Il est intéressant de noter, premièrement, que ce n'est pas le pape qui apporte son aide afin que l'Eglise ne s'effondre pas, mais un religieux petit et insignifiant, en qui le pape reconnaît François qui lui a rendu visite. Innocent III était un pape puissant, de grande culture théologique et de grand pouvoir politique, toutefois, ce n'est pas lui qui renouvelle l'Eglise, mais le petit et insignifiant religieux: c'est Saint François, appelé par Dieu. D'autre part, toutefois, il est important de noter que saint François ne renouvelle pas l'Eglise sans ou contre le pape, mais seulement en communion avec lui. Les deux réalités vont ensemble: le Successeur de Pierre, les évêques, l'Église fondée sur la succession des Apôtres et le charisme nouveau que l'Esprit Saint crée à ce moment pour renouveler l'Eglise. En en même temps, le vrai renouveau grandit.
Revenons à la vie de saint François. Puisque son père Bernardone lui reprochait sa trop grande générosité envers les pauvres, François, devant l'évêque d'Assise, en un geste symbolique, se dépouilla de ses vêtements, entendant ainsi renoncer à l'héritage paternel: comme au moment de la création, François n'a rien, mais seulement la vie que Dieu lui a donnée, aux mains de qui il se confie.
Puis il vécut en ermite, jusqu'à ce que, en 1208, un autre événement important ait lieu dans l'itinéraire de sa conversion. Ecoutant un passage de l'Evangile de Matthieu - le discours de Jésus aux apôtres envoyés en mission -, François se sentit appelé à vivre dans la pauvreté et à se consacrer à la prédication. D'autres compagnons se joignirent à lui, et en 1209 il se rendit à Rome pour présenter au Pape Innocent III le projet d'une nouvelle forme de vie chrétienne. Il reçut un accueil paternel de ce grand Pontife, qui, éclairé par le Seigneur, eut l'intuition de l'origine divine du mouvement suscité par François. Le Poverello d'Assise avait compris que chaque charisme donné par l'Esprit Saint doit se placer au service du Corps du Christ, qui est l'Eglise; il agit par conséquent toujours en pleine communion avec les autorités ecclésiastiques. Dans la vie des saints, il n'y a pas de conflit entre le charisme prophétique et le charisme de gouvernement et, si quelque tension apparaît, ils savent attendre patiemment les temps de l'Esprit Saint.
En fait, certains historiens du XIXe siècle, et même du siècle dernier, ont cherché à créer, derrière le François de la tradition, un soi-disant François historique, comme on cherche à créer derrière le Jésus des Evangiles, un soi-disant Jésus historique. Ce François historique n'aurait pas été un homme d'Église, mais un homme lié uniquement au Christ, un homme qui voulait créer un renouveau du peuple de Dieu, sans formes canoniques et sans hiérarchie. La vérité est que saint François a eu une relation totalemnt immédiate avec Jésus et la Parole de Dieu, qu'il voulait suivre sine glossa, telle quelle, dans toute sa radicalité et sa vérité. C'est vrai aussi qu'au début, il n'avait pas l'intention de créer un ordre avec les formes canoniques nécessaires, mais simplement, avec la Parole de Dieu et la présence du Seigneur, il voulait renouveler le peuple de Dieu, l'appeler de nouveau à l'écoute de la Parole et de l'obéissance verbale au Christ. Il savait aussi que le Christ n'a jamais été "à moi", mais toujours "à nous", que le Christ, je ne peux pas l'avoir "moi" et le reconstruire "moi" contre l'Eglise, contre sa volonté et son enseignement, mais ce n'est que dans la communion de l'Eglise construite sur la succession des Apôtres que se renouvelle aussi l'obéissance à la Parole de Dieu
C'est vrai aussi qu'il n'avait pas l'intention de créer un ordre nouveau, mais seulement de renouveler le peuple de Dieu pour le Seigneur qui vient. Mais il comprit avec douleur et tristesse que tout doit avoir son ordre, que le droit de l'Église aussi est nécessaire pour donner forme au renouveau et de cette façon, réellement, il s'inséra totalement, avec le coeur, dans la communion de l'Eglise, avec le Pape et les Evêques. Il a toujours su que le centre de l'Église est l'Eucharistie, où le corps du Christ et son sang deviennent présents. À travers le sacerdoce, l'Eucharistie est l'Église. Là où le Sacerdoce et le Christ et la communion de l'Eglise vont ensemble, là seulement habite vraiment la parole de Dieu. Le véritable François historique est le François de l'Eglise, et c'est de cette façon qu'il parle aussi aux non-croyants, et aux croyants d'autres confessions et religions.
