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L'anniversaire du 11 février (4)

A un an de distance, Massimo Introvigne plaide pour une "herméneutique de la continuité"... même si ce n'est plus tout à fait évident, y compris pour lui (12/2/2014)

Yves Daoudal avait choisi cette image pour illustrer son billet muet: "Il y a un an".

M. Introvigne a choisi la même image de la foudre tombant sur sommet de la coupole de Saint-Pierre, le soir de la renonciation, pour son long article.
Etait-ce un signe, de ce qu'il appelle un évènement apocalytique? N'oublions pas que Benoît XVI croyait aux signes, et que parmi ceux qui ont émaillé son Pontificat, il y a le mémorable arc en ciel d'Auschwitz (cf. La colombe déchirée et les "signes" )

     

11 février. La leçon apocalyptique de Benoît XVI
Massimo Introvigne
11/02/2014
http://www.lanuovabq.it/it/articoli-11-febbraiola-lezione-apocalitticadi-benedetto-xvi-8413.htm
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Le 11 Février 2014 marque le premier anniversaire de l'un des événements les plus bouleversants de l'histoire de l'Eglise, l'annonce de la renonciation au ministère pétrinien par Benoît XVI. Beaucoup de journaux - partout dans le monde - multiplient les interprétations de «complotistes», mettant en cause les habituels noirs desseins des cardinaux, l'IOR et les prêtres pédophiles.

Je ne veux pas exclure que l'un ou plusieurs des thèmes évoqués aient influencé la décision de Benoît XVI.
Mais je maintiens que l'interprétation que je proposais dans ces colonnes il y a un an. D'une part, je ne comprends pas pourquoi nous devrions obligatoirement accuser Papa Ratzinger de mensonge, quand il a expliqué qu'en conscience, il considérait que ses forces physiques ne suffisaient plus à la lourde tâche de diriger l'Eglise, rappelant qu'en tant que théologien, il avait toujours soutenu que de nos jours, la machine de l'Eglise catholique est si complexe qu'un Pape qui n'est plus dans la plénitude de ses forces, plutôt que de déléguer à d'autres la direction, devrait démissionner.

D'autre part, le geste était objectivement - et je crois même qu'il voulait l'être - techniquement «apocalyptique»: un mot qui ne se réfère pas à la manie de prévoir des dates pour la fin du monde, certes étrangère à Benoît XVI, mais à une «révélation» , à un choc positif destiné à mettre les catholiques du monde entier en face d'une réalité dramatique du temps présent, à un long Vendredi saint de l'Église attaqué par des ennemis internes et externes.
En ce sens, à la lumière de la renonciation au ministère pétrinien, nous pouvons relire les fréquentes références à Benoît XVI à Fatima, aux prophéties sur la crise qui allait frappé le sacerdoce, et à la bonne doctrine de sainte Hildegarde de Bingen (1098-1179), par lui proclamée Docteur de l'Eglise, et aussi au caractère ultime et vraiment «apocalyptique» du défi de l'idéologie du gender, définie comme le plus grand danger pour l'Eglise et l'humanité lors du dernier discours de Noël à la Curie romaine, le 21 Décembre 2012.

Après un an, nous pouvons et peut-être nous devons nous demander: les catholiques - au-delà de la légitime curiosité sur les faits et les circonstances, qui risquent toutefois de faire perdre de vue l'essentiel - ont-il accueilli cet appel? Sont-ils plus, ou bien moins conscients du caractère «apocalyptique» du temps dans lequel nous vivons? Cette question a beaucoup à voir avec le débat hébergé par la «Nuova bussola quotidiana» sur la crise dans l'Église et le nouveau pontificat (cf. Une réponse à Mario Palmaro et articles suivants). À la lumière de ce débat aussi, on peut donner deux réponses: non pas opposées, mais différentes.
Ce sont deux «fenêtres» qui, à partir de positions différentes, regardent vers une partie de la même réalité.

Une première réponse est que non, les fidèles, dans leur majorité, par rapport à il y a un an, ne sont PLUS, mais au contraire MOINS conscients du caractère «apocalyptique» de l'ère dans laquelle nous vivons. Le nouveau pape a mis au centre de son ministère - et il l'a dit - l'urgence d'atteindre cette majorité (en Occident) de «lointains» qui ne vont jamais à l'église, à travers la prédication émouvante de la miséricorde et de l'amour de Dieu. Et il a mis au second plan - ou a délégué aux épiscopats locaux, avec des résultats très différents selon les pays - la dénonciation, typique de Benoît XVI, de l'agression «apocalyptique» que l'Eglise subit de la part de la «dictature du relativisme», traduite également dans des lois hostiles à la vie et à la famille.

