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Le cardinal Maradiaga et le théologien allemand

Le coordonnateur du "C8" du Pape a accordé une interviewe à un quotidien de Cologne (22/1/2014)

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Image ci-contre, sur Il Papa emerito.

     

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Le cardinal hondurien Madradiaga a été nommé par François coordinateur du "C8" du Pape, autrement dit le groupe de 8 cardinaux chargés de réfléchir à une profonde réforme de l'administration de l'Eglise.

Il m'est revenu par différentes sources (dont Il Papa emerito) des échos d'une interviewe qu'il a accordée ces jours-ci à un quotidien allemand de Cologne "Kölner Stadt Unzeiger".
Marco Tosatti, dans son blog personnel, souligne que l'interviewe a été accordée juste après que le cardinal ait été reçu par le pape François, le 14 janvier.
Le prétexte était l'évêque de Limbourg Mgr Franz-Peter Tebartz-van Elst, qualifié par la presse d'évêque bling-bling", et dont j'ai parlé à plusieurs endroits.
Le cardinal ne manifeste pas une once de charité chrétienne envers son confrère, et bat allègrement sa coulpe sur la poitrine d'un autre.
A part le couplet désormais habituel sur l'air frais que l'on respire au Vatican depuis le 13 mars (après les miasmes bénédictins?) et la révélation étonnante sur le poumon du Pape, je relève ce propos stupéfiant, relatif à Mgr Müller, mais renvoyant inévitablement à un autre théologien allemand:

(...) c'est un un Allemand - je veux dire en plus, un professeur, un professeur de théologie allemand. Dans sa mentalité, il y a seulement le bon ou mauvais, c'est comme ça. Mais moi je dis : "Le monde, mon frère, le monde n'est pas ainsi. Tu dois être un peu souple quand tu entends d'autres voix, pour ne pas simplement écouter et dire: non, ici il y a un mur".

Imaginons que Mgr Müller ait été d'une autre nationalité, voire d'un autre continent...

Bien entendu, Maradiaga n'est pas le Pape, mais c'est un prince de l'Eglise, qu'il est permis de supposer bien en cour, un conseiller écouté du Pape, et donc une voix autorisée.
Le texte original de l'interviewe est ici, et il a été traduit en italien par le site progressiste (mais néanmoins précieux!) Fine Sttimana.
Bref, je suis revenue aux sources, pour ne pas encourir le soupçon de m'être laissée piéger par les médias.
Le cardinal m'a fait l'effet d'un iceberg.
Je laisse les commentaires à d'autres.
Mais la fiction de la continuité devient chaque jour plus insoutenable.

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Entretien avec Oscar Rodriguez Maradiaga
www.ksta.de
20 Janvier 2014
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L'un des plus proches collaborateurs du pape François, le cardinal hondurien Oscar Rodriguez Maradiaga, estime qu'un retour dans le diocèse de l'évêque de Limbourg, Franz-Peter Tebartz van Elst est exclu. «Je sais que beaucoup de fidèles dans le diocèse de Limbourg se sentent blessés. Pour traiter les plaies ouvertes, il ne faut pas verser de l'alcool dessus», a déclaré l'archevêque de Tegucigalpa au «Kölner Stadt -Anzeiger».

Le coordinateur de la commission des cardinaux qui travaille pour le compte du pape à réformer les structures de la direction ecclésiastique a dit souffrir avec les catholiques allemands à cause des problèmes relatifs à Limbourg.
«Si une personne a fait des erreurs, elle doit le reconnaître pour présenter des excuses et chercher un autre poste» a expliqué Maradiaga, se référant à Tebartz.

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- Monsieur le Cardinal, les partisans et les adversaires du pape François se demandent, un an après son élection, ce qu'il a vraiment en tête pour l'Église. Pouvez-vous nous le dire?
- Je suis convaincu que nous sommes au début d'une ère nouvelle dans l'Eglise. Comme il y a 50 ans, quand le pape Jean XXIII a ouvert les fenêtres de l'église pour laisser entrer l'air frais. Aujourd'hui, François veut conduire l'Eglise dans la direction où il est poussé par le Saint-Esprit: plus près des gens, ne dominant pas sur eux , mais vivant en eux. L'Eglise, ne l'oublions pas, n'est pas seulement une institution faite par les hommes, mais l'œuvre de Dieu. Je suis sûr que dans notre élection en Mars 2013 sa main est intervenue. En effet, selon les évaluations humaines, un autre aurait dû devenir Pape.

