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Benoît XVI n'a pas renoncé

Un texte de Paul Badde sur le Figaro du 11 février (14/2/2014)

Les lecteurs de ce site connaissent sans doute bien Paul Badde, le vaticaniste de Die Welt, dont plusieurs articles ont été traduits ici.
Au lendemain de la renonciation, en février 2013, il livrait son analyse "à chaud" (cf. benoit-et-moi.fr/2013-I/articles/demission-lanalyse-de-paul-badde-die-welt).

Cette analyse a mûri, en un an. On verra que sa réflexion n'est pas très éloignée de celle d'Antonio Socci... et a de quoi faire grincer les dents à Tornielli. (cf. Autour de la renonciation de Benoît XVI)
Cet article a été publié en français dans le Figaro, et je me permets de le reproduire...

(...) Par son acte du 11 février 2013, il n'a pas vraiment abandonné ce ministère.
En posant ce geste, il n'a fait que donner une dimension collégiale à cette fonction personnelle, comme s'il s'agissait d'un ministère commun.
Depuis ce jour, il n'y a pas deux papes, mais une fonction élargie du pontificat.
Voilà pourquoi il n'a renoncé ni à l'habit blanc ni à son nom.
Voilà pourquoi il ne s'est pas retiré, comme jadis l'empereur Charles V le fit dans un monastère de la lointaine Espagne. Il a choisi de rester au cœur du Vatican comme s'il s'était simplement écarté pour faire place à son successeur et permettre une nouvelle étape dans l'histoire de la papauté qu'il a ainsi enrichie d'une puissance de prière et de conseil… dans les jardins du Vatican. En aucun cas il n'a pas pris la fuite face à la charge pétrinienne. Il en a plutôt renforcé la puissance. Et c'est ce qui en restera.
     

Pourquoi Benoît XVI n'a pas renoncé

Paul Badde (*)
Le Figaro, 11 février 2014
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Au terme de son pontificat, Benoît XVI a fait détruire son anneau du pêcheur comme il est d'usage après la mort d'un pape. En revanche, il n'a pas rendu son nom. Il n'est pas redevenu Joseph Ratzinger, à l'instar du pape Célestin V, qui, après peu de mois dans ses fonctions de pape, avait repris son ancien nom, Pietro del Morrone, le 13 décembre 1294. C'est pourquoi, depuis le 11 février 2013, le pontificat n'est plus ce qu'il était. Il restera cependant le fondement de l'Église catholique. Or, c'est cette base que Benoît XVI a durablement modifiée par son attitude aussi souveraine que celle de Charles Quint quand, le 25 octobre 1555, il déposa, à Bruxelles, la couronne de l'empire le plus puissant de toute la terre. Il ne fallait donc pas alors s'étonner de voir, il y a un an, un éclair frapper le dôme de Saint-Pierre. Benoît XVI a renoncé à sa charge et s'est comporté comme un révolutionnaire.

Il fut le premier à succéder à l'apôtre Pierre dans le nouveau millénaire. Une multitude de défis l'attendaient. Il les releva en gardien passionné du dépôt de la foi vu dans sa totalité. Mais ce grand conservateur a pourtant considéré sa dernière charge de manière plus sobre et plus moderne que presque tous ses prédécesseurs. En sa qualité de théologien, il savait combien Simon, auquel Jésus avait donné le nom de Pierre, était faible. Pourtant, la pierre reste pierre. Quand Benoît XVI se rendit compte qu'il était en train de s'effriter, il renonça à sa charge, pour, en considération des tâches surhumaines à accomplir, laisser la place à un successeur aussi solide que le roc. Il le fit en sa qualité suprême de bâtisseur de ponts entre des univers radicalement différents et déclara en latin à Rome le 11 février que ses forces lui faisaient défaut «pour exercer de façon adéquate le ministère pétrinien».

