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Une nouvelle interviewe du Pape

Cette fois, c'était au quotidien romain "Il Messagero" (30/6/2014)

Mardi dernier 24 juin, François a accordé une longue interviewe à Franca Giansoldati, la vaticaniste du quotidien romain "Il Messaggero".
C'est une façon de "communiquer" qui assure sa popularité, et dans son esprit, une façon d'évangéliser. Mais cela ne fait plus tellement les gros titres, car ce n'est plus "l'exceptionnel".
L'interviewe aborde plus les thèmes sociologiques, peu susceptibles d'engendrer des polémiques (les maux dont souffre une mégapole comme Rome et la corruption des politiques occupent une bonne partie de l'interviewe) que religieux: ceux-ci sont à peine évoqués.
On retrouve celui désormais habituel de la pauvreté (à ce propos, l'idéologie communiste ne donne lieu à aucune condamnation, mais une une simple boutade du Pape, qui fait le titre de l'article....).

Le Pape n'échappe pas à la question féministe, sur la place des femmes dans l'Eglise, et il s'en tire par une pirouette qui pourraient mécontenter certaines militantes...
Enfin, l'interviewe n'aborde aucun des thèmes brûlants qui seront au coeur du prochain Synode sur la famille. Sage décision du Pape, ou de ses conseillers.

Une petite remarque: Franca Giansoldati dit rencontrer le Pape pour la première fois, mais cette photo "selfie" la montre dans l'avion avec François (sans doute de retour de Terre Sainte), et celle ci-dessus illustre un article de décembre 2013.

Original ici: www.ilmessaggero.it/PRIMOPIANO/VATICANO/papa_francesco_serve_argine_deriva_morale/notizie/770510.shtml
Ma traduction.

LE PAPE FRANÇOIS: «LE COMMUNISME NOUS A VOLÉ NOTRE DRAPEAU»
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Le rendez-vous est à Sainte Marthe, l'après-midi. Une vérification rapide et un Suisse me fait asseoir dans un petit salon.
Six chaises de velours vert un peu usé, une table basse en bois, une télévision d'un ancien modèle. Tout est en ordre parfait, le marbre poli, quelques cadres. Ce pourrait être une salle d'attente paroissiale, de celles où l'on va demander des conseils, ou apporter des documents pour un mariage.
François entre en souriant: «Enfin! Je vous ai lue et maintenant je vous connais». Je rougis. «Moi, au contraire, je vous connais, et maintenant je vous écoute».

Il rit. Il rit beaucoup, le pape, comme il le fera d'autres fois dans le cadre de plus d'une heure de conversation à bâtons rompus. Rome avec ses maux de mégapole, l'époque des changements qui affaiblissent la politique; la difficulté pour défendre le bien commun; la réappropriation par l'Eglise des thèmes de la pauvreté et du partage («Marx n'a rien inventé»), l'effroi face à la dégradation des périphéries de l'âme, abîme moral glissant où l'on abuse de l'enfance, où l'on tolère la mendicité, le travail des enfants et, surtout, l'exploitation de baby-prostituées d'à peine quinze ans. Et les clients qui pourraient être leur grand-père; «pédophiles» les définit le Pape. François parle, explique, s'interrompt, revient en arrière. Passion, douceur, ironie. Un filet de voix, il semble bercer les mots. Les mains accompagnement le raisonnement, il les croise, les dénoue, elles semblent dessiner des formes invisibles dans l'air.
Il est en très bonne forme malgré les rumeurs sur son état de santé.

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- En ce moment, il y a le match entre l'Italie et l'Uruguay (c'était donc le mardi 24). Saint-Père, pour qui êtes-vous?
« Ah moi, pour personne, vraiment. J'ai promis au président du Brésil (Dilma Rousseff ndlr) de rester neutre.

- Nous commençons par Rome?
« Mais vous savez, moi, je ne connais pas Rome. Pensez que la Chapelle Sixtine, je l'ai vue pour la première fois lorsque j'ai participé au conclave qui a élu Benoît XVI. Je ne suis même jamais allé dans les musées. Le fait est que je ne venais pas souvent quand j'étais cardinal. Je connais Sainte Marie Majeure, parce qu'y allais toujours. Et puis Saint-Laurent-hors-les-Murs où je suis allé pour les confirmations du temps de don Giaccomo Tantardini. Évidemment Piazza Navona, parce je logeais toujours tout près, via delle Scrofa

- Il y a quelque chose de romain, chez l'argentin Bergoglio?
« Peu ou rien. Je suis plus piémontais, ce sont les racines de ma famille d'origine. Cependant je commence à me sentir romain. J'ai l'intention de visiter la région, les paroisses. Je découvre peu à peu cette ville. C'est une très belle métropole, avec les problèmes des grandes métropoles. Une petite ville possède une structure presque univoque, une métropole, par contre, comprend sept ou huit villes imaginaires, superposées sur plusieurs niveaux. Y compris des niveaux culturels. Je pense, par exemple, aux tribus urbaines de jeunes. C'est pareil dans toutes les métropoles. En Novembre, nous ferons justement à Barcelone juste un colloque consacré à la pastorales des métropoles. En Argentine, on a promu des échanges avec le Mexique. On découvre de nombreuses cultures croisées, pas tellement à cause de l'immigration, mais parce qu'il s'agit de territoires culturels transversaux, constitués d'appartenances propres. Des villes dans la ville. L'Eglise doit savoir aussi comment réagir face à ce phénomène.

