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Benoît a encore beaucoup à donner à l'Eglise

Le commentaire d'Andrea Gagliarducci à l'exposé du Pape émérite devant l'Université Pontificale Urbanienne (27/10/2014).

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La "lectio" de Benoît XVI à l'Urbanienne.

Sur son site en anglais <Monday Vatican>, A. Gagliarducci nous offre une explication de texte minutieuse de la leçon du Professeur Ratzinger, et met les propos du Pape émérite en perspective avec les évènements récents, spécialement le déroulement du Synode.
Excellent commentaire (avec de menues réserves concernant les allusions - compréhensibles! - au pape François).
Comme d'habitude chez Andrea Gagliarducci, le texte est truffé de liens vers des articles précédents de son site, que l'on retrouvera dans l'original en anglais. Je ne les ai pas reproduits, et les ai remplacés à plusieurs reprises par mes propres sources.

     

FRANÇOIS A VRAIMENT RAISON: BENOÎT XVI A ENCORE BEAUCOUP À DONNER À L'EGLISE
Andrea Gagliarducci
27 octobre, 2014
http://www.mondayvatican.com
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Un texte que Benoît XVI a envoyé le 21 Octobre à l'Université Pontificale Urbanienne de Rome a montré qu'en effet, François a raison quand il souligne que le pape émérite est une institution dont l'Eglise ne doit pas manquer de tirer profit (cf. interviewe au Corriere della Sera en mars dernier, benoit-et-moi.fr/2014-I/actualites/communication-directe).
En quatre pages - envoyées pour remercier l'Université d'avoir donné son nom à son Aula Magna - Benoît XVI a résumé les défis auxquels l'Eglise est confrontée aujourd'hui. En outre, ses paroles peuvent sembler une réponse aux propositions et aux idées pour l'Eglise dont beaucoup - notamment les médias sécularistes - font la promotion. Comme si l'Eglise était une démocratie dont les doctrines pouvaient être mises de côté par l'opinion publique.

L'intention de Benoît XVI n'était certainement pas d'aborder le débat actuel. D'autre part, quand les pensées sont si bien articulées et atteignent un sommet, il est naturel de les appliquer à la vie quotidienne, et d'essayer de comprendre la vie quotidienne à travers les lentilles de cette pensée.

L'Université Urbanienne étant l'université des missionnaires (gérée par la Congrégation pour l'Evangélisation des Peuples), Benoît XVI réfléchissait dans son texte sur la notion de mission. Il était lui-même parmi les experts appelés à re-rédiger le document du Concile Vatican II sur la mission "Ad gentes" .

Le pape émérite souligne que beaucoup se demandent si «la mission est toujours un défi actuel» et leur scepticisme les pousse à se demander s'il ne serait pas «plus approprié de se réunir dans un dialogue entre les religions pour servir conjointement la cause de la paix dans le monde.»

Benoît XVI va encore plus loin. Il demande si le dialogue peut remplacer la mission, puisque «de nos jours, en fait, beaucoup pensent que les religions doivent se respecter mutuellement et, dialoguant ensemble, devenir une force commune pour la paix.»

Le texte reflète une situation très courante.
Récemment, l'ancien président israélien Shimon Peres, dans le prolongement de la prière historique pour la paix dans les jardins du Vatican, a demandé à François d'approuver la promotion d'un «ONU des religions» (cf. Nous y voilà, 5/9) . Sagement, François a demandé aux dicastères appropriés du Vatican d'étudier la question. François a toujours voulu promouvoir une culture de la rencontre . Mais il sait aussi qu'une organisation comme les Nations Unies des religions (et d'ailleurs, il y a déjà beaucoup d'organisations de ce type) pencherait vers la laïcisation du rôle de la religion.