Une deuxième réponse est que les fidèles - au moins ceux qui ne se laissent pas duper par les manipulations des médias laïcistes - sont en condition de comprendre que l'agression «apocalyptique» à l'Église continue avant tout d'abord parce qu'elle leur est rappelée par les ennemis de l'Eglise, par ceux qui proposent des lois sur l'homophobie, ou inscrivent au registre des suspects (en Espagne) les cardinaux qui répètent ce qu'enseigne le «Catéchisme de l'Église catholique» sur les homosexuels, jusqu'à des commissions de l'ONU, qui, s'appuyant sur la tragédie - malheureusement réelle, et personne plus de Benoît XVI ne nous l'a rappelé - des prêtres pédophiles, enjoignent au Magistère de changer sa doctrine sur l'avortement, l'homosexualité, la contraception.
A propos de la troisième partie du secret de Fatima, Benoît XVI faisait remarquer que la Sainte Vierge y révèle la figure d'un pape frappé par des tirs et des flèches. Les tirs viennent de loin, et représentent les attaques des ennemis de l'extérieur de l'Église. Les flèches viennent de près, et représentent les ennemis de l'intérieur. Ceux qui ont les yeux et disposent des catégories pour voir ne peuvent pas ne pas percevoir aujourd'hui à la fois les tirs et les flèches: non seulement la dictature du relativisme continue à attaquer l'Eglise, mais des épiscopats entiers - dirigées par des évêques qui toutefois ont été dans leur grande majorité choisis par Benoît XVI ou le Bienheureux Jean-Paul II, pas par le Pape François, de sorte que la crise n'est pas d'origine récente - avancent des propositions subversives en matière de morale familiale.

Dans cette deuxième perspective, les fidèles voient les temps «apocalyptiques», non seulement par le caractère techniquement inouï de l'agression, mais aussi parce que - pour ceux qui le connaissent à partir des sources - le Magistère du Pape François continue lui aussi d'offrir des éléments qui, s'ils sont plus occasionnels par rapport à Benoît XVI, ne manque cependant pas d'expressions fortes. Il suffit de penser à la dénonciation par le pape François de la «dictature du relativisme» lors de la première rencontre avec les diplomates du 22 Mars 2013; au regard vraiment «apocalyptique» sur l'avortement comme un péché qui, en raison de son énorme portée mondiale «crie vengeance en présence de Dieu» dans l'exhortation apostolique «Evangelii gaudium »; à l'évocation dans deux homélies les 18 et 28 Novembre du roman apocalyptique «Le Maître du Monde» par l'écrivain anglais Robert Hugh Benson, avec la dénonciation des lois actuellement en vigueur qui organisent des «sacrifices humains».

Bien sûr, la grande presse est silencieuse sur ces interventions du Pape François et donne au contraire une grande importance aux éléments évidents de discontinuité et de différence par rapport à Benoît XVI: la primauté du dialogue et de la miséricorde annoncée et pratiquée aussi avec les organisateurs du relativisme culturel comme Eugenio Scalfari, ou les «gay» évoqués dans une interview célèbre dans l'avion, ou le renoncement à intervenir sur la question de l'idéologie du gender et des lois qui s'en suivent, qui semble classée parmi les arguments dont «Evangelii gaudium» affirme que le Pape croit plus opportun de confier le traitement aux Conférences épiscopales nationales.

Comme je l'ai dit, chaque point de vue capte une partie réelle du même scénario. Personnellement, je pense que justement la conviction du Pape François de la nécessité de partir de l'annonce des vérités les plus élémentaires - la miséricorde, la bonté du Seigneur et de la Vierge Marie, les ruses du diable, même la bonne éducation dans la famille - est un signal, pour ceux qui savent le saisir, du fait que nous vivons une époque de naufrage anthropologique en quelque sorte «final», de sorte que la reconstruction devrait vraiment repartir de zéro.

Sur le mode de la reconstruction, il est normal, même parmi les catholiques fidèles au Pape et au «Catéchisme», qu'il y ait différentes interprétations. J'avoue être peu passionné par le débat sur ce qu'on appelle les «normalistes» (ndt: d'autant plus que l'étiquelle lui était personnellement adressée). L'étiquette doit indiquer ceux qui disent qu'il n'y a pas de discontinuité entre Benoît XVI et le pape François. Si c'est le cas, je ne connais pas beaucoup de «normalistes», et je ne fais certainement pas partie de cette catégorie. Il doit s'agir de personnes qui ne connaissent pas l'histoire de l'Eglise, dans laquelle il y a souvent - pour ne pas dire toujours - des moments de discontinuité. Y a-t-il eu une continuité parfaite quand on est passé du Bienheureux Pie IX (1792-1878) à Léon XIII (1810-1903), de saint Pie X (1835-1914) à Benoît XV (1854-1922), ou du Vénérable Pie XII ( 1876-1958) au Bienheureux Jean XXIII (1881-1963)? Il suffit de lire certains publication de ces époques pour voir combien de difficultés et de souffrances beaucoup de bons catholiques perçurent alors la discontinuité entre un pontificat nouveau et un précédent.

