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Benoît XVI, vrai signe de Dieu

Extrait du livre de témoignages publié après la renonciation par La Nef (2/3/2014)

>>> Benoît XVI,
Le pontificat de la joie (http://www.lanef.net/t_livre/benoit-xvi-9782360402212-le-pontificat-de-la-joie-75699.asp )

>>> Voir aussi la contribution-hommage du Père Abbé de l'Abbaye Sainte-Madeleine de Le Barroux, Dom Louis-Marie Geyer d’Orth, que j'avais traduite ici d'après la version italienne: http://benoit-et-moi.fr/2013-II/articles/la-leon-dhumilite-de-benoit.html

     

Dans la bibliographie que j'ai publiée récemment (Bibliographie sur Benoît XVI ), un lecteur m'a signalé un oubli, que je répare volontiers, bien qu'il n'était qu'apparent. Il s'agit d'un "Cahier de La Nef" intitulé "Benoît XVI, le Pontificat de la joie", je l'avais inclus dans les "hors séries publiés lors de la renonciation" (cf. /benoit-et-moi.fr/2013-I/livres-dvd/index.php ).
C'est un ouvrage collectif (préfacé par le cardinal Barbarin) en deux parties: d'abord une "analyse du pontificat" par différents contributeurs, ensuite une série de témoignages, dont un de l'Abbé Benoît qui m'avait fait l'honneur de m'en "offrir" un autre, ici: Le jour de l'adieu (3)

Parmi ces témoignages, tous très beaux, je reproduis celui-ci, il m'est tombé sous les yeux en ouvrant le livre, et il donne le ton de l'ouvrage.
A noter, tout spécialement, le paragraphe en bleu ci-dessous.

     

Benoît XVI, vrai signe de Dieu

R.P Emmanuel-Marie
Abbé des Chanoines Réguliers de la Mère de Dieu, Lagnasse
(Pages 118 à 123)
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En apprenant la renonciation à la charge pontificale de Benoît XVI, ce 11 février dernier, comme beaucoup, nous avons été tentés de gémir. Nous aurions pu reprendre les paroles que la liturgie met sur les lèvres des disciples de saint Martin au soir de la vie du grand évêque: « Cur nos, Pater, deseris? Pourquoi, Père, nous abandonner ? »
On a évoqué une faute de faiblesse, une lâcheté que n'avait pas eue son prédécesseur, face à la vieillesse et au déclin des forces. Or Benoit XVI a toujours su allier une grande prudence avec une force persévérante. Il avait abordé avec Peter Seewald ce sujet: « Quand le danger est grand, il ne faut pas s'enfuir [...] C'est ma conception. On peut se retirer dans un moment calme, ou quand tout simplement on ne peut plus [...] (Quand) physiquement, psychiquement et spirituellement il ne peut plus assumer la charge de son ministère, alors il a le droit et, selon les circonstances, le devoir de se retirer. » Mettant en parallèle cette déclaration et sa brève allocution au consistoire du 11 février dernier, on peut comprendre que sa décision a été longtemps mûrie dans la prière et la réflexion. Son acte est un acte de gouvernement. Un des plus importants de tout son pontificat, bien évidement. Il est le fruit d'une grande lucidité, l'expression de sa finesse de gouvernement. Lui seul pouvait évaluer ces « circonstances » qui lui auraient imposé « le devoir de se retirer », dans ce contexte d'un épuisement toujours croissant, face aux difficultés incommensurables de son ministère. Il a agi en homme libre et humble, libre parce que humble et remarquable de sagesse.
Non, il ne nous a pas abandonnés. Il a réformé, engagé l'Église sur des remises en cause profondes, il a ouvert réflexions et débats de pénétrante façon, choisi des hommes pour l'aider. Il a préparé l'avenir et, à court terme, ce conclave qui doit élire son successeur.
Il nous faut lui faire confiance, ici encore.
Nous devons percevoir en Jésus-Christ le vrai et unique pasteur du troupeau qui demeure, chef qui n'abandonne pas son Église. N'est-ce pas la vraie manière de témoigner de l'espérance qui nous anime?
Dans cet hommage à Benoit XVI, dans l'action de grâces pour son pontificat, je voudrais me limiter à trois aspects : il a été l'image du Christ serviteur, le chantre de la joie née de l'Esprit-Saint et un des visages rayonnants du Père des cieux.
Lui qui a aimé évoquer le « visage de Dieu », apparait aussi comme une « icône » qui nous renvoie au Seigneur Dieu.