François et ses frères, de plus en plus nombreux, s'installèrent à la Portioncule, ou église de Sainte Marie des Anges, le lieu sacré par excellence de la spiritualité franciscaine. Claire, jeune femme d'Assise, issue de famille noble, se mit aussi à l'école de saint François. C'est l'origine du second Ordre Franciscain, celui des Clarisses, une autre expérience destinée à produire des fruits insignes de sainteté dans l'Église.
Le successeur d'Innocent III, Honorius III, lui aussi, avec sa bulle Cum dilecti de 1218 soutint le développement singulier des premiers Frères mineurs, qui ouvrirent leurs missions dans différents pays d'Europe, et même au Maroc. En 1219, François obtint l'autorisation de se rendre en Egypte, pour parler avec le sultan musulman Melek el-Kamel afin de prêcher là aussi l'évangile de Jésus. Je désire insister sur cet épisode dans la vie de saint François, qui a une grande actualité. À une époque où était en cours un grand affrontement entre le christianisme et l'islam, François, volontairement armé de sa seule foi et de sa douceur personnelle, parcourut efficacement la voie du dialogue. Les chroniques nous parlent d'un accueil bienveillant et amical reçu par le sultan musulman. C'est un modèle dont devraient s'inspirer encore aujourd'hui, les relations entre chrétiens et musulmans pour promouvoir un dialogue dans la vérité, dans le respect mutuel et la compréhension mutuelle (cf. Nostra Aetate, 3).
Il semble qu'ensuite, en 1220, François visita la Terre Sainte, jetant ainsi une semence qui devait porter beaucoup de fruits: ses fils spirituels, en effet, firent des lieux où Jésus a vécu un cadre privilégié de leur mission. Je pense aujourd'hui avec gratitude aux grands mérites de la Custodie franciscaine de Terre Sainte.
De retour en Italie, François remit le gouvernement de l'Ordre à son vicaire, Fra Pietro Cattani, tandis que le Pape confiait à la protection du cardinal Ugolino, le futur pape Grégoire IX, l'Ordre, qui réunissait de plus en plus d'adhérents. De son côté, le fondateur, se consacrant entièrement à la prédication qu'il accomplissait avec beaucoup de succès, écrivit une Règle par la suite approuvée par le pape
En 1224, dans l'ermitage de La Verna, Francis vit le crucifix dans la forme d'un séraphin et dans la rencontre avec le séraphin crucifié, il reçut les stigmates, il devint un avec le Christ crucifié: un don qui exprime sa profonde identification avec le Seigneur.
La mort de François - son transitus - eut lieu dans la soirée du 3 Octobre 1226, à la Portioncule. Après avoir béni ses enfants spirituels, il mourut, étendu sur le sol nu. Deux ans plus tard, le pape Grégoire IX l'inscrivit parmi les saints. Peu de temps après, une grande basilique en son honneur fut érigée à Assise, aujourd'hui destination de nombreux pèlerins, qui peuvent vénérer le tombeau du saint et apprécier la vue des fresques de Giotto, le peintre qui a illustré magnifiquement la vie de François.
On a dit que François est un alter Christus, c'était vraiment une icône vivante du Christ. Il était aussi appelé «le frère de Jésus». En fait, c'était son idéal: être comme Jésus, contempler le Christ de l'Evangile, l'aimer intensément, en imiter les vertus. En particulier, il a voulu donner une valeur fondamentale à la pauvreté intérieure et extérieure, l'enseignant également à ses enfants spirituels. La première béatitude du Sermon sur la Montagne - Heureux les pauvres en esprit car à eux appartient le royaume des cieux (Mt 5:3) - a trouvé une réalisation lumineuse dans la vie et dans les paroles de saint François.
