Une magnifique interviewe de Mgr Xuereb
Il était le second secrétaire de Benoît, il est devenu celui de François, il se confie à Angela Ambrogetti... qui nous fait là un merveilleux et inattendu cadeau de Noël (23/12/2013)
Voir aussi
Angela Ambrogetti
22/12/2013
http://www.korazym.org/
(ma traduction)
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"Regarder les Papes en opposition appauvrit, parce que l'on perd les aspects beaux et enrichissants significatifs de leur personnalité ».
Mgr Alfred Xuareb parle par expérience directe. Pendant presque six ans, il a été dans la secrétairerie particulière de Benoît XVI, et depuis mars de cette année, il est au service du Pape François. Un travail discret et diligent. Et c'est Benoît XVI qui a offert à son successeur le monsignore maltais comme possible secrétaire.
"Je suis resté avec Benoît XVI jusque trois jours après l'élection du Pape François - raconte-t-il - et puis je suis allé au Vatican, à Sainte Marthe. Le jour où je suis parti, je m'en souviens minute par minute, parce que cela a été un moment très particulier pour moi. Pendant près de six ans, j'ai été près d'une personne très spéciale, qui m'a aimé comme un père, qui m'a permis de bénéficier d'une familiarité respectueuse, mais intime. Et puis est arrivé le jour du douloureux détachement".
Don Alfred a une longue expérience au service des pontifes. Il a été "Prélat d'antichambre" dans les dernières années du Pontificat de Jean Paul II, puis dans la secrétairerie particulière de Benoît XVI, et à présent, il est aux côtés de François. Sa discrétion quasi britannique ne l'a peut-être pas fait connaître du grand public, mais au Vatican, son sourire et son affabilité sont très appréciés: "En syntonie avec le style du Pape François et pour expédier avec sérénité la masse considérable de choses à faire qui arrivent à la Secrétairerie particulière, comme d'ailleurs aux autres offices, on privilégie le travail "de bureau", explique-t-il. Le Pape François l'a aussi récemment déléguer à veiller, et à le tenir informé sur le travail de la commission référente sur l'IOR et sur la commission d'étude et d'orientation pour l'organisation de la structure économico-administrative du Saint-Siège.
Né à Victoria en 1958, prêtre depuis 1984, il a étudié d'abord à Gozo, puis à l'Institut de Spiritualité du Teresanium à Rome; il a vécu une année de travail à Münster, en Allemagne. De 1991 à 1995, il a été secrétaire du recteur de l'Université du Latran, il a travaillé ensuite à la Secrétairerie d'Etat et à la Préfecture de la Maison Pontificale.
A quelques mois des évènements qui ont changé l'Histoire, don Alfred nous raconte comment il les a vécus, mais surtout, il ouvre les pages des souvenirs pour raconter Benoît XVI vu de près. Le récit des jours de mars est riche d'intensité.
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"Benoît XVI avait écrit une très belle lettre dont il m'a remis une copie que je conserve comme un précieux trésor, dans laquelle il mentionnait au nouveau Pape quelques-unes de mes qualités. Peut-être que dans sa bonté, il a voulu éviter de faire la liste de mes défauts, assurant au nouveau Pape qu'il m'avait laissé libre, puisque le nouveau Pape n'osait pas lui demander de m'enlever à lui. Du reste, il était peut-être le seul parmi les 115 cardinaux à ne pas avoir de secrétaire. Je me rappelle encore le moment où j'ai fait mes valises. On me disait: dépêche-toi, le Pape a besoin d'un nouveau secrétaire, il ouvre lui-même les lettres, il est seul. Je ne savais rien de ce qui se passait à Sainte Marthe".
- Mais vous, comment avez-vous dit au revoir au Pape émérite?
"Le moment le plus touchant a été celui où je suis entré dans son bureau à Castelgandolfo, pour le saluer personnellement. Et puis il y a eu le dernier repas, et le moment privé a été très intense. Je pleurais, et je lui ai dit comme je pouvais, avec une boule dans la gorge: Saint Père, pour moi, c'est très dur de me détacher de vous, je vous remercie infiniment pour ce que vous m'avez donné durant ces années, pour votre grande paternité. Il s'est levé de son bureau, et tandis que je baisai son anneau, qui désormais n'était plus celui du pêcheur, il a levé sa main droite sur ma tête, et il m'a béni".
Les souvenirs sont nombreux, et surgissent du coeur du prêtre, vifs et intenses.