- Pourquoi, dès le début, avez-vous voulu souligner autant votre fonction d'Evêque de Rome?
« Le premier service de François, c'est ça: être évêque de Rome. Tous les titres du Pape, Pasteur universel, Vicaire du Christ, etc, il les a justement parce qu'il est l'évêque de Rome. C'est le choix primitif. La conséquence de la primauté de Pierre. Si demain le Pape voulait être l'évêque de Tivoli, il est clair que je me ferais chasser.

- Il y a quarante ans, sous Paul VI, le Vicariat a promu un congrès sur les maux de Rome. Il en est émergé l'image d'une ville dans laquelle ceux qui avaient beaucoup avaient le meilleur, et ceux qui avaient peu, le pire. Aujourd'hui, à votre avis, quels sont les maux de cette ville?
« Ce sont ceux des métropoles, comme Buenos Aires. Ceux qui augmentent leurs revenus, et ceux qui sont toujours plus pauvres. Je n'étais pas au courant de la conférence sur les maux de Rome. Ce sont des questions très romaines, et moi à l'époque j'avais 38 ans. Je suis le premier pape qui n'a pas pris part au Concile, et le premier qui a étudié la théologie dans l'après-Vatican II, et à l'époque, pour nous la grande lumière était Paul VI. Pour moi Evangelii Nuntiandi reste un document pastoral jamais dépassé.

- Y a-t-il une hiérarchie de valeurs à respecter dans la gestion des affaires publiques?
« Bien sûr. Toujours protéger le bien commun. La vocation de tout homme politique, c'est cela. Un concept large qui comprend, par exemple, la protection de la vie humaine, de sa dignité. Paul VI disait que la mission de la politique reste l'une des plus hautes formes de charité. Aujourd'hui, le problème de la politique - je ne parle pas seulement de l'Italie, mais de tous les pays, le problème est mondial -, c'est qu'elle est dévaluée, ruinée par la corruption, le phénomène des pots-de-vin. Je me souviens d'un document publié les évêques français il y a 15 ans. C'était une lettre pastorale qui était intitulée: "Réhabiliter la politique" et il abordait ce sujet. S'il n'y a pas de service à la base, on ne peut même pas comprendre l'identité de la politique.

- Vous avez dit que la corruption a une odeur de putréfaction. Vous avez dit aussi que la corruption sociale est le fruit d'un cœur malade et pas seulement des conditions extérieures. Il n'y aurait pas de corruption sans coeurs corrompus. Le corrompu n'a pas d'amis, seulement des idiots utiles. Pouvez-vous nous l'expliquer mieux?
« J'ai parlé deux jours de suite de cet argument, parce que je commentais la lecture de la vigne de Naboth. J'aime parler sur les lectures du jour. Le premier jour, j'ai abordé la phénoménologie de la corruption, et le deuxième la façon de mettre fin à la corruption. Le corrompu, de toute façon, n'a pas d'amis, il a seulement des complices.

- Pensez-vous que nous parlons beaucoup de la corruption parce que les médias insistent trop sur le sujet, ou parce qu'effectivement, c'est une maladie endémique et grave?
« Non, malheureusement, c'est un phénomène mondial. Il y a des chefs d'Etat en prison pour cela. Je me suis interrogé beaucoup, et je suis venu à la conclusion que de nombreux maux se développent surtout pendant les changements importants. Nous vivons non pas tant une époque de changement, mais un changement d'époque. Et donc, il s'agit d'un changement de culture; c'est dans ces phases qu'émergent des choses de ce genre. Le changement d'époque alimente la décadence morale, non seulement en politique, mais dans la vie économique ou sociale.

- Même les chrétiens ne semblent pas briller par leur témoignage ...
« C'est l'environnement qui facilite la corruption. Je ne dis pas que tout le monde est corrompu, mais je pense qu'il est difficile de rester honnête en politique. Je parle du monde entier, pas de l'Italie. Je pense aussi à d'autres cas. Parfois, il y a des gens qui voudraient faire les choses dans la clarté, mais ensuite, ils se retrouvent en difficulté et c'est comme s'ils étaient engloutis par un phénomène endémique, à plusieurs niveaux, transversal. Non pas parce que c'est la nature de la politique, mais en raison d'un changement d'époque, la pression vers une certaine dérive morale devient plus forte.