- Mais que veut le Pape, concrètement?
- Tout d'abord, un style de vie et de direction de la hiérarchie ecclésiastique plus simple, à commencer par les évêques jusqu'aux prêtres. Nous ne devons pas rester dans nos bureaux administratifs et attendre que les gens viennent à nous. Nous devons aller vers eux. Il s'agit d'une nouvelle «évidence ». Bien que, à dire vrai, ce n'est pas du tout nouveau. Nous le trouvons dans le message de Jésus. Mais entre-temps, nous l'avons oublié.

- Cela signifie-t-il: priorité à la pastorale?
- Plus de pastorale que de doctrine, certes. L'enseignement de l'Église - la théologie - nous est présenté. Mais nous devons voir comment atteindre avec lui les gens simples. Une deuxième préoccupation importante du pape est la miséricorde - un autre aspect de l'attention de l'Eglise au monde, en particulier à ceux qui sont dans le besoin.

- Mais dans une Église «miséricordieuse», ne faut-il pas aussi changer une doctrine qui est ressentie par beaucoup comme cruelle? Pensons à l'attitude de l'Eglise envers les divorcés remariés!
- L'Eglise est tenue de suivre les commandements de Dieu. Le Christ dit du mariage: que l'homme ne sépare pas ce que Dieu a uni. Cette parole reste fixée. Mais il y a plusieurs façons de l'interpréter. Après l'échec d'un mariage, nous pouvons par exemple nous demander: les conjoints étaient-ils vraiment unis en Dieu? Donc, il y a encore beaucoup de place à l'approfondissement. Mais cela ne signifie pas que demain, on dira l'opposé de ce qu'on dit aujourd'hui.

- Le Pape François a fait diffuser un questionnaire pour savoir où en sont les choses relativement à l'enseignement de l'Église sur la famille et la moralité sexuelle. Quelles conséquences le Synode des évêques de 2014 tirera-t-il de ces questions à partir de réponses qui - comme dans l'archidiocèse de Cologne - parlent des positions de l'Église impitoyables, loin du monde et contraires à la vie?
- J'ai demandé au pape : «Pourquoi déjà un nouveau synode sur la famille? Nous en avons fait un en 1980, et nous avons le beau document "Familiaris consortio" de Jean-Paul II en 1983».

- Et que François vous a-t-il répondu ?
- 30 ans ont passé. Aujourd'hui, pour la plupart des gens, la famille d'alors n'existe plus.
Et c'est vrai: nous avons les divorces, les familles recomposées, les familles monoparentales, des phénomènes tels que les mère porteuses, les mariages sans enfants. Et nous ne devons pas oublier la cohabitation de personnes de même sexe. Il n'y avait pas de perception de tout cela en 1980. Tout cela exige des réponses pour le monde d'aujourd'hui. Et il ne suffit pas de dire: pour tout cela, nous avons les réponses traditionnelles. Bien sûr, l'enseignement traditionnel continuera à subsister. Mais les défis pastoraux exigent des réponses adéquates à l'époque. Et elles ne peuvent plus émerger du moralisme et de l'autoritarisme. Cela, ce n'est pas la «nouvelle évangélisation», non, non!

- Votre confrère , le futur cardinal Gerhard Ludwig Müller, préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, prend davantage en compte l'autorité de l'Église.
- (Rires ) Je l'ai lu, oui . Et j'ai pensé: "OK, peut-être que tu as raison, mais peut-être pas". Je veux dire, je le comprends: c'est un un Allemand - je veux dire en plus, un professeur, un professeur de théologie allemand. Dans sa mentalité, il y a seulement le bon ou mauvais, c'est comme ça. Mais moi je dis : "Le monde, mon frère, le monde n'est pas ainsi. Tu dois être un peu souple quand tu entends d'autres voix, pour ne pas simplement écouter et dire: non, ici il y a un mur". Donc, je pense qu'il arrivera à comprendre d'autres points de vue. Mais pour le moment, c'est le début, il a seulement écouté son groupe d'experts .

- Vous lui donnerez des conseils?
- Jusqu'à présent, nous ne nous somme pas encore parlés. Mais nous allons parler, bien sûr. C'est toujours bon de faire un beau dialogue.