"Une fois - raconte don Alfred - nous étions à Castelgandolfo, il y a eu une rencontre avec les séminaristes et les prêtres. Un des prêtres avait fait remarquer combien il était difficile de tenir les rythmes de la prière. Parce que la paroisse était grande, et qu'il y avait beaucoup de gens à suivre. Et il disait, presque en s'excusant, qu'il ne réussissait pas toujours à prier le bréviaire, parce qu'il devait s'occuper de beaucoup de fidèles. Peut-être attendait-il presque une approbation. Au contraire, le Pape lui a dit: ton soin pastoral est très louable, mais rappelle-toi que quand tu pries le bréviaire aussi, tu fais un acte pastoral, parce que tu pries pour tes paroissiens. Tout comme il est important d'aider une personne en l'écoutant et en faisant des choses concrètes pour venir à sa rencontre, il est tout aussi important de l'aider et de la soutenir avec ta prière. Cela, les paroissiens l'apprécient beaucoup, s'ils viennent à l'apprendre. Et ainsi, le Pape a encouragé le curé à ne pas négliger la liturgie des heures".
Une paternité que la "famille du Pape" , dont Don Alfred a fait partie, a vécue dans de nombreux gestes quotidiens qui démontrent l'humanité et la simplicité de Benoît XVI. Dans les requêtes de prières, par exemple, Ratzinger a poursuivi certaines habitudes de Jean Paul II, qu'il appelait toujours simplement , le Pape.
"Chaque jour arrivait de nombreuses lettres avec des demandes de prière au pape Benoît. Il arrivait la même chose avec Jean Paul II, et c'était la tâche de don Mietek dont j'avais héritée, celle de les préparer sur un feuillet pour le Pape. Il arrivait à la Secrétairerie particulière de nombreuses requêtes de personnes malades, et le Pape était impressionné par le nombre de familles qui vivaient ce drame, pensant non seulement au malade, mais aussi à toute la famille qui jour et nuit, Noël et Pâques, été comme hiver, devait s'occuper du parent souffrant. Et puis il y avait l'angoisse pour les enfants. Le Pape, qui pourtant a mille pensées, considérait sa prière pour les malades comme un ministère pastoral très important. Je mettais les feuillets dans la chapelle sur son prie-Dieu, et je sais que Benoît les feuilletait et les relisait, les conservant dans la cassette. Il me surprenait quand, quelques jours après, il me demandait si j'avais eu des nouvelles de quelque malade que je connaissais personnellement".
Et puis, le recueillement avant la messe: "La messe commençait à 7 heures, mais il y avait des jours où l'on entendait l'horloge dans la cour de Saint Damase qui sonnait l'heure, mais lui restait en recueillement. Je me rappelle une période en particulier, où il s'arrêtait longuement après l'heure du début, j'avais la nette sensation qu'il priait pour une intention particulière. Peut-être que c'était le moment du trouble intérieur qu'il a eu avant d'arriver à l'héroïque décision de la renonciation. C'était un recueillement très particulier".
- Dans la vie quotidienne, il y avait aussi des moments spéciaux de fête, comme Noël. Vous rappelez-vous le premier Noël avec le Pape Benoît?
"Nous étions autour de l'arbre, avec les bougies allumées, comme cela se fait en Allemagne. Nous chantions des chants de Noël en allemand, en latin et en italien. A un certain moment, le Pape se tourne vers moi, et me dit: "votre prédécesseur don Mietek nous chantait des chants en polonais, vous en avez quelques-uns en maltais?".
J'avais quelques partitions de chants populaires de chez nous, en particulier un, qui est le plus traditionnel: Ninni la Tibkix Izjed, Berceuse à Jésus, ne pleure plus. On le chante toujours. Je courus dans mon bureau chercher les partitions, et grandes furent ma surprise et mon émotion quand le Pape prit les partitions et se mit au piano pour jouer. En entendant cette mélodie jouée par le Pape, aujourd'hui encore, je me sens ému. La veille de Noël, après le repas, en attendant la messe, nous nous réunissions autour de l'arbre allumé, le Pape prenait le passage de l'Evangile de la Nativité de Jésus et e lisait, puis nous échangions les souhaits. Il m'expliqua qu'en Bavière, chaque père de famille faisait ainsi. Il me plaisait d'enrichir la grande religiosité maltaise populaire avec celle de la Bavière".
A table, et après les repas, ou encore après les promenades dans les jardins du vatican pour la récitation du rosaire, le Pape et ses secrétaires parlaient des audiences du jour, des personnes rencontrées, parfois aussi des critiques qui arrivaient, de l'intérieur et de l'extérieur de l'Eglise. "Je l'ai vu chagriné, bien sûr, mais pas contrarié. Je ne l'ai jamais entendu dire une phrase de dédain. Quand il y eut la triste histoire de notre majordome, qu'il traitait comme un fils, il a manifesté son déplaisir pour sa famille et pour lui-même. Mais jamais un mot d'indignation".
