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Le 'mensis horribilis' du Pape François

Une analyse du blog Messa in latino (21/10/2014)

L'auteur de l'article compare le Synode à l'affaire Williamson, comme tournants respectifs des pontificats de François et de Benoît XVI.
Même en inversant les partis, c'est le point de l'article qui me paraît contestable.
Certes, Benoît XVI tenait autant à la réintégration de la FSSPX que François à l'accueil des gays et des divorcés.
Mais dans le premier cas, c'était dans le but de réduire une fracture (et Williamson a été le petit caillou dans l'engrenage), en défiant ouvertement le monde, et dans le second, l'effet est d'en créer une (qui à ce jour, ne s'avouait pas encore), en s'alignant sur les désirs de même monde.

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LA «CRISE WILLIAMSON» DU PAPE BERGOGLIO
Ce mois d'Octobre a été jusqu'ici un mensis horribilis pour le Pape François.
http://blog.messainlatino.it/
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Le pape encensé et choyé par l'ensemble du système médiatique international, et avec d'autant plus d'enthousiasme que les commentateurs étaient éloignés du catholicisme (Scalfari est un exemple), a dû encaisser la première déception sur son terrain de prédilection, celui des 'public relations': le prix Nobel de la paix manqué.
Connaissant l'attitude du Comité Nobel (qui a refusé la reconnaissance à Jean-Paul II, en dépit de ses efforts contre les guerres du Golfe, en raison de ses enseignements sur la contraception), ce devrait être un motif de soulagement; et pourtant non, pour un homme qui tient beaucoup à construire son propre style sur l''appeal' médiatique et sur des gestes en accord avec le sentiment commun. Il semble qu'il était tout prêt d'obtenir le prix; mais les Suédois veulent «voir la marchandise» avant (expression italienne: pagare moneta, vedere cammello), et attendent que Bergoglio matérialise les promesses de subversion de la morale sexuelle. Pour le moment, des annonces, mais il n'a pas encore été en mesure de les remplir.

Second agacement, toujours ce mois-ci, la publication du livre d'Antonio Socci, 'Non è Francesco'. La partie de cet essai qui se perd en pinaillages procéduraux pour prouver l'invalidité de son élection ne fait certainement pas peur à Bergoglio (ni ne convainc le lecteur de bon sens) . Mais la partie de critique serrée de sa façon de diriger la barque de Pierre, et en particulier, l'examen des nombreux points de rupture avec ses prédécesseurs, est un pesant «J'accuse» qui - Bergoglio le comprend - n'est plus l'apanage exclusif de franges isolées (et d'abord, Socci n'a jamais été un traditionaliste). Dans la catégorie des essais sur la religion, le livre est un best-seller en Italie (malgré l'ostracisme des éditions 'Paoline' - éditions de livres religieux tendance Bayard chez nous), qui refusent de le vendre dans leurs librairies). Et cela suggère que tout le monde ne forme pas son jugement uniquement sur la base du nombre de personnes handicapées que le Pape embrasse durant ses promenades.

Mais la véritable 'débâcle' (en français dans le texte) a été le Synode.
Du point de vue de la catéchèse, un dommage incommensurable au catholicisme avait déjà été fait avec la publication de la première Relatio : désormais, le message est passé que tout le monde peut en faire à sa tête avec la bénédiction de l'Église; et en effet la politique italienne, toujours attentive à l'humeur du Vatican, trouve désormais urgent de réglementer les unions civiles; une chose qui intéressait peu de gens jusqu'au mois dernier. Le cardinal Napier a parlé d'un préjudice irréparable, en ce sens que désormais, «les boeufs sont lâchés» (idiome qui signifie à peu près 'le mal est fait'), quel que soit le document magistériel qui tenterait à l'avenir d'y remédier. Donc, à cet égard, la stratégie subversive de Bergoglio (coutumier de jeter au panier des millénaires de doctrine sans argumenter dans des encycliques substantielles, mais avec des boutades au cours d'interviews) a atteint son objectif.

Tout cela, cependant, lui a coûté un prix inestimable. Le Pape a été désavoué par son «parlement» . Publiquement, ouvertement, à haute voix, et parfois avec véhémence. Et dès lors qu'en dépit de toutes ses diatribes sur la collégialité et la liberté d'expression, il était clair pour tous qu'il agissait de façon manipulatrice pour faire respecter son 'agenda' (sic!), tout comme chacun savait que la première Relatio avait été combinée d'accord avec lui, la révolte n'a même pas respecté la convention hypocrite de s'en prendre uniquement aux exécutants.
Les Cardinaux lui ont reproché, à LUI, au commanditaire, et pas à ses supplétifs, d'avoir causé un préjudice grave à l'Église (cardinal Burke), ou de devoir réviser son catéchisme (archevêque de Kiev); certains, comme Müller, Ruini et Burke, ne l'ont même pas salué, comme le rapportent par tous les journaux d'aujourd'hui (1).

Et pour finir, comment ne pas voir une attaque directe au pape dans cette phrase d'une des commissions du synode (Italicus B ): «n'allons pas à la recherche d'un populisme facile qui endort et adoucit tout».