- Avec le pape, vous avez eu encore un entretien la semaine dernière. À quel point en sont les réformes structurelles que le pape attend de la Commission qu'il a mise en place avec vous et sept autres cardinaux ?
- OK, changeons de sujet! Naturellement, beaucoup de choses doivent changer dans l'Eglise. Le pape le sait, je le sais, et aussi le collège des cardinaux en était conscient quand il est entré en conclave en 2013. Les structures sont au service des personnes. Mais quand la vie des personnes change de façon aussi spectaculaire, les structures de l'Eglise, la Curie, doivent elles aussi changer. Il s'agit d'une tâche complexe. Nous sommes plongés dans les consultations, des enquêtes et des expertises. Et nous procédons étape par étape .

- Et quelle est la première étape ?
- A la première place de notre agenda, il y a le Synode des Évêques, qui, selon la volonté du pape doit être un instrument de direction collégiale pratique et efficace, et pas seulement une réunion à Rome tous les trois ans. Ensuite, il s'agira de changements à la secrétairerie d'état, dont beaucoup n'étaient pas satisfaits du travail. Dans notre précédente session du Comité, en Décembre, nous avons aussi parlé des organismes spécifiques du Vatican, des différents dicastères . Nous proposons d'instituer une congrégation particulière pour les laïcs. Il y a une congrégation pour les évêques, une pour les prêtres, une pour les religieux. Mais il n'y en a pas pour les laïcs. Pour eux, à ce jour, il y a seulement un Conseil Pontifical. Pourtant, les laïcs constituent la grande majorité du peuple de Dieu

- Les administrations sont les adversaires normaux des réformes administratives. Pensez-vous que dans la Curie, il y a des réserves ou des résistances envers la commission ?
- Oui, bien sûr. Mais dans la Curie elle-même, il y a aussi pas mal de collaborateurs qui disent que les choses ne peuvent pas continuer ainsi. Et qui nous soutiennent avec leurs propositions. La Curie n'est pas du tout un bloc monolithique. À la fin de toutes nos réflexions, il devra y avoir une nouvelle constitution pour la curie qui remplacera la Constitution Apostolique existante «Pastor Bonus» de Jean-Paul II en 1988. Donc, non seulement une modification ou une adaptation de ce document , mais quelque chose de complètement nouveau .

- N'avez-vous pas peur que le pape, qui est âgé de 77 ans, n'ait pas assez de temps pour tous ces changements?
- D'une part , je crois que nous sommes déjà à un «point de non-retour». D'autre part , le pape montre toujours une telle énergie qu'il me surprend à chaque fois. Vous savez, avant le conclave, nous parlions ensemble et il m'a dit: «J'ai déjà présenté ma demande de retraite». Et puis il est sorti Pape du conclave - et depuis lors, il est comme transformé.

- On a dit qu'il avait des problèmes au poumon.
- C'était de la propagande négative par laquelle avant le conclave, quelqu'un du "cercle intérieur" voulait intentionnellement lui porter tort. Un jour, alors que nous étions à table, j'ai demandé au futur pape s'il avait un seul poumon et si sa santé était affaiblie. Il s'est mis à rire : «Mais non! J'ai eu un kyste dans la zone supérieure du poumon gauche. On me l'a ôté, et c'était bon». Ensuite je me suis levé et je suis allé de table en table pour dire : «Ecoutez! Ceux d'entre vous qui disent que Bergoglio a un seul poumon se trompent complètement».

- Vos bonnes relations avec François font de vous pour les catholiques conservateurs son «conseiller en chef terriblement bavard». Ils disent que votre comité agit comme «la clique des huit» de Bergoglio & Co. Cela manifeste une opposition massive au nouveau pape.
- Massive peut-être, mais pas nombreuse. La majorité des catholiques soutiennent le pape. Ses adversaires sont des gens qui ne connaissent pas la réalité. Il y a eu par exemple beaucoup de bruit dans les milieux économiques des Etats-Unis à l'égard de la critique du capitalisme faite par le Pape dans son encyclique «Evangelii Gaudium». Mais qui a dit que le capitalisme était parfait? La récente crise financière, qui a-t-elle frappé ? Pas les pauvres, mais la riche Amérique, la riche Europe. Et cette crise n'est pas une invention de la théologie de la libération ou la conséquence de l'«option pour les pauvres». Ceux qui ne critiquent pas le capitalisme se trompent. Pas le pape. Mais vraiment, même s'ils devaient se déchaîner contre lui ou s'agiter contre lui, moi, j'essaie de suivre ma conscience .

