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Le conseiller secret du Pape François

En lisant le titre, et le début, du billet hebdomadaire d'Andrea Gagliarducci, j'ai pensé - non sans agacement - que c'était un article de plus exaltant la "continuité" entre les deux papes. En réalité, c'est assez différent... et très intéressant. (24/3/2014)

Comme d'habitude, Andrea Gagliarducci, très rigoureux, truffe son textes de liens vers ses propres articles, dont il réalise à chaque fois une sorte de synthèse.
Je n'ai pas reproduit ces liens, à suivre sur le texte original en anglais.

Texte original: http://www.mondayvatican.com/vatican/pope-francis-hidden-adviser
Traduction benoit-et-moi.

     

Le conseiller caché du Pape François

Andrea Gagliarducci
24 mars 2014
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le Pape François a créé un groupe de huit cardinaux pour le conseiller sur une réforme de la Curie et du gouvernement de l'Église universelle. Il dispose de plusieurs personnes de confiance qui travaillent avec lui, comme le cardinal Agostino Vallini, vicaire du pape pour le diocèse de Rome. Mais le conseiller le plus influent est en fait le prédécesseur du pape François, Benoît XVI. Le Pape François tient le pape Benoît en si haute estime qu'il lui a envoyé la première copie de l'interview qu'il a accordée à la revue jésuite «La Civiltà Cattolica» (cf. Collaboration entre les deux Papes (III) ). Et Benoît XVI, obéissant et en même temps, précis, a répondu avec quatre pages de commentaires.

Cette anecdote a été révélée par l'archevêque Gaenswein dans une interview accordée à la chaîne de télévision allemande Zdf . MgrGaenswein est le secrétaire particulier de Benoît XVI et le préfet de la Maison pontificale, sous le pape François, jouant ainsi le rôle d'une sorte de «pont entre deux Papes».

À ce titre, Mgr Gänswein a également transmis les messages (de plus en plus fréquents) et les invitations que le Pape Francis adresse au Pape Benoît. En Juillet 2013, Benoît XVI a été invité à prendre part à l'inauguration de la statue de l'archange Saint Michel dans les jardins du Vatican. Par la suite, le Pape François s'est rendu au monastère Mater Ecclesiae au Vatican, où le pape émérite vit désormais. La visite que Francçois a faite au Pape Benoît pour lui souhaiter un joyeux Noël a été suivie, peu après Noël, par un déjeuner ensemble à la Domus Sanctae Marthae, où vit le Pape François. Et enfin, le pape François a invité Benoît XVI à participer au Consistoire du 22 Février, et le Pape émérite s'est assis parmi les cardinaux, comme premier en dignité, mais en même temps «primus inter pares».

«Le pape émérite est une institution» a dit le Pape François dans une récente interview (Communication directe). Que le pape François accorde une attention particulière aux recommandations et à la présence de cette institution est prouvé par le fait qu'il a envoyé à Benoît XVI le premier exemplaire imprimé de l'interview qu'il a accordée au directeur de «Civiltà Cattolica», le père Antonio Spadaro. Ce n'étaient pas de simples notes. Le Pape François a demandé à Benoît XVI des commentaires. Et Benoît XVI - selon les mots de Mgr Gaenswein - a fait ses devoirs et a envoyé au Pape Francis une série de remarques, en quatre pages.

Ce que disaient ces remarques est un mystère que Mgr Gaenswein ne veut pas dévoiler. En tout cas, le père Spadaro a récemment publié un livre contenant l'interviewe, et expliqué qu'il y avait eu quelques retouches, avec une partie inédite de l'interviewe et quelques légères modifications. «C'est une sorte de version définitive» a dit le père Antonio Spadaro (www.corriere.it). Ceci est significatif.

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En fait, le conseil de Benoît XVI peut être vu derrière certaines décisions récentes de François. Étape par étape, conseil après conseil, le pape François remodèle sa révolution. Il a institutionnalisé le groupe de huit cardinaux (dont il avait d'abord pensé qu'il serait seulement informel). Il a limité ses déclarations vagues, qui sont désormais plus ciblée sur l'Évangile et moins des commentaires improvisés. Il a commencé à faire confiance et à valoriser des conseillers au sein de l'Eglise, après une saison où l'embauche (à très haut coût) de consultants externes était devenue, semble-t-il, la règle .

