Accueil

Le Cardinal Meisner parle de son ami Benoît XVI

Une interviewe datant d'avril 2010. Reprise (25/6/2014)

Benoît XVI est un théologien d’une envergure telle que le bon Dieu n’en donne que tous les 100 ans. Parfois je le compare en moi-même à un des grands Pères de l’Eglise.

Du 22 au 25 septembre 2011, Benoît XVI était dans sa "chère patrie l'Allemagne" pour un voyage qualifié plus d'un an à l'avance par les médias d'"à haut risque". Les critiques et les menaces s'accumulaient, dans le but évident de le dissuader de venir, fait qui s'est répété de façon particulièrement visible pour son dernier voyage, au Liban.
Pages spéciales ici: benoit-et-moi.fr/ete2011.

Les oiseaux de mauvais augure étaient si actifs que le cardinal Meisner, en avril 2010, soit presque un an et demi à l'avance, interrogé par l'agence catholique germanophone kath.net, ne craignait pas de dire: "si j'étais Benoît XVI, étant donné les critiques et l'hostilité dont il fait ouvertement l'objet, je ne viendrais pas en Allemagne pour le moment".

Marie-Anne avait traduit pour moi la longue interviewe du cardinal archevêque de Cologne.
C'est aujourd'hui un document pour l'histoire - mais encore très actuel.

     

- M. le Cardinal, après le conclave, il y a cinq ans, on a pu voir sur votre visage la satisfaction que vous avez éprouvée après l’élection du Cardinal J. Ratzinger comme pape, vos espérances d’alors ont-elles été réalisées par le pape ?
Meisner : Parfaitement. Déjà aux obsèques de Jean-Paul II j’étais convaincu avec beaucoup d’autres qu’il y avait une symbiose entre le pape gisant dans le cercueil et le cardinal qui célèbrait la messe derrière l’autel. Jean-Paul II lui-même n’a jamais cessé de reconaître que le profil théologique de son pontificat, il le devait en grande partie, au Card. Ratzinger. Et Benoît XVI a su maintenir la continuité avec le grand Pontificat béni de son prédecesseur. Encore aujourd’hui, je repense avec joie au déroulement rapide et unanime du dernier conclave.

- Vous avez une relation tout à fait personnelle avec Benoît XVI. Aux JMJ de 2005 il était l’hôte de votre maison. Est-ce que le métier de pape lui pèse ?
Meisner : Lorsqu’il m’arrive de m’imaginer à sa place en pensant qu’il lui a fallu accepter cette charge à 78 ans, j’en tremble de la tête aux pieds. Lorsque j’ai fait obédience après le conclave je me suis dit : Mon Dieu, un homme faible devient le pasteur de 1,2 milliards d’hommes. Mais Benoît XVI ressemble tout à fait à Jean-Paul II en ce sens qu’il porte cette responsabilité avec une grande confiance en Dieu. Lorsqu’on élit un pape, il s’agit d’abord du choix de Dieu et pas seulement du choix des cardinaux. Eux, ils ne sont que des instruments qui manifestent la volonté de Dieu. Le service pétrinien dépasse de toute façon les forces humaines. Mais Dieu porte le fardeau de celui qu’il choisit. J’ai côtoyé un pape joyeux et plein d’espérance également à l’occasion des JMJ de 2005.

- Comment trouve-t-il son équilibre ?
Meisner : Naturellement, le pape est un homme comme tout le monde, qui a besoin de manger et de bien dormir. Il trouve son repos en récitant le rosaire dans les Jardins du Vatican. Et la théologie est restée pour lui une grande source d’enrichissement. N’oublions pas nons plus qu’il est un grand musicien. Lorsque je lui rends visite, je trouve toujours une partition différente sur son piano, qui est en lien avec la saison. Cela prouve qu’il travaille son piano. Et c’est vrai, qu’en jouant du piano on peut chasser quelque chagrin ou au contraire, exprimer certaines joies.

- Qu’est ce qui va rentrer, selon vous, de ce pontificat dans l’histoire de l’Eglise ?
Meisner : Tout d’abord il faut mentionner les JMJ de Cologne. Ce premier voyage pontifical qui l’a reconduit dans sa patrie, aura été un grand événement aussi pour l’Eglise universelle. Le savant qu’il est resté a su trouver comment parler aux jeunes pour leur transmettre l’évangile dans toute sa plénitude. J’en connais beaucoup qui vivent encore aujourd’hui de son message.