- Qu'est-ce qui vous fait le plus peur, la pauvreté morale ou la pauvreté matérielle d'une ville?
« Les deux me font peur. Un affamé, par exemple, je peux l'aider pour qu'il n'ait plus faim, mais s'il a perdu son travail et ne peut plus trouver d'emploi, cela a à voir avec une autre pauvreté. Il n'a plus de dignité. Il peut aller à la Caritas et ramener à la maison des vivres, mais il expérimente une pauvreté très grave qui lui ruine le coeur. Un évêque auxiliaire de Rome m'a dit que beaucoup de gens vont à la cantine et en secret, pleins de honte, ils ramènent de la nourriture chez eux. Leur dignité est progressivement appauvrie, ils vivent dans un état de prostration.

- Dans les rues de Rome, on voit des fillettes d'à peine 14 ans souvent contraintes à la prostitution dans l'indifférence générale, tandis que dans le métro, nous voyons des enfants qui mendient. L'Eglise est-elle toujours le levain? Vous sentez-vous impuissant comme évêque en face de cette décadence morale?
« Je ressens de la douleur. Je ressens une douleur énorme. L'exploitation des enfants me fait souffrir. En Argentine, c'est la même chose. Pour certains travaux manuels on utilise les enfants parce qu'ils ont de petites mains. Mais les enfants sont aussi exploités sexuellement, dans les hôtels. Une fois, on m'a averti que dans une rue de Buenos Aires, il y avait des prostituées de 12 ans. J'ai vérifié et en effet c'était vrai. Cela m'a fait mal. Mais encore plus de voir que c'étaient des voitures puissantes conduites par des vieux qui s'arrêtaient. Ils auraient pu être leurs grands-pères. Ils faisaient monter la fillette et payaient 15 pesos qui servaient ensuite pour acheter des résidus de drogue, le «paquet». Pour moi, ce sont des pédophiles, ces gens qui font ça aux fillettes. Cela arrive aussi à Rome. La Ville Eternelle qui devrait être un phare dans le monde est un miroir de la dégradation morale de la société. Je pense que ce sont des problèmes qui se résolvent avec une bonne politique sociale.

- Que peut faire la politique?
« Répondre de manière nette. Par exemple, avec des services sociaux qui suivent les familles, en les accompagnant pour sortir de situations lourdes. Le phénomène indique une carence en travail social dans la société.

- Mais l'Eglise travaille beaucoup ...
« Il faut continuer à le faire. Nous devons aider les familles en diffioculté, un travail en amont, qui impose un effort commun.

- A Rome, de plus en plus de jeunes ne vont pas à l'église, ne baptisent pas leurs enfants, ne savent même pas faire le signe de la Croix. Quelle stratégie faut-il utiliser pour inverser cette tendance?
« L'Eglise doit sortir dans les rues, chercher les gens, aller dans les maisons, visiter les familles, aller vers les banlieues. Ne pas être une Eglise qui reçoit seulement, mais qui offre. "

- Et les curés de paroisse ne doivent pas mettre les bigoudis aux brebis ...
(Rires)« Bien sûr. Nous sommes dans un moment de mission depuis une dizaine d'années ans. Nous devons insister.

« Etes-vous inquiet au sujet de la culture de la dénatalité en Italie?
« Je pense que nous devons travailler plus pour le bien commun de l'enfance. Fonder une famille est un engagement, parfois le salaire n'est pas suffisant, vous arrivez à la fin du mois. Vous avez peur de perdre votre emploi ou ne pouvez plus payer le loyer. La politique sociale n'aide pas. L'Italie a un taux de natalité très bas, comme l'Espagne. La France va un peu mieux, mais il est encore trop bas. C'est comme si l'Europe était fatigué d'être une maman, préférant être une grand-mère. Cela dépend beaucoup de la crise économique et pas seulement d'une dérive culturelle marquée par l'égoïsme et l'hédonisme. L'autre jour, j'ai lu une statistique sur les critères pour les dépenses de la population mondiale. Après l'alimentation, les vêtements et les soins médicaux, trois éléments nécessaires, suivaient les cosmétiques et les dépenses pour les animaux domestiques.

- Les animaux comptent plus que les enfants?
« Ceci est un autre phénomène de dégradation culturelle. C'est parce que la relation affective avec les animaux est plus facile, plus programmable. Un animal n'est pas libre, tandis qu'avoir un enfant est une chose complexe.