- Don Alfred, vous étiez avec le Pape Benoît quand le Pape François à peine élu l'a appelé au téléphone?
" Benoît a vécu avec beaucoup d'attente le Conclave et l'élection du nouveau Pape, il était anxieux de savoir qui lui succéderait. Nous avons prié intensément, nous sentant unis à toute l'Eglise qui invoquait l'Esprit Saint. Le moment de l'"annuntio vobis gaudum magnum", nous l'avons suivi à la télé. Ce fut très émouvant d'être présent au coup de téléphone que le nouveau Pape a fait au Pape Benoît. Je lui ai passé l'appareil sans fil, j'ai entendu Benoît XVI dire " je vous remercie Saint-Père - et déjà, entendre Benoît XVI dire cela suscite l'admiration - je vous remercie d'avoir tout de suite pensé à moi, et je vous promets dès maintenant mon obéissance et ma prière".
Ces paroles, dites par une personne avec laquelle j'ai vécu, parce qu'il était mon Pape, lui entendre dire cela, j'en suis resté très édifié".
- Comment avez-vous vécu la décision de la renonciation?
"Ma crainte était une incompréhension, et peut-être une condamnation générale. J'avais peur qu'on puisse dire: il a commencé une œuvre, et il n'a pas eu le courage de la compléter! Au contraire, je vois encore aujourd'hui son héroïcité à ce sujet, il n'a pas pris garde à ce risque. Il était convaincu de ce que le Seigneur lui demandait en ce moment: je n'ai plus la force de continuer ma mission, ma mission est achevée, je confie à quelqu'un qui a plus d'énergie que moi la mission de faire avancer l'Eglise. Parce que l'Eglise n'est pas au Pape, mais au Christ. Quelqu'un qui aime l'Eglise considère que cette décision est "un grand acte de gouvernement".
- Quelle a été votre première réaction à la nouvelle?
"Tandis qu'il me communiquait la nouvelle, il m'est immédiatement venu l''envie de lui dire: Non Saint-Père, pourquoi n'y pensez-vous pas un peu?
Puis je me suis freiné, et je me suis dit: mais qui sait depuis combien de temps il y pense! Et me sont passés par la tête, comme dans un éclair, les moments de prière avant la messe, longs et recueillis.
Et je l'ai laissé parler, je l'ai écouté, égaré. Tout était décidé, quand et comment le communiquer. Et il m'a dit: Vous irez avec le nouveau Pape. Et il me l'a répété au moins à deux reprises, au point que j'ai failli lui dire: mais est-ce que le nouveau Pape voudra de moi?
- Certains pensent que Benoît XVI a été un pape trop intellectuel, avec la tête seulement sur les livres.
" Je considère le Pape émérite comme une personnalité constituée de deux dimensions qui pourraient sembler en opposition, et qui au contraire sont complémentaires. D'un côté, c'est un géant d'intelligence, de profondeur théologique, philosophique, liturgique, biblique... et de l'autre, grâce au fait qu'il a grandi dans une famille normale et sans chichis en Bavière, il est resté un homme simple, avec le regard d'un enfant évangélique. Deux côtés, qui rendent sa personnalité encore plus complète. Et sa discrétion est une façon de ne pas écraser l'autre, et même, il fait toujours l'effort de faire sortir le bien que l'autre a en lui, son caractère, afin qu'une syntonie se crée. Tel est l'art de se mettre en relation avec les autres que Benoît XVI m'a enseigné".
- Y a-t-il un mot qui décrive le mieux Benoît XVI?
" Je ne veux pas enfermer le pape Benoît dans un mot ou une phrase, parce ce serait comme tenter d'enfermer une ville entière sous une cloche de verre. Mais le mot que j'ai le plus souvent entendu prononcer par le Pape Benoît est: merci! Continuellement. Nous l'aidions à s'habiller pour la messe, nous lui donnions la croix pectorale, et lui: merci. Je lui amenais sa canne: merci! Je lui prenais sa canne: merci!. Une fois, quand j'étais Prélat d'antichambre, nous attendions un hôte dans la bibliothèque, et je me permis de lui faire un compliment pour une homélie qu'il venait de faire. Je fus très touché par la façon dont il l'accepta. D'abord, il l'a accepté. Puis il a baissé les yeux, et il m'a dit: merci! Des écrits de Benoît XVI, nous pouvons apprendre beaucoup, parce qu'il est un grand maître, mais non sans le choisir comme modèle de vie".