- Le pape appelle à une «Eglise pauvre». L'Eglise allemande est riche. Vous semble-t-il licite d'être une "Eglise riche" aussi longtemps qu'avec son argent elle aide les pauvres ?
- Aider les pauvres ne signifie pas être pauvre. Cela signifie partager vraiment . Vous avez raison, l'Eglise allemande est riche - riche d'histoire, de culture et de magnifiques œuvres d'art. Ce patrimoine, elle doit le conserver. Nous serions fous si nous voulions devenir des iconoclastes comme au Moyen Age

- N'oubliez pas l'impôt pour l'Eglise!
- C'est un autre aspect de la richesse. Les Allemands, grands organisateurs, ont inventé ce système de financement. Ce n'est pas à moi de critiquer. Au contraire, je vois que l'Eglise allemande a les yeux attentifs et le cœur ouvert et engage sa richesse pour le bénéfice des autres. Il n'y a aucune Eglise locale dans le monde qui offre autant d'aide que l'Eglise allemande. Absolument aucune! Je pense que cela doit être dit, et je peux le faire d'autant mieux que je n'en fais pas partie (1).

- L'Eglise allemande est-elle perçue de manière trop négative ?
- Peut-être est-elle évaluée de manière erronée. Prenez le diocèse de Limbourg. Bien sûr, je souffre avec les Allemands à cause de ces problèmes. Mais c'est un cas unique! Et même de cela, on peut tirer quelque chose de positif. En espagnol on dit qu'il n'y a aucun mal dont ne puisse sortir un bien.

- Et quel serait le bien, ici?
- Que dans la hiérarchie de l'église, l'idée se fraie un chemin que certaines choses devront changer dans d'autres diocèses, pas seulement à Limbourg.

- Mgr Franz-Peter Tebartz-van Elst reviendra-t-il dans son diocèse ?
- Non, je ne crois pas. Si une personne fait une erreur, elle doit le reconnaître et présenter des excuses et chercher un autre poste. Je sais que beaucoup de fidèles dans le diocèse de Limbourg se sentent blessés. Pour traiter les plaies ouvertes, il ne faut pas verser de l'alcool dessus.

- Le Pape pense aussi cela?
- Il est évident que sa défense d'une Eglise pauvre et son style de vie personnel ont toujours été cohérents, à la fois comme père jésuite, puis comme archevêque et maintenant comme pape .

- Voulez-vous dire que vous éprouvez peu de compréhension pour les résidences épiscopales fastueuses et les baignoires coûteuses?
- Pour des gens qui, comme lui ou comme moi, viennent d'Amérique latine, c'est difficile. Bien sûr, votre niveau de niveau de vie en Allemagne est différent du nôtre. Toutefois: beaucoup de ce que j'ai entendu dire est superflu. Une douche, un WC - cela suffit. Du reste, cela suffit à la plupart des gens. Et même au pape, comme vous le savez, dans son appartement de trois pièces. J'ai vraiment aimé ce qu'a dit le pape à la Toussaint: «Je n'ai jamais vu un enterrement avec un camion de déménagement derrière le cercueil». (ndt: tiens, c'est drôle, c'est une blague évidemment marrante que j'ai entendue récemment à une émission de Cyril Hanouna... Je n'attendais pas cela du Pape!!)

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(1) Cela me remet en mémoire les propos de Benoît XVI célébrant la messe à Münich, le 10 septembre 2006:

L'Eglise catholique en Allemagne fait preuve de grandeur dans ses activités sociales, et sa disponibilité à aider partout où cela apparaît nécessaire. Au cours de leur visite "ad limina", les Evêques, et ces derniers temps ceux d'Afrique, me parlent toujours à nouveau avec gratitude de la générosité des catholiques allemands, et me chargent de me faire l'interprète de leur gratitude - c'est ce que je voudrais faire à présent publiquement. Même les Evêques des Pays baltes, venus avant les vacances, m'ont parlé de la façon dont les catholiques allemands les ont aidés de façon grandiose dans la reconstruction de leurs églises gravement détériorées à cause des décennies de domination communiste. Parfois, toutefois, certains Evêques africains me disent: "Si je présente en Allemagne des projets sociaux, je trouve immédiatement les portes ouvertes. Mais si je viens avec un projet d'évangélisation, je me heurte plutôt à des réserves". Il existe à l'évidence chez certains l'idée que les projets sociaux doivent être promus avec la plus grande urgence, tandis que les affaires qui concernent Dieu ou même la foi catholique, sont des choses plutôt particulières et moins prioritaires.