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Et si le Pape se trompe?

C'est une question générale (générique?) mais cruciale, que pose Michael Dougherty Brendan, opposant l'appartenance à un parti et l'appartenance à l'Eglise (10/5/2014)

Teresa a attiré mon attention sur ce texte du blogueur américain dont j'ai traduit un autre article ici: Les "insultes" du Pape François .
Il a, dit-elle, "fait le buzz" dans la blogosphère de langue anglaise: car il accuse les catholiques qui justifient les actes du Pape envers et contre tout, d'être des hommes de parti, et pas des hommes d'Eglise. Et surtout, il pose le problème en termes crus - et les déclarations de Kasper prouvent que ses inquiètudes ne sont pas dénuées de fondement: et si le Pape avait tort? (j'utilise à dessein un terme neutre). Après tout, l'histoire de l'Eglise est parcourue de pages plus que confuses.
Je tiens à souligner une évidence: tous les faits prouvent que l'attitude de "légalisme" envers le Pape ne concerne pas le Pontificat de Benoît XVI. Ce n'est pas du parti pris de ma part. Ce n'est probablement pas un hasard non plus. C'est ainsi!

     

Les catholiques doivent apprendre à résister à leurs papes - même au pape François
Trop d'entre eux deviennent des apparatchiks de parti
Michael Dougherty Brendan
https://theweek.com/article/index/261033/catholics-must-learn-to-resist-their-popes-mdash-even-pope-francis
6 mai 2014
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Le Pape François a une drôle de façon de nommer et de faire honte à certaines tendances dans l'Église, en utilisant des insultes qui sont inventives, pertinentes, et confondantes. Son oreille est finement syntonisée sur la façon dont la foi catholique peut être déformée par l'idéologie. Et j'aimerais imiter son exemple quand je dis ceci: la plupart des catholiques ne sont absolument pas préparés à un pape malfaisant. Et ils ne sont pas préparés non plus au pape François. Ils sont davantage fidèles à un parti catholique imaginé qu'à la foi catholique ou à l'Église.

Entre la Pentecôte et la mise à jour de Vatican.va, la plupart des catholiques n'ont pas eu accès aux méditations quotidiennes de leur pape.
Les spéculations théologiques du pontife romain n'ont pratiquement jamais fait l'objet d'un quelconque intérêt de la part des catholiques à travers l'histoire, à moins qu'il ne soit déjà un grand théologien, ou qu'une grande controverse avec l'autorité de l'Église romaine ne se soit installée. Pour le catholique moyen vivant à des centaines de km de Rome, la foi était la foi, que le pape soit un orthodoxe zèlé comme Saint-Benoît II ou un criminel sexuel comme Jean XII.

Mais les contre-courants sociaux des 50 dernières années de la vie catholique ont fait du pape une figure plus intime dans la vie des croyants catholiques. Durant les bouleversements post-conciliaires des années 1970-80-90, les catholiques conservateurs ont développé une architecture mentale qui leur disait que, même si leur curé ou évêque local était relâché, immoral, ou même vaguement hérétique, il y avait pratiquement un saint vivant à Rome, dont l'inattaquable orthodoxie, le charisme personnel, et les bonnes œuvres étaient considérés comme le signe vivant de l'indéfectibilité de l'Église. La solidité du message venant de Rome était pour de nombreux catholiques l'expérience pratique de cette vérité sur l'Église.

La quasi-omniprésence que la papauté moderne réalise à travers les médias me laisse supposer que l'institution de la papauté aurait déjà été touchée par une crise grave sans la capacité théologique inhabituelle de Joseph Ratzinger, d'abord comme cardinal et plus tard comme pape Benoît XVI, agissant comme "ballast". Les médias modernes, en particulier les médias catholiques modernes, ont amené le pape dans nos maisons, à travers la radio, la télévision, et dans notre monde de «médias de niche». Il est dans le navigateur de nombreux catholiques tous les jours. Et les médias conservateurs catholiques s'appuient fortement sur un rôle imaginaire gonflé de la papauté, comme les tabloïds britanniques le font pour la famille royale. L'apparat, le mystère et la gloire attachés à la fonction sont un excellent moyen de vendre des magazines, de susciter des clics, ou de collecter des fonds. Il est la célébrité dans le monde entier qui «nous» représente. Il est la raison pour laquelle d'autres parlent de la foi.

Lorsque vous ajoutez à cela le fait que la formation culturelle des catholiques les plus engagés est principalement le combat idéologique de factions politiques et culturelles, ils ont tendance à traiter le pape comme leur «chef de parti», et de traiter «le monde» comme la partie adverse. Il est difficile de décrire combien cette image mentale est déformée par rapport à la vraie foi, mais quelques exemples pourraient suffire.