Le Christ serviteur
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Souvenons-nous. Joseph Ratzinger, prêtre, avait souhaité demeurer un théologien professeur. L'Église l'a pris, l'a choisi et fit de lui un évêque, un pasteur, comme un Augustin en son temps. Il avait souhaité prendre sa retraite, après la mort de Jean-Paul Il. L'Esprit-Saint, par un conclave, l'a fait évêque des évêques. Joseph Ratzinger a alors accepté, comme un vrai serviteur de l'Église. Oui, il fut bien l'image, le vicaire du Christ serviteur : « Mon véritable programme de gouvernement est de ne pas faire ma volonté, ne pas poursuivre mes idées, mais, avec toute l'Église, de me mettre à l'écoute de la Parole et de la volonté du Seigneur, et de me laisser guider par lui, de manière que ce soit lui-même qui guide l'Église en cette heure de notre histoire. »
Tant de fois, il a invité cardinaux, évêques et prêtres, à « assumer le style du Fils de Dieu, venu au milieu de nous comme celui qui sert ». Il a exigé d'eux un « style de vie », qui soit l'adéquate expression d'un Servitium amoris, un service d'amour, selon le mot d'Augustin. Tout pasteur doit « un sacrifice constant à Dieu pour le salut de son Église, en particulier pour le salut des à mes qui lui ont été confiées ». Lui-même s'est imposé comme un pasteur humble et simple, sans reniement aucun de sa dignité pontificale, dans un don de soi inlassable.
Comme le Christ, ce Serviteur de Dieu a été menacé par des « loups ». Il les évoquait dès son élection. Ils ne l'ont guère épargné. Attaques extérieures, calomnies, campagnes de presse et manipulations des mots. Mais aussi trahisons de proches collaborateurs, auxquels il pardonne. Il a affronté la « crise de l'Année sacerdotale » avec lucidité et fermeté dans les mesures adoptées : «La plus grande persécution de l'Église ne vient pas de ses ennemis extérieurs, mais nait du péché de l'Église. » Voilà surtout ce qui l'affectait, le blessait. En ces combats, il est resté patient et fort, mais aussi toujours compatissant.

Chantre de la joie de l'Esprit-Saint
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Au cœur de la désespérance de ce monde vieilli, il a offert un visage de la joie chrétienne, celui d'une sagesse joyeuse, pacifiante, ouverte à l'espérance. Sa joie sereine, son calme dans l'orage de la veillée des JMJ à Madrid est un beau symbole.
Nul Pape n'a autant parlé de la joie, et peu de théologiens aussi bien que lui. Il en rappelait le fondement: c'est dans la victoire du Christ, offerte par l'Esprit-Saint, que l'Église garde ce trésor depuis la Pentecôte. L'Esprit est vraiment «l’âme de notre espérance et la source de la vraie joie». Dans une belle allocution à ses cardinaux, il pouvait affirmer « L'Esprit Saint nous donne la joie. Et il est la joie. La joie est le don dans lequel tous les autres dons sont résumés. Elle est l'expression du bonheur, de l'harmonie avec soi-même, ce qui ne peut dériver que du fait d'être en harmonie avec Dieu et avec sa création. Rayonner, être communiquée, fait partie de la nature de la joie. L'esprit missionnaire de l'Église n'est rien d'autre que l'impulsion à communiquer la joie qui nous a été donnée », mission pour « repousser le mal et à être serviteurs de la paix et de la réconciliation».
Oui, toujours « être joyeux parce qu’il m'a élu pour être catholique, pour être dans son Eglise, là où subsistit Ecclesia unica ». Être joyeux parce que 1'Église est belle, malgré ses faiblesses; parce qu'on se rendrait triste et aigre à rêver d'une communauté utopique et irréelle, à fuir l'Église telle qu'elle est.
Alors, devant le mystère du mal, devant la tristesse du monde, est-il permis d'être joyeux? La réponse du Pape est toute de netteté: «Car en disant "non" à la joie, nous ne rendons service à personne, nous ne faisons que rendre le monde plus obscur. » La joie est un très pur fruit de la foi « Nous le savons à partir de la foi et nous le voyons chaque jour: le monde est beau et Dieu est beau. Et, parce qu'il s'est fait homme et qu'il est venu habiter parmi nous, qu'il souffre et vit avec nous, nous le savons définitivement et concrètement: oui, Dieu est bon et il est bon d'être une personne. Nous vivons de cette joie. »
Cette joie, Benoit XVI la rayonnait. N'est-ce pas aussi pour cela que, à l'étonnement de beaucoup, il était tant aimé des jeunes ?