Le mot clé de cette déclaration en latin est l'expression «munus petrinum». Le terme latin munus a une signification plurielle. Il peut signifier tout autant «ministère» que «cadeau», «devoir», «direction», «victime», mais aussi «merveille». Mais ce que Benoît entend par «ministère pétrinien», c'est sa charge, avant mais aussi après son renoncement. Par son acte du 11 février 2013, il n'a donc pas vraiment abandonné ce ministère. En posant ce geste, il n'a fait que donner une dimension collégiale à cette fonction personnelle, comme s'il s'agissait d'un ministère commun. Depuis ce jour, il n'y a pas deux papes, mais une fonction élargie du pontificat. Voilà pourquoi il n'a renoncé ni à l'habit blanc ni à son nom. Voilà pourquoi il ne s'est pas retiré, comme jadis l'empereur Charles V le fit dans un monastère de la lointaine Espagne. Il a choisi de rester au cœur du Vatican comme s'il s'était simplement écarté pour faire place à son successeur et permettre une nouvelle étape dans l'histoire de la papauté qu'il a ainsi enrichie d'une puissance de prière et de conseil… dans les jardins du Vatican. En aucun cas il n'a pas pris la fuite face à la charge pétrinienne. Il en a plutôt renforcé la puissance. Et c'est ce qui en restera.

Et pourtant: qui lira encore dans cent ans les livres qu'il est parvenu à rédiger durant son pontificat, accomplissant ainsi un travail d'Hercule? Personne ne le sait. En revanche, on «lira» certainement un document qu'il n'a pas lui-même rédigé mais dont il a révélé l'importance capitale en accomplissant une démarche unique en son genre et très significative, même si elle est passée en partie inaperçue. Cette démarche touche non pas un livre mais un document iconographique.

Il s'agit de l'image du Christ «non fabriquée par la main d'un homme», qui a porté plusieurs noms au cours des siècles écoulés. On a parlé du «Saint-Suaire», du «vrai visage» ou du «voile de sainte Véronique». Il a été conservé de 706 à 1527 dans la basilique Saint-Pierre et il a été vénéré dans l'Empire byzantin sous le nom de «Mandylion» ou d'«Image d'Édesse». C'est un ensemble d'une extrême finesse et délicatesse car l'image se trouve sur un voile de laine de mer (du «byssus», fibre obtenue à partir de filaments de coquillage). Ce voile tellement précieux a disparu de la basilique Saint-Pierre pendant les troubles du sac de Rome et a été vraisemblablement mis en sécurité sur une colline isolée des Abruzzes par Ferdinando de Alarcon, le commandant espagnol du château Saint-Ange. Le Saint-Suaire a donc longtemps été porté disparu. Il est même entré dans la catégorie des légendes.
Il a fallu un intellectuel platonicien comme Benoît XVI pour prendre réellement au sérieux le message véhiculé par cette image originelle. Quatre cent soixante-dix-neuf ans plus tard, il fut le premier pape à oser s'agenouiller devant ce voile où apparaît le visage du Christ. C'était le 1er septembre 2006 à Manoppello (à 200 km à l'est de Rome), où le suaire est toujours conservé (images ici: beatriceweb.eu/Blog06..manoppello.html ).

Depuis ce jour, le «visage humain de Dieu» devint le sceau de son pontificat. Dans sa prédication de la nouvelle année, le 1er janvier 2013, il y fit référence seize fois (cf. www.vatican.va...world-day-peace_fr.html).
Voilà «le» testament de Benoît XVI: Dieu s'est fait homme, et nous possédons, sans le savoir, une image du visage du Dieu invisible. Elle est la marque singulière de la chrétienté, Benoît XVI l'a ramenée dans l'Histoire. Il a redécouvert ce «texte» visuel et originel comme une sorte de carte mémoire du cosmos et un souvenir puissant qui continuera à raconter de manière extraordinaire la résurrection du Christ, d'entre les morts et jusqu'à la fin des temps.

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(*) Paul Badde est en particulier l'auteur de «L'Autre Suaire. Enquête sur le secret de Manoppello», Éditions de l'Emmanuel (www.amazon.fr/ ).