Regardez par exemple la réaction des catholiques conservateurs à l'appel téléphonique du pape à Jaquelina Lisbona, une argentine mariée civilement à un divorcé, où François lui aurait conseillé d'ignorer en pratique l'enseignement de l'Eglise sur le divorce, l'adultère, la confession et la Sainte Communion.

Phil Lawler, sur le site Catholic Culture, a spéculé que «Pour ce que nous savons, elle et son mari vivent maintenant comme frère et sœur, et dans ce cas, il n'y aurait pas de raison pour qu'elle ne puisse pas reprendre la réception des sacrements». Evidemment, si tel était le cas, le curé aurait pu déterminer cela sans l'extraordinaire coup de téléphone du vicaire du Christ.

Avant d'effacer son article (peut-être par embarras), Jimmy Akin a rappelé à ses lecteurs du National Catholic Register que le pape a le pouvoir d'agir comme législateur en chef de l'Église et d'exécuter des jugements immédiatement, et ainsi il pourrait donc annuler le premier mariage et reconnaître le second, impliquant que tout aurait pu être fait par téléphone. Qu'il ait pu court-cicuiter tout le processus juridique de l'Église, saper la foi dans la discipline de l'Église, et "solder" les prêtres catholiques ne semble absolument déranger Akin. Cette même défense a été utilisé pour justifier la rupture du pape des rubriques liturgiques, essentiellement en utilisant la défense de Nixon selon laquelle «lorsque le pape le fait, ce n'est pas illégal».

Permettez-moi de suggérer que ces deux bons catholiques n'agissent pas comme des hommes d'Église, mais comme des hommes de parti, et tombent dans ce que Hillary Jane White diagnostiquait à juste titre comme « positivisme papal». Lawler et Akin ne sont pas seuls. La majeure partie des médias catholiques se consacre à des spéculations sur la façon dont les discrètes décisions de gouvernement, les mots et les gestes du pape accomplissent un but plus grand, que nous supposons être dans la tête ou le cœur du Pape. Il est très facile de faire du pape un saint et un super-héros lorsque vous agissez comme son ventriloque.

Tous les apologistes catholiques conservateurs disent les choses justes, lorsqu'on les presse. Ils disent que la doctrine d'infaillibilité papale ne signifie pas l'impeccabilité du pape, mais la majeure partie de leurs commentaires sur le pape Jean-Paul II en ce qui concerne la crise des abus sur mineurs, ou sur le Pape François lorsqu'il improvise, semble basé sur l'idée que le pape est irréprochable.

Être membre d'un Parti ou membre de l'Église n'est pas du tout la même chose. Le parti ordonne à ses membres de maquiller, de minimiser et d'expliquer des contradictions entre un dirigeant du parti et le suivant, de cacher les écarts entre les dirigeants du parti et la plate-forme du parti. Parce que les membres du parti ne peuvent pas connaître le résultat de la prochaine élection, les crimes, l'espionnage, ou la simple mauvaise gestion par le dirigeant du parti sont traités comme des offenses bien moins graves à la cause que le scandale qui résulterait de les admettre ou de les reconnaître face au parti opposé.

Contrairement à un parti, l'Église connaît déjà le résultat de son élection; le bienheureux règne, le maudit pas. L'Église a déjà la victoire. Et ainsi l'Eglise et ses fidèles ne dépendent pas de la rectitude du pape; la papauté et l'Église dépendent de la rectitude du Christ. La foi catholique enseigne que le pape a le même devoir de rester constant dans la foi que nous, le Saint-Esprit ne le transforme pas en un automate à partir de son élection. S'il ment, nous devons le reprendre dans la charité. S'il faillit à quelque chose, nous devons l'aider. Il n'est pas seulement le catholique de poids, il est notre frère.

Les membres de l'Église ont l'assurance qui vient de Dieu, pas de Rome, du genre qui, en cas de naufrage, les prépare pour le martyre. Les membres du Parti souffrent d'une anxiété défensive, crispée, du genre qui, en cas de naufrage, les transforme en simples démagogues qui ne voient rien;n'entendent rien.

Le parti catholique éclipsant l'Église catholique a aussi un effet déformant sur la perception du monde. Si les membres les plus écoutés et les plus éminemment orthodoxes de l'Église traitent dans les médias le pape comme un chef de parti et admettent aussi vite des changements massifs à la pratique de la foi des 50 dernières années, pourquoi devraient-ils être surpris que le monde conçoive les doctrines et les dogmes de la foi comme de simples plateformes politiques, à échanger, mettre à jour, ou abandonner au fur et à mesure que les temps changent?