Les considérations de Benoît XVI sur la question de la vérité sont particulièrement pertinentes à cet égard. L'idée que les religions doivent être dans un dialogue constant l'une avec l'autre, d'égal à égal, pour le bien de la paix, a comme prémisse que «les différentes religions sont des variantes d'une seule et même réalité» et que «la "religion" est le genre commun, qui prend des formes différentes selon les différentes cultures, mais exprime toujours la même réalité. »

De cette façon - réfléchit Benoît XVI - «la question de la vérité qui, plus que toute autre chose, à l'origine a motivé les chrétiens est désormais mise entre parenthèses.» Ainsi, la vérité est mise de côté, car elle est considérée comme impossible à atteindre, et ce renoncement apparaît comme «réaliste et utile à la paix entre les religions du monde.»

Cependant - avertit Ratzinger - renoncer à la vérité est «mortel pour la foi. En effet, la foi perd son caractère contraignant et sa gravité, si tout se résume à des symboles au fond interchangeables, capables de renvoyer seulement de loin au mystère inaccessible du divin»

Un risque que le Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux a essayé d'éviter une déclaration en termes vigoureux publiée en Août pour stigmatiser les horreurs du califat autoproclamé en Irak et demander aux dirigeants religieux, notamment islamiques, de prendre une position ferme contre les massacres et discrimination perpétrés contre les minorités religieuses (cf. Chrétiens d'Irak: le Vatican réagit avec vigueur, 13/8). Cette déclaration représente un changement de rythme dans la diplomatie François: de la diplomatie de prière et du dialogue à celle de l'activité diplomatique fondée sur la vérité.

Benoît XVI part de son sujet favori, celui de la recherche de la vérité, pour éclairer la direction que la pensée chrétienne devrait suivre. Il offre deux points de départ, tous deux riches de sagesse pour comprendre la réalité d'aujourd'hui.

Quelle est la mission d'un chrétien aujourd'hui?
Benoît XVI dit qu'il y a des religions qui sont en attente - c'est-à-dire des religions qui vivent leur moment historique et pourtant sont en attente d'une plus grande rencontre qui les amène vers leur plénitude. «Nous, en tant que chrétiens, nous sommes convaincus que, dans le silence, elles attendent la rencontre avec Jésus-Christ, la lumière qui vient de lui, qui seul peut les conduire pleinement à leur vérité. Et le Christ les attend. La rencontre avec lui n'est pas l'irruption d'un étranger qui détruit leur propre culture et leur propre histoire», explique Benoît XVI.

Puis il réfléchit que «alors que dans les pays de sa grande histoire, le christianisme à bien des égards est devenu fatigué et que certaines branches du grand arbre grandi à partir de la graine de sénevé de l'Évangile sont devenues sèches et tombent sur le sol, de la rencontre avec le Christ des religions en attente vient une nouvelle vie. Là où auparavant, il n'y avait que fatigue, de nouvelles dimensions de la foi se manifestent et apportent la joie».

Il est frappant de constater que le synode qui vient de se terminer a vraiment montré que l'espérance pour l'Eglise réside dans les périphéries , et que ces périphéries sont les plus inattendues, celles d'Europe de l'Est et d'Afrique.

Un autre aspect des discussions pendant le synode des évêques est également frappant: le débat a été souvent polarisé, se déplaçant complètement vers la casuistique ou la piété populaire, comme si les axiomes du théologien Karl Barth avaient été renversés (mis sens-dessus-dessous). Barth opposait religion et foi, soulignant que la première était un comportement arbitraire de l'homme essayant de saisir Dieu. C'est pourquoi il a théorisé la nécessité d'une foi sans religion. Mais dans le synode des évêques, il semble que la religion ait pris le dessus, car ce qui a constamment été souligné, c'est la nécessité d'aller à la rencontre des fidèles tels qu'ils sont, sans même essayer d'expliquer la vérité de la foi.

Ratzinger considère les axiomes de Barth «inacceptables» et il est facile de parvenir à la conclusion qu'il trouverait tout aussi inacceptable l'axiome du renversement. Mais il critique aussi «la position de ceux qui veulent nous convaincre que la religion en tant que telle est dépassée», car «seule la raison critique doit guider l''agir' de l'homme» Cela ne veut pas dire une victoire de la pensée pure. Benoît XVI souligne que «l'homme devient plus petit, non pas plus grand, quand il n'y a plus de place pour un ethos qui, selon son authentique nature, renvoie au-delà du pragmatisme, quand il n'y a plus d'espace pour le regard fixé sur Dieu»

C'était exactement l'une des critiques du rapport à mi-parcours du Synode, qui était un instantané assez fidèle de la réalité, mais presque sans aucune référence à l'Evangile, privé d'une attente du Christ qui est maintenant considérée comme presque sans importance pour l'évangélisation. C'est le signe d'un christianisme qui a renoncé à façonner le monde.