Il y a sans doute aussi un peu de l'influence de Benoît XVI dans la confiance croissante que le Pape régnant accorde à Mgr Alfred Xuereb, ancien deuxième secrétaire du Pape émérite et maintenant premier secrétaire du pape François, grâce à une lettre de recommandation que Benoît XVI a écrite pour lui .
Xuereb, un Maltais, a une formation diplomatique que peu de gens connaissent, et beaucoup de tact pour aborder les questions. Il a d'abord été nommé délégué du Pape François dans les commissions pontificales traitant de l'IOR et de la structure économique du Saint-Siège, puis prélat secrétaire général du Secrétariat nouvellement créé pour l'économie .

En fin de compte, les deux secrétaires de Benoît XVI jouent des rôles clé dans ce pontificat.
Ceci dérange certainement ceux qui ont soutenu la fable qu'après le pontificat de Benoît XVI, un changement de cap était nécessaire. C'est peut-être sous cette lumière qu'il faut lire les attaques les plus récentes contre Georg Gaenswein, le premier à être l'objet d'attaques dans le scandale Vatileaks et qui travaille encore côte à côte avec les deux papes. Un journal (www.thetablet.co.uk) a demandé à Gaenswein de démissionner de son poste de confiance auprès du Pape, en raison de certaines déclarations faites dans une interview à un média allemand, auxquelles on avait accordé une impotance exagérée.

Mgr Gaenswein et Mgr Xuereb sont très précieux pour un pape qui, comme on l'a noté, engage des réformes sur des impulsions, et sans avoir un projet général (comme il l'a admis dans sa dernière interview, cf. Communication directe).

Le Pape François veut néanmoins emprunter et poursuivre le chemin tracé par Benoît XVI, qui a fait de la joie de la foi le coeur de son pontificat. Une joie liée au caractère raisonnable de la foi. Benoît s'est exprimé avec force contre l'Église devenant retranchée derrière une forteresse de moralismes, mais a toujours réaffirmé la vérité de la foi. Il a demandé une démondanisation de l'Église catholique , et dans le même temps souligné que la Curie et l'institution ecclésiastique font partie du corps du Christ, c'est à dire l'Eglise.

Chaque affirmation de Benoît XVI était contrebalancée par une explication ultérieure. C'est quelque chose qui semble manquer dans la dialectique du pape François. Au-delà du large débat au sujet des déclarations du pape François sur les valeurs négociables et non négociables (qui ne peuvent être comprises que si elles sont placées dans un contexte italien) [ndt: pas forcément!], le pape François a montré qu'il ne souhaite pas argumenter contre l'esprit du monde: il préfère courir à la rencontre du monde. Cette approche est louable, et en même temps porte le risque que le Pape François reste vague sur des thèmes importants, n'abordant pas directement questions au cœur de l'Église d'aujourd'hui.

En fait, le pape Francis agit instinctivement. Mgr Xuereb a révélé dans une interviewe à Radio Vatican que, lorsque le pape François doit prendre une décision, il prie et médite, et quand il sent que quelque chose lui revient constamment à l'esprit, il comprend que c'est la bonne décision à prendre.
Ainsi, pour contrebalancer le caractère instinctif du pape François, il faut quelqu'un pour lui montrer les nuances et guider la dialectique équilibrée nécessaire lorsque vous êtes l'évêque de Rome. Qui mieux que Benoît peut conseiller le pape?

Benoît XVI a commencé son pontificat en agissant en tant que professeur, en favorisant un débat largement ouvert. Créant ainsi beaucoup de discussions, et en même temps plusieurs controverses: mais c'était toujours le Pape qui parlait.
Plus tard, Benoît XVI a affiné ses discours, calibré son approche et trouvé un moyen de s'exprimer d'une manière plus équilibrée (je dirais «papale»). Il n'est revenu en mode «professeur Ratzinger» dans la dernière partie de son pontificat, quand il s'est senti libéré des limites de son ministère. Le Pape François est maintenant appelé à faire un «saut qualitatif», pour devenir vraiment un Pape en paroles et en gouvernement de l'Eglise.

Benoît XVI est probablement le principal responsable de la recherche par le Pape François de ce «saut qualitatif». Benoît a tenu la promesse qu'il avait faite d'obéir et d'honorer son successeur, au point de devenir un conseiller influent et apprécié du Pape.

La dernière interviewe accordée par le Pape François (Communication directe) ouvre également de nouveaux scénarios pour l'avenir.
Le Pape François a laissé entendre que «peut-être», il y aurait d'autres papes émérite, laissant ouverte la possibilité qu'il pourrait aussi démissionner dans le futur. Si Benoît XVI est encore en vie à ce moment-là, y aura-t-il alors une sorte de collège des Papes émérite?