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Que va-t-il se passer avec les papes émérites?

Cela commence à devenir une rubrique... C'est le Pape qui en a fait un sujet de débat, après ses propos dans l'avion de retour d'Israël. Réflexion de Tommaso Scandroglio (5/6/2014)

     

Tommaso Scandroglio est un juriste italien catholique, spécialiste en droit canon, qui ne mâche pas ses mots.
J'ai déjà traduit des articles de lui, sur le cours actuel de la papauté, dont récemment celui-ci: Les embarrassés et les tranquillisants

Ici, après plusieurs autres qui osent le faire, il s'interroge sur les implications juridiques et théologiques de l'institutionalisation de la papauté émérite

     

QUE VA-T-IL SE PASSER AVEC LES PAPES ÉMÉRITES?
4 juin 2014
Thomas Scandroglio
http://www.corrispondenzaromana.it/cosa-succedera-con-i-papi-emeriti/
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L'altitude délie la langue au pape François qui déjà de lui-même n'est généralement pas enclin à la réserve. De retour de Terre Sainte, il parle avec des journalistes dans l'avion et cette fois, entre autres sujets, le bavardage - qui a duré environ quarante minutes - aborde le thème du «pape émérite»

Un journaliste lui demande si pour lui auusi il pourrait y avoir une renonciation à la papauté et le Saint-Père répond ainsi:

«Je ferai ce que le Seigneur me dira de faire. Prier, essayer de faire la volonté de Dieu. Benoît XVI n'avait plus les forces, et honnêtement, en homme de foi, humble comme il est, il a pris cette décision. Il y a soixante-dix ans, les évêques émérites n'existaient pas. Qu'est-ce qui va se passer avec les papes émérites? Nous devons regarder à Benoît XVI comme à une institution, il a ouvert une porte, celle des Papes émérites. La porte est ouverte, il y aura d'autres ou pas, Dieu seul le sait. Je crois qu'un évêque de Rome, s'il estime que ses forces diminuent, doit se poser les mêmes questions que le pape Benoît».

Présentée ainsi, la question ne semble qu'une affaire de pratique bureaucratique: autrefois, on faisait d'une manière, et demain rien n'interdit de changer les choses.

Au contraire, la quaestio a une toute autre profondeur. Le Pontife doit-il rester en charge toute sa vie? Si nous lisons le Code de Droit Canon, nous pouvons en déduire que l'objectif de l'Église est que chaque Pape ferme les yeux en tant que Pontife régnant et non pas Pontife émérite. En effet, il n'existe dans le code aucune disposition qui résonne plus ou moins ainsi: «Le Pontife romain demeure en fonction jusqu'à une décision contraire de sa part».

Les canons 322 §2 et 44 §2 consacrés à la renonciation à l'office pétrinien n'établissent pas une règle, mais une exception. En somme, le droit de l'Eglise est orienté de telle sorte que non seulement le munus du Successeur de Pierre soit à vie, mais aussi son exercice. Ceci est également confirmé par un titre, et même dans LE titre qui qualifie le pape: Vicaire du Christ. Et nous savons que le Christ a assumé la tâche qui lui a été confié par le Père jusqu'à la croix. Seulement alors, il put dire: « Tout est accompli».

Donc, la question n'est pas seulement ecclésiale, mais elle implique également des assertions de nature théologique.
Cela n'enlève toutefois rien au fait - comme en témoigne la décision de Benoît XVI - que si en conscience un pape comprend que Dieu lui dit de se se mettre en retrait, ce choix est légitime. Mais c'est précisément une exception, pour des raisons extraordinaires, et cela ne peut pas devenir la règle. Certains objecteront: la discipline sur le renoncement ou non du Pape n'est pas un dogme.

Cela ne signifie cependant pas que tout ce qui n'est pas un dogme soit légitime. Ce n'est pas non plus un dogme que l'on doive vivre jusqu'à 100 ans, mais alors pourquoi tout le monde se démène-t-il pour arriver à ce but? C'est le bien, physique ou moral, qui fait office de critère d'orientation. En d'autres termes: que la durée de la fonction pétrinienne tende à être pour la vie ne descend pas d'une règle de droit divin positif, mais elle inhérente à la fonction du Pontife lui-même. Un objectif vers lequel s'orienter parce que dans cet aspect aussi est contenu le vrai bien de l'Eglise, objectif auquel on peut bien sûr déroger toujours pour le même motif, c'et-à-dire pour le bien de l'Église.

Le Pape François semble au contraire renverser la perspective.
La durée à vie devient l'exception et la renonciation se trouve élevée à une catégorie juridique propre du droit ecclésiastique.
En effet, le Pape parle d'«institution» du pape émérite. Et l'institution est un ensemble de règles visant à mettre en place une véritable réalité juridique.
Pourquoi le Pape François propose-t-il cette solution? Peut-être pour deux motifs.

En premier lieu, il semble qu'il entende son munus comme une charge de caractère purement administratif, comme s'il s'agissait d'un emploi parmi tant d'autres, une fonction appauvrie du souffle transcendant qui la caractérise, presque désacralisée. Et comme toute énergie humaine, ceci peut cesser. Tout le monde tôt ou tard va à la retraite.

En second lieu, parce que, selon une certaine perspective immanentiste, c'est la pratique qui génère la règle / les institutions, et non l'inverse. Un processus qui privilégie le devenir par rapport à la norme, qui plie cette dernière laux faits. Dans ce cas également, il suffit non pas d'une coutume répandue pour légitimer le nouveau cours, mais d'une seule exception - la démission d'un pape - et voilà l'exception qui devient la règle.

Le pape mentionne que «il y a soixante-dix ans, les papes émérites n'existaient pas», mais qu'ensuite, l'histoire de l'Eglise a pris des chemins différents.
Bien sûr, l'histoire a offert de nombreuses modalités à travers lesquelles la papauté s'est exprimée, mais la renonciation à l'exercice du ministère pétrinien va-elle dans la direction de l'économie du salut ou, bien, tout en n'étant pas en contradiction avec elle, marque-t-elle un coup d'arrêt?