Benoît XVI le dit simplement. Tandis que tout son discours précédent est destiné à expliquer qu'il est raisonnable de communiquer l'Evangile, il dit qu'il y a même «une autre façon, plus simple» pour justifier cette tâche. Qui est que «La joie exige d'être communiquée. L'amour exige d'être communiqué. La vérité exige d'être communiquée. Qui a reçu une grande joie, ne peut pas simplement la garder pour soi, il doit la transmettre. La même chose s'applique pour le don de l'amour, pour le don de la reconnaissance de la vérité qui se manifeste»

Peut-être qu'au dernier synode des évêques, il a manqué la joie de communiquer l'Evangile - lequel continue à vivre, dans les plus improbables des périphéries. Peut-être que le débat a quelque peu réduit l'Eglise à une sorte de corps politique, dans une dialectique entre une majorité et une opposition. Beaucoup de questions étaient en jeu, mais à la fin, c'est comme si tout tournait autour d'un référendum sur les catholiques divorcés et remariés civilement, et sur les couples homosexuels.
C'était indubitablement la faute des médias , mais c'était aussi en partie la faute des évêques, pas vraiment conscients des enjeux. Et la faute de la communication catholique, qui a été blasée sur ces sujets. Ceci appelle une auto-réflexion. Communiquer et discuter seulement sur quelques-unes des questions, parler surtout de casuistique, a conduit à l'échec dans la transmission de la joie de l'Evangile.

Comme François, Benoît veut une Eglise capable de transmettre la joie de vivre selon l'Evangile. François parle souvent d'une Eglise tournée vers l'extérieur. Mais une Eglise qui sort, qui serait façonnée par le langage du monde risque de devenir une Eglise qui adopte la mécanique du monde, mais échoue à changer les cœurs à travers une rencontre avec le Christ.

Ratzinger l'affirme clairement: «Nous serons des annonciateurs crédibles de Jésus-Christ quand nous l'aurons vraiment rencontré dans les profondeurs de notre existence, quand, à travers la rencontre avec Lui, nous sera donnée la grande expérience de la vérité, de l'amour et de la joie.»

Cette joie a disparu dans l'effort missionnaire, ces derniers temps (...). Cette joie court le risque d'être perdue de vue dans les discussions sur la manière et les outils pour communiquer l'Evangile. Le sens profond de l'Evangile et l'Evangile lui-même semblent être hors de la discussion.

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Ce court texte de Benoît XVI nous ramène aux questions fondamentales qui sont nécessaires à l'homme pour comprendre sa foi. En atteignant le cœur des questions, Benoît XVI n'a pas mis de côté l'un des défis actuels. Il regarde leurs racines. Il ne propose aucun «pansement d'urgence» emprunté aux réalités terrestres. Il fournit un idéal très précis.

Cet idéal devrait être à l'avant-garde, mais semble au contraire avoir été mis de côté. C'est ce qui s'est passé avec le synode des évêques, mais aussi dans toutes les discussions sur l'avenir de l'Eglise qui ont proliféré depuis que François a été élu.

Alors que la doctrine chrétienne a été diluée dans une discussion de type politique, alors que l'effort missionnaire et le désir de chercher la vérité ultime semblent être perdus, Benoît XVI montre qu'il peut encore donner beaucoup à l'Eglise, et François a parfaitement raison de la souligner.

Tel est le Benoît XVI qui sert François en tant que conseiller caché (cf. benoit-et-moi.fr/2014-I/actualites/le-conseiller-secret-du-pape-franois). Dans l'esprit de service à l'Eglise qui l'a toujours caractérisé.

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