- Quels sont les accents théologiques sur lesquels il insiste ?
Meisner : Benoît XVI est un théologien d’une envergure telle que le bon Dieu n’en donne que tous les 100 ans. Parfois je le compare en moi-même à un des grands Pères de l’Eglise. Cela se voit dans son livre sur Jésus qu’il a réussi à écrire malgré la lourde charge de son pontificat puisque cela lui tenait tellement à cœur. Dans ce livre on peut mesurer la qualité théologique de ce pontificat. Benoît XVI y montre clairement d’une part que l’Eglise tiendra bon tant qu’elle restera liée au Christ, sinon elle tombera, d’autre part que le Jésus historique est le même que le Jésus de la Foi. C’est l’un des services les plus importants que ce pape aura rendu à l’Eglise.

- Après l’euphorie de « Nous sommes pape » Benoît XVI n’a plus bonne presse aujourd’ hui. Pour quelle raison ?
Meisner : Que l’euphorie du début n’a pas duré, c’est normal. Mais Benoît XVI continue à jouir encore d’une grande sympathie. A ses audiences il y a plus de pèlerins que durant le dernier tiers du pontificat de Jean-Paul II. Là, ce sont les pieds qui remplissent le bulletin de vote ! Mais j’ai honte pour nous, catholiques allemands, de la façon dont nous traitons le pape. Comment les professeurs de théologie et les medias allemands parlent de lui, y compris les catholiques ! Lorsque je suis à Rome, les évêques d’autres pays me demandent : Qu’est-ce qui se passe en Allemagne ? Nous sommes heureux d’avoir un tel pape, et vous, comment le traitez-vous ? » Et je ne peux qu’être d’accord avec eux.

- Après les affaires des abus sexuels, le pape a été critiqué personnellement…
Meisner : Je trouve malhonnête de critiquer le pape à cause des méfaits commis par les prêtres. Il n’a pas besoin qu’on lui apprenne ce que cela entraîne pour les jeunes gens, hélas. Vraiment, le pape qui doit maintenant payer pour toute l’Eglise, cela me fait mal. Je le soutiens entièrement en tant qu’évêque et surtout en tant que cardinal. Durant les 35 ans depuis que je suis évêque, je n’ai jamais vu l’Eglise passer par un tel fossé.

- Certains pensent que le pape se soucie plus du rapprochement avec la Fraternité St Pie X qu’avec les Eglises de la Réforme. Est-ce vrai ?
Meisner : Ce n’est qu’une imagination. Déjà en tant que cardinal il était chargé de cette affaire par Jean-Paul II. Mais à l’époque il n’a pas pu empêcher le schisme. Si maintenant, au bout de 30 ans, il reçoit des signaux qui donnent un peu d’espoir pour ramener ce groupe dans la communion de l’Eglise, il doit les regarder de près en tant que pape. C’est son devoir, que de sauvegarder l’unité de l’Eglise.
Quant à l’œcuménisme, l’Eglise orthodoxe n’a jamais été si heureuse d’un pape que maintenant. La théologie de Benoît XVI est tellement proche d’eux qu’entre les églises des catholiques et des orthodoxes une réunion semble pouvoir être envisagée dans un avenir pas très éloigné.

- Mais les églises portestantes pensent que l’œcuménisme n’avance pas du tout.
Meisner : Ce n’est pas vrai que l’œcuménisme avec les églises protestantes soit mis en veilleuse ou comme le dit Mme Kaessmann, qu’il n’y aurait rien à attendre de ce côté-là. Ce que Benoît XVI a obtenu en tant que théologien depuis des décennies soit par ses études soit par ses rencontres avec tant d’experts, n’a pas besoin d’être souligné par des gros titres, mais tout cela portera du fruit. Chez lui la visée œcuménique se trouve entre les meilleures mains.

- Le pape s’étend beaucoup moins sur l’évolution actuelle de l’Allemagne par rapport au souci du pape polonais pour sa patrie. Pourquoi ?
Meisner : On comprend cela en regardant la différence des circonstanes historiques. A l’époque, la Pologne a suscité le mouvement Solidarnosc en devenant un modèle pour la libération des autres pays communistes. Sans Jean-Paul II on n’aurait jamais eu de Solidarnosc. Et sans Solidarnosc on n’aurait pas connu la chute du mur de Berlin, comme l’a dit très justement Lech Walesa.

- Les Polonais manifestent souvent leur attachement à leur pape, Jean-Paul II. La relation de Benoît XVI pourrait-elle être améliorée s’il revenait dans son pays ?
Meisner : Je ne sais pas. Mais si j’étais Benoît XVI, étant donné les critiques et l’hostilité dont il fait ouvertement l’objet, je ne viendrais pas en Allemagne pour le moment. Mais peut-être le pape est un chrétien plus grand que l’archevêque de Cologne et il se dit : « Justement, parce que je suis battu par eux, que je reviendrai chez eux. »