Visage rayonnant du Père
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Je peux témoigner pour ma part un trait de la paternité qui fut sienne.
Un mercredi d'Audience, il m’a été donné de le rencontrer quelques minutes. Échange rapide à ses questions attentives et délicates. Puis, avant de rejoindre secrétaires et prélats, il garde ma main dans les siennes et me dit, avec un visage triste : « Priez pour moi, priez pour moi, priez pour moi »... Il devait décider ces jours-là de la levée des excommunications des évêques de la Fraternité Saint-Pie X. Geste courageux, qui lui valut tant de critiques, d'incompréhensions. C'était un Père, un père douloureux mais aimant, miséricordieux.

Dans une de ses dernières Audiences, fin janvier, il nous offrait une vue de sagesse pénétrante sur le mystère du Père, au travers du Fils pauvre et offert. « C'est dans le Seigneur Jésus que se montre en plénitude le visage bienveillant du Père qui est aux cieux. [...] Sa toute-puissance ne s'exprime pas dans la violence [...] Dieu semble faible, si nous pensons à Jésus-Christ qui prie, qui se fait tuer. Une attitude faible en apparence, faite de patience, de douceur et d'amour, démontre que telle est la vraie façon d'être puissant! Telle est la puissance de Dieu ! Et cette puissance vaincra ! [... ] La toute puissance de l'amour n'est pas celle du pouvoir du monde, mais elle est celle du don total, et Jésus, le Fils de Dieu, révèle au monde la véritable toute puissance du Père en donnant sa vie pour nous pécheurs. Voilà la véritable, authentique et parfaite puissance divine : répondre au mal non par le mal mais par le bien, aux insultes par le pardon, à la haine meurtrière par l'amour qui fait vivre. Alors le mal est vraiment vaincu, parce qu'il est lavé par l'amour de Dieu' »
Oui, par Benoît XVI, se sont aussi dévoilés, au travers de la vulnérabilité, de la compassion et de 1'humilité, les traits du « visage bienveillant du Père ».
Ainsi Benoit XVI nous laisse-t-il un témoignage exemplaire et éloquent, un Magistère riche. «L'héritage est quelque chose qui appartient à l'avenir », disait-il. Le paradoxe n'est qu'apparent quand il s'agit des choses de la foi, arrhes de la vie éternelle. Ce grand Pape nous laisse un héritage. Pour l'avenir. En ce sens encore, non, il ne nous abandonne pas. Car « l'avenir appartient réellement à Dieu telle est la grande certitude de notre vie, le grand, le véritable optimisme que nous possédons ».
Il ne nous abandonne pas. Que nos cœurs de fils et filles de l'Église, dans la confiance, ne perdent jamais cet héritage lumineux.