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L'Eglise et la morale

Monique commente le discours de Benoît XVI lors de la visite ad limina des évêques suisses (9/1/2014)

>>> Cf.
Morale du monde, morale de l'Eglise

     

L'EGLISE PEUT-ELLE S'ABSTENIR DE PARLER DE MORALE?
Monique T.
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Lors de leur visite ad limina, en novembre 2006, les évêques suisses entendent Benoît XVI leur déclarer: "La morale s'est en quelque sorte divisée en deux parties."
Le Pape évoque, en premier lieu, "les grands thèmes de la paix, de la non-violence, de la justice pour tous, de la sollicitude pour les pauvres, et du respect de la création" comme étant un patrimoine commun de la morale mondaine et de la tradition morale de l'Eglise. Il ajoute que cet "ensemble éthique" [...] "constitue pour de nombreuses personnes la substitution ou la succession de la religion", car "la société moderne n'est pas simplement sans morale".

Effectivement, on ne trouvera pas beaucoup de citoyens totalement amoraux, au point de se montrer hostiles à la paix, à la justice, aux pauvres et à la création! Si l’Eglise ne propose QUE ces idéaux (ce qui en soi est déjà très ambitieux), elle n'entre en conflit avec personne.
Tout religieux catholique qui parle avec chaleur des pauvres, les embrasse ou leur consacre carrément sa vie devient rapidement une vedette médiatique, voire la femme ou l'homme préféré des Français... ou du monde entier. Pensons à l'Abbé Pierre, à Soeur Emmanuelle et à d'autres, actuellement vivants.

Peut-on dire pour autant qu'il existe une idylle entre l'Eglise et le monde concernant cette partie de la morale?
Non, pour deux raisons principales.
D'abord, parce qu'il est courant de subvertir la morale au moyen... de la morale.
Voici quelques exemples.
Au nom de la liberté de la femme, on tuera des enfants à naître. Joseph Ratzinger écrivait: "Qu'est-ce donc qu'une liberté qui s'arroge le droit de supprimer dès son origine la liberté d'un autre?" (1).
Par amour, on tuera des vieillards.
Par compassion, on manipulera et on tuera des embryons, dans le but de soigner des malades et on pratiquera l'eugénisme.
Au nom de l'égalité, on mariera des paires et on leur octroiera les moyens de se procurer des enfants (au besoin en soudoyant des femmes misérables).
Au nom de l'égalité entre l'homme et la femme, on enseignera le gender à des enfants de six ans et on brimera les jeunes mamans qui voudraient s'occuper elles-mêmes de leurs enfants.
Au nom de la liberté et de la justice, on décidera de bombarder un pays.

La deuxième raison, c'est la façon qu'a la société de traiter ceux qui dérogent aux grands principes moraux qu'elle défend encore.
Car, il faut le dire: notre société est, en fait, morale (à sa façon!) jusqu'à un puritanisme étouffant et même jusqu'au fanatisme.
Si l'Eglise connaît le repentir, la grâce, le pardon et finalement la paix, la société sans Dieu se montre impitoyable avec les déviants, qu'on accusera de racisme, d'islamophobie (la christianophobie n'étant pas répertoriée dans la liste des abominations), d'antisémitisme, d'homophobie, de misogynie, etc..
Et vous serez estampillé à vie!
Bizarrement, ce que vous dites a plus d'importance que ce que vous faites.
Celui qui a détourné des mineurs, ou qui a pioché dans la caisse ou qui a licencié abusivement ses employés dormira plus tranquille que celui qui a commis un "dérapage" verbal trente ans auparavant. Malheur à qui "dérape": c'est une affaire d'Etat, qui fait oublier toutes les lois iniques votées par le parlement, qui, elles, ne sont pas des "dérapages" mais des ignominies dont les promoteurs reçoivent tous les honneurs de la République.
Joseph Ratzinger écrivait: "N'existe-t-il pas une nouvelle oligarchie de ceux qui décident de ce qui est moderne, de ce qui fait partie du progrès, de ce qu'un homme éclairé doit penser? La cruauté de cette oligarchie, le pouvoir qu'elle a de lyncher quelqu'un sur la place publique, sont bien connus. Celui qui voudrait se mettre en travers de leur chemin est un ennemi de la liberté, parce qu'il entrave la liberté d'expression" (1).

Benoît XVI complète son allocution: "L'autre partie de la morale, qui est souvent comprise de façon très controversée par la politique concerne la vie".
Le Pape précise que ce volet de la morale concerne aussi le mariage et la famille. Le monde prône, dit-il, "une sorte de moralité de la non-discrimination et une forme de liberté due à l’homme".
Comme nous l'avons déjà évoqué en partie, la subversion de la morale bat ici son plein. Aujourd’hui, quand on parle de morale de l'Eglise, beaucoup de gens ne pensent qu'à la morale sexuelle... comme si la morale n'embrassait pas tous les champs de l'activité humaine y compris la justice sociale (§2083 au §2557 du Catéchisme de l'Eglise catholique, dont 70§ seulement pour la morale familiale et sexuelle).
Comme l'a expérimenté le Cardinal Ratzinger, les clercs sont assaillis de questions sur ces sujets par des journalistes qui ne s'intéressent à rien d'autre. Ce n'est pas l'Eglise qui est obsédée par ces questions, mais les journalistes et le public.
C'est peut-être ce qui exaspère le Pape François quand il dit: "Nous ne pouvons pas insister seulement sur les questions liées à l'avortement, au mariage homosexuel et à l'utilisation de méthodes contraceptives. Ce n'est pas possible. Je n'ai pas beaucoup parlé de ces choses, et on me l'a reproché.[...] Il n'est pas nécessaire d'en parler en permanence" (2).

Dans ce domaine, nous savons que se produit un choc frontal entre l'Eglise et le monde. Chaque page du catéchisme nous montre que les positions sont irréconciliables car il existe aujourd'hui pour le monde un Veau d'Or qui est la Liberté sexuelle. Rien ne surpasse la primauté de ce dieu Baal auquel on sacrifie son contingent d'enfants. C'est Baal qui détermine tous les comportements.
Pour le moment, le Pape ne souhaite pas mettre en avant ces questions mais, au moment du synode sur la famille, il faudra bien regarder la réalité en face et trancher.
Sur ces questions, le monde et l'Eglise divergent totalement et l'Eglise ne pourrait se rendre aimable qu'en se reniant. Même si le synode admet certains assouplissements (je ne vois pas lesquels...), il n'en arrivera jamais à adorer le dieu Baal!

François nous dit: "L'annonce de l'amour salvifique de Dieu est premier par rapport à l'obligation morale et religieuse" (2).
Nous comprenons ce qu'il veut dire: mais il est impossible d'affirmer que l’Eglise peut s'abstenir de parler de morale, si on donne à ce terme le sens plénier qu'évoque Benoît XVI dans son discours aux évêques suisses.
La morale c'est le déploiement de la vie, c'est l'homme en action; ce sont les œuvres.
Rappelons-nous ce que dit St Jacques (2,18): "Moi, c'est par les œuvres que je te montrerai ma foi".

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Notes:
(1) Discerner et agir/ ed.Parole et Silence, p. 217, puis p.214-215.
(2) Interview du Pape François aux revues culturelles jésuites (Civiltà Cattolica).