Vraiment, chers amis, les Saints sont les meilleurs interprètes de la Bible: incarnant dans leur vie la Parole de Dieu, ils la rendre plus attrayante que jamais, de sorte qu'elle parle réellement avec nous. Le témoignage de François, qui a aimé la pauvreté pour suivre le Christ avec un dévouement et une liberté totale, continue à être pour nous aussi une invitation à cultiver la pauvreté intérieure pour grandir dans la confiance en Dieu, y joignant aussi un style de vie sobre et un détachement des biens matériels.
Chez François, l'amour pour le Christ s'exprime de manière particulière dans l'adoration du Très Saint Sacrement de l'Eucharistie. Dans les "Sources Franciscaines", on lit des expressions poignantes comme ici: "Toute l'humanité est dans la crainte, l'univers tout entier tremble et le ciel exulte quand sur l'autel, entre les mains du prêtre, il y a le Christ, le Fils du Dieu vivant. O faveur splendide! O humble sublimité, que le Seigneur de l'univers, Dieu et Fils de Dieu, s'humilie ainsi en se cachant pour notre salut, dans la forme modeste du pain »(François d'Assise, Écrits).
En cette année sacerdotale, je tiens à rappeler également une recommandation de François aux prêtres: «Quand ils voudrons célébrer la messe, purs de façon pure, qu'ils fassent avec révérence le vrai sacrifice du Corps et du Sang de notre Seigneur Jésus-Christ» (François d'Assise, Écrits).
François a toujours montré une grande déférence pour les prêtres, et a recommandé de toujours les respecter, même s'ils ne sont pas très dignes personnellement. Il portait comme raison à cela un profond respect pour le fait qu'ils ont reçu le don de consacrer l'Eucharistie. Chers frères dans le sacerdoce, n'oublions jamais cet enseignement: le caractère sacré de l'Eucharistie nous appelle à être purs, à vivre d'une manière compatible avec le mystère que nous célébrons.
De l'amour pour le Christ naît l'amour pour les personnes et aussi pour toutes les créatures de Dieu. C'est une autre caractéristique de la spiritualité de saint François: le sens de la fraternité universelle et l'amour pour la création, qui a inspiré le célèbre Cantique des Créatures. C'est un message très actuel. Comme je l'ai mentionné dans ma récente Encyclique Caritas in veritate, seul peut être durable un développement qui respecte la création et n'endommage pas l'environnement (cf. nn. 48-52), et dans le Message pour la Journée mondiale de la paix de cette année, j'ai souligné que la construction d'une paix solide est liées au respect de la création. François nous rappelle que dans la création se déploient la sagesse et la bonté du Créateur. La nature est comprise par lui comme un langage dans lequel Dieu parle avec nous, où la réalité devient transparente et nous pouvons parler de Dieu et avec Dieu
Chers amis, François était un grand saint et un homme joyeux. Sa simplicité, son humilité, sa foi, son amour pour le Christ, sa bonté envers chaque homme et chaque femme l'ont rendu heureux dans chaque situation. En effet, entre la sainteté et la joie il existe une relation intime et inséparable. Un écrivain français a dit que le monde il y a une seule tristesse: celle de ne pas être saints, c'est-à-dire de pas être proches de Dieu.
Regardant le témoignage de saint François, nous comprenons que c'est le secret du vrai bonheur: devenir saints, proches de Dieu!
Que la Vierge Marie, tendrement aimée par François, nous obtienne ce don. Nous nous confions à elle avec les mots du Poverello d'Assise: «Sainte Vierge Marie, il n'y a personne semblable à toi, née dans le monde parmi les femmes, fille et servante du Roi très haut et du Père céleste, Mère de Notre de notre très saint Seigneur Jésus-Christ , épouse du Saint-Esprit: prie pour nous ... près de ton très saint Fils bien-aimé, Seigneur et Maître »(François d'Assise Écrits, 163).