Et pourquoi devraient-ils être surpris que même leurs coreligionnaires ne parviennent pas à comprendre la foi? En vérité, le fait le plus saillant de la vie catholique contemporaine en Occident est la façon dont elle est imprégnée par le modèle consistant à dire des choses et à agir ensuite comme si d'autres choses étaient vraies.

Les paroisses catholiques enseignent à leurs catéchumènes que les gens doivent être absous de leurs péchés mortels dans le sacrement de la confession avant de se présenter à la sainte communion, et pourtant les prêtres distribuent encore la communion dans des églises pleines (??) quelques heures seulement après avoir vu de maigres files au confessionnal. Ils disent une chose, mais agissent d'une autre manière. Les catholiques enseignent que l'Eucharistie devient le corps et le sang de leur Seigneur, pourtant leur liturgie révisée, la disparition de la génuflexion comme un geste catholique et le comportement des prêtres et des ministres extraordinaires disent que nous sommes aussi insensible à l'hostie consacrée que les pentecôtistes.

Et le débat que l'affaire «Pape François-Lisbona» a suscité autour de la permission donnée aux catholiques divorcés et "remariés" de participer à la Sainte Communion est encore un autre exemple du fait de dire une chose et d'agir comme si le contraire était vrai.

Les catholiques disent que la validité du mariage est indissoluble et qu'une personne civilement remariée vit dans l'adultère. L'Église exige que toute personne qui pèche mortellement s'abstienne de la sainte communion jusqu'à ce qu'elle se repente et reçoive l'absolution de ses péchés. Comment l'Église peut-elle même expliquer la Réforme anglaise si, quelque part, cachée dans sa propre tradition, il y a la capacité à tolérer les mariages adultères? Comment l'Église peut-elle honorer les martyrs anglais comme Saint Thomas More s'ils sont morts pour une simple «politique», et non pas une vérité sur les sacrements?
Evidemment, elle ne peut pas.

Et pourtant, les catholiques conditionnés par les 50 dernières années de vie dans l'Église ne sont absolument pas préparés à l'éventualité d'un pape ou d'un Synode papalement approuvé décidant une «politique» qui contredit catégoriquement l'enseignement de l'Église. Pour beaucoup d'entre eux, beaucoup d'honnêtes gens, ce sera juste une nouvelle ligne du parti. Ou peut-être, de façon encore plus insensée, dans une démarche orwellienne, ils affirmeront que la nouvelle politique a toujours été vraie politique de l'Église.

Le parti catholique a cultivé une forme très spécifique d'oubli de l'histoire pleine de confusion de l'Église. Il ne se souvient d'un concile œcuménique celui de Vienne, où l'autorité de l'Église s'est trouvée gaspillée à cause d'une rancune idiote contre les Templiers. Il ne se souvient pas de conciles comme ceux de Sirmium, condamné plus tard, où les ecclésiastiques ont fait des compromis avec l'arianisme.

Le Concile Vatican II a rappelé aux Catholiques une doctrine ayant ses fondements dans les Pères de l'Église, selon lesquels le corps tout entier des fidèles catholiques est l'un des garants de l'autorité de l'enseignement de l'église. Parfois, le devoir d'un fidèle catholique n'est pas seulement de réprimander et de corriger les personnes ayant autorité dans l'Église, comme Sainte Catherine de Sienne , mais de leur jeter des choux pourris, de les rendre misérables, comme nous l'avons fait une fois, avec la complicité de autorités du monde, lors de l'élection du pape à Viterbe (ndt: En 1271, après une vacance de trois ans de la papauté, Bonaventure, ministre général des franciscains et futur saint, convainquit le seigneur de Viterbe d'enfermer les électeurs, au pain et à l'eau, jusqu'à ce qu'ils réussissent à élire un pape, en l'occurrence Grégoire X).

Pour l'instant les membres du parti catholique cultivent une sorte de déni, disant que le pape François ne peut absolument pas approuver la ligne sur le divorce et le remariage suggérée par le cardinal Kasper, alors que très clairement cette réforme est débattue activement dans les plus hautes sphères de l'Église, et semble avoir été mise en œuvre dans un appel téléphonique. Si elle est adoptée, il sera temps pour les membres de l'Église catholique de chercher des choux pourris et de donneer à nos prélats le goût du sensus fidelium .