- L'Evangile parle plus aux pauvres, ou aux riches, pour les convertir?
« La pauvreté est au cœur de l'Évangile. On ne peut pas comprendre l'Evangile sans comprendre la pauvreté réelle, en tenant compte qu'il ya aussi une pauvreté très belle de l'esprit: être pauvre devant Dieu parce que Dieu vous comble. L'Evangile s'adresse indistinctement aux pauvres et aux riches. Et il parle de la pauvreté est de la richesse. Il ne condamne pas du tout les riches, mais plutôt les richesses quand elles deviennent des objets idolâtré. Le dieu de l'argent, le veau d'or.

- Vous passez pour un pape communiste, paupériste, populiste. The Economist qui vous a consacré une couverture affirme que vous parlez comme Lénine. Vous vous retrouvez dans ces vêtements?
« Je dis que les communistes nous ont volé notre drapeau. Le drapeau des pauvres est chrétien. La pauvreté est au cœur de l'Evangile. Les pauvres sont au cœur de l'Evangile. Prenez Matthieu 25, le protocole sur lequel nous serons jugés: J'avais faim, j'avais soif, j'étais en prison, j'étais malade, nu. Ou regardez les Béatitudes, un autre drapeau. Les communistes disent que tout cela est communiste. Oui, c'est ça, vingt siècles plus tard. Alors quand ils parlent, on pourrait leur dire: mais vous êtes chrétiens (rires).

- Si vous me permettez une critique ..
«Bien sûr ...

- Vous parlez peut-être peu des femmes, et quand vous en parlez, vous affrontez l'argument seulement du point de vue de la maternité, la femme épouse, la femme mère, et ainsi de suite. Pourtant, les femmes désormais dirigent des Etats, des multinationales, des armées. Dans l'Église, selon vous, quelle place les femmes occupent-elles?
«Les femmes sont la plus belle chose que Dieu a faite. L'Église est femme. Eglise est un mot féminin. On ne peut pas faire de théologie sans cette féminité. De cela, vous avez raison, on ne parle pas assez. Je suis d'accord que nous devrions travailler plus sur la théologie de la femme. Je l'ai dit et il travaille dans cette direction.

- N'entrevoyez-vous pas un certain fond de misogynie?
«Le fait est que la femme a été prise à partir d'une côte .. (il rit de bon coeur). Je plaisante, c'est une blague. Je suis d'accord que nous devrions approfondir davantage la question féminine, sinon on ne peut pas comprendre l'Eglise elle-même.

- Pouvons-nous attendre de vous des décisions historiques, du type une femme à la tête d'un dicastère, je ne dis pas du clergé ...
(rires) «Eh bien, les prêtres finissent si souvent sous l'autorité de leur gouvernante ...

- En Août, vous irez en Corée. C'est la porte pour la Chine? Misez-vous sur l'Asie?
« En Asie, je vais aller deux fois en six mois. En Corée en Août pour rencontrer les jeunes Asiatiques. En Janvier, au Sri Lanka et aux Philippines. L'Église en Asie est une promesse. La Corée représente beaucoup, elle a derrière elle une belle histoire, pendant deux siècles, elle n'avait pas de prêtres et le catholicisme s'est maintenu grâce aux laïcs. Il y a eu aussi des martyrs. En ce qui concerne la Chine, c'est un grand défi culturel. Très grand. Et puis il ya l'exemple de Matteo Ricci, qui a fait tant de bien ...

- Où va l'Eglise de Bergoglio?
« Dieu merci, je n'ai pas d'Eglise, je suis le Christ. Je n'ai rien fondé. Du point de vue du style, je n'ai pas changé depuis que j'étais à Buenos Aires. Si, peut-être un peu, parce qu'il le faut, mais le changement à mon âge, aurait été ridicule. Sur le programme, en revanche, je suis ce que les cardinaux ont demandé au cours des congrégations générales avant le conclave. Je vais dans cette direction. Le Conseil des huit cardinal, un organisme externe, vient de là. Il avait été demandé pour aider à réformer la curie. Chose par ailleurs pas facile, car on fait un pas, puis il émerge qu'il faut faire ceci ou cela, et si avant il y avait un dicastère, après il y en a quatre. Mes décisions sont le fruit des réunions de pré-conclave. Je n'ai rien fait seul. "

- Une approche démocratique...
« C'étaient les décisions des cardinaux. Je ne sais pas si c'est une approche démocratique, je dirais plus synodale, même si le mot n'est pas approprié pour les Cardinaux.

- Que souhaitez-vous au Romains pour leurs Patrons Saints Pierre et Paul?
« Qu'ils continuent à être braves. Ils sont tellement sympathiques. Je le vois dans les audiences et quand je vais dans les paroisses. Je leur souhaite de ne pas perdre la joie, l'espérance, la confiance malgré les difficultés. Même le romanaccio (patois romain) est beau.

- Wojtyla avait appris à dire, «volemose bene, damose da fa'». Vous avez appris quelques mots en dialecte?
« Pour l'instant pas grand chose. Campa e fa' campa' (Rires bien sûr).