Dans le grand discours du 22 Décembre 2005 à la Curie romaine, Benoît XVI a lancé sa proposition d'une «herméneutique de la réforme dans la continuité» pour lire les documents de Vatican II non pas «contre», mais «à la lumière» du Magistère précédent. Ce discours fut par beaucoup mal compris, oubliant la continuité au nom de la réforme ou au contraire la réforme au nom de la continuité. Ce n'était pas une interprétation «normaliste» du Concile, comme si Vatican II n'avait rien changé. En le relisant en entier, on y trouvait l'indication de «discontinuités» qui émergent au premier coup d'oeil en examinant les textes du Concile. Benoît XVI invitait à accepter loyalement les éléments de la réforme du Concile, s'efforçant cependant de les interpréter - même si, il l'admettait, c'était difficile - «en continuité», et non pas «en rupure» avec le Magistère précédent.

Dans l'encyclique «Caritas in Veritate» Benoît XVI ajoutait que l'«herméneutique de la réforme dans la continuité» ne s'applique pas seulement au Concile. Elle doit également être appliquée au Magistère des Papes - l'exemple de l'encyclique était la doctrine sociale de Paul VI dans «Populorum Progressio» par rapport aux encycliques sociales de ses prédécesseurs - en accueillant les éléments de réforme, qui existent toujours, mais en les lisant à la lumière et pas «contre» les éléments précédents.

Je crois que Benoît XVI aujourd'hui, s'il n'avait pas opté pour le silence, nous inviterait à appliquer l'«herméneutique de la réforme dans la continuité» également à la relation entre le pape François et lui-même. Non pas pour nier - stupidement - les éléments de réforme, lesquels impliquent cette même «apparente discontinuité» qu'à première vue, dans son discours de 2005, Benoît XVI considérait comme évidente dans Vatican II par rapport au Magistère précédent. Mais pour s'efforcer de lire la «réforme» du pape François - même quand ce n'est pas facile - à la lumière du Magistère de Benoît XVI et non «contre» ce Magistère.

Dans un entretien publié le 10 Février, le théologien progressiste Hans Küng, qui fut un grand ami (??) du professeur Joseph Ratzinger avant de rompre avec lui après le Concile à cause de visions opposées de l'Église, a révélé qu'il avait reçu une lettre confidentielle du pape Benoît XVI en date du 24 Janvier 2014. Le pape émérite - qui, sur le plan humain, n'a jamais voulu rompre avec Küng, pardonnant même quelques offenses - aurait écrit entre autres: «Je suis reconnaissant d'être lié par une large identité de vues et une amitié de coeur avec le Pape François» (cf. Le Pape émérite m'a écrit).

Benoît XVI est un des esprits les plus perspicaces de notre temps, et il est habitué à peser chaque mot, surtout en écrivant écrit à des personnages comme Küng, dont il connaît la malice comme sa poche. Il ne propose certainement pas un «normalisme» naïf, et il est parfaitement conscient des éléments de réforme et de discontinuité introduits par le pape François. La référence à «l'identité de vues» est donc justement le énième rappel à l'«herméneutique de la réforme dans la continuité», dont la base théologique et historique - comme l'expliquait Benoît XVI - est la continuité dans l'histoire de l'unique sujet-Eglise (1). L'Église n'a pas fini quand est arrivé Léon XIII - étiqueté par certains comme un «socialiste» pour son attention à la justice sociale - après le bienheureux Pie IX, ou quand le bienheureux Jean XXIII a succédé au vénérable Pie XII. Elle continue d'être la même, aujourd'hui encore. Mais le fort rappel de Benoît XVI, avec son Magistère et avec le geste du 11 Février 2013, au caractère apocalyptique de l'époque que l'Église est en train de vivre ne peut pas et ne doit pas être perdu.

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(1) NDT: On peut tout simplement penser que Benoît XVI a décidé de garder le silence, et de ne pas interférer dans le gouvernement de l'Eglise. Tout autre propos, ou même l'absence de propos aurait immédiatemlent été interprété comme une ingérence - y compris par omission.