Mais il n'y a pas que cela. L'erreur de Bergoglio était d'attaquer un thème, la famille, qui était le message central de ce Pape qui a le plus façonné le ressenti des catholiques (les plus convaincus! pas la masse) d'aujourd'hui: Jean-Paul II. Cela a entraîné une réaction outragée qui va beaucoup plus loin que ce qui serait arrivé dans le cas de falsifications, disons en termes d'œcuménisme ou de liturgie. Si les lointains et les tièdes peuvent se trouver à l'aise avec un certain laxisme moral, les militants (dont ceux qui se sentent la vocation, et donc ceux qui comptent et compteront dans l'Église) n'apprécient certainement pas que cela se produise au prix de renier ce qui leur a été inculqué au cours des dernières décennies. Du côté de François, il reste seulement le clergé vieilli et en particulier le clergé germanique, expression d'une église en ruines, soutenue seulement par l'énorme richesse du 'Kirchensteur' (l'impôt).

Cette fois, même les Français se sont rangés avec les conservateurs (ndt: on l'a dit, à cause du cardinal Vingt-Trois, ce serait à moduler...) et l'axe rhénan, qui a fait tant de dégâts au Concile n'existe plus. Les Sud-Américains (depuis toujours sous la coupe de l'Église allemande, et de toute façon pollués durant des décennies par des positions progressistes du type théologie de libération) sont avec Bergoglio; mais les Américains du nord, habitués aux luttes politiques sur la morale familiale, sans parler de l'Afrique et de l'Asie, très conservatrices sur ces questions, sont sur le pied de guerre. Un cas particulier, la Pologne, qui voit désormais en Bergoglio l'anti-Woityla et frémit d'indignation; exacerbée, entre autres, par le fait que ces jours-ci marquent le trentième anniversaire du martyre du Père Popieluzko des mains des communistes, et que dans le même temps, les ex-communistes citent contre l'épiscopat polonais les propres phrases de Bergoglio et de «sa» Relatio pour faire avancer leur programme sur le gender et sur la légalisation de l'inceste.

Cette rébellion, qui n'est pas sans relents de vengeance, suggère qu'une impatience notable couvait.
On sait que le pape Bergoglio, derrière la façade télévisuelle, est humainement désagréable par ses manières tyranniques. Il admet lui-même que ce caractère était son défaut au début de sa charge comme supérieur des jésuites. Peut-être fallait-il un homme à poigne pour réorganiser la Curie, après ce saint homme ayant aussi peu d'aptitudes au 'management' que Benoît (!!); mais il se dit que, dans les 'palais sacrés', on se cache dans les ascenseurs, quand on entend arriver François, pour éviter les réprimandes et les reproches.
Et cela rien que pour la Curie; dans épiscopats nationaux, il suffit de regarder les humiliations infligées à Bagnasco, ou la nommination inopinée à Chicago d'un ultra-progressiste mal vu par presque tous les évêques américains, pour avoir une idée du sentiment réel de la plupart des «frères évêques» contre lui. Même le paupérisme affiché du nouveau pape ne manque pas de causer de l'embarras parmi les prélats, les forçant à des renoncements similaires.

Le Pape Bergoglio est un combattant et un jésuite rusé et il ne se laissera pas abattre. On l'a vu à sa réaction musclée: dans le discours final du Synode, il a dénoncé «des moments de désolation, de tension et de tentation» (avait-on jamais entendu de telles expressions, se référant à une assemblée ecclésiale?), avec en premier lieu une référence à «la tentation du raidissement hostile, c’est-à-dire de vouloir s’enfermer dans la lettre (...), à l’intérieur de la loi, dans la certitude de ce que nous connaissons et non de ce que devons encore apprendre et atteindre. Du temps de Jésus, c’est la tentation des zélotes, des scrupuleux, des empressés et de ceux qu’on appelle aujourd’hui des "traditionnalistes" ou aussi des "intellectualistes". ».
Dans le même discours, il a découvert qu'il n'était pas seulement l'évêque de Rome, comme il se définit habituellement, mais le Pape, rappelant à ce propos ses prérogatives canoniques comme «Pasteur et Docteur suprême de tous les fidèles», jouissant du «pouvoir ordinaire qui est suprême, plein, immédiat, et universel dans l'Église».
Message très clair pour rappeler qui est le patron.
Lors de l'homélie de dimanche, il a encore réitéré ses intentions, citant, parmi toutes les phrases de Paul VI béatifié, comme par hasard justement celle-ci: « En observant attentivement les signes des temps, nous nous efforçons d’adapter les orientations et les méthodes … aux besoins croissants de notre époque et à l’évolution de la société ».

Mais objectivement, comme l'écrivent aussi des commentateurs qui lui sont favorables (2), le résultat du Synode préfigure «l'automne précoce et doux d'un leadership qui échoue, à l'épreuve des votes, à poursuivre sa Révolution d'Octobre».
Le Pape Bergoglio a perdu son aura: pas dans le monde laïciste, dont il reste le champion; ni, sans doute, parmi les millions de gens ordinaires qui se réchauffent à s'entendre dire «bon repas». Mais ce ne sont pas eux qui décident du chemin de l'Eglise.

Comme pour le pape Ratzinger le cas Williamson a représenté, avec la rébellion ouverte de nombreux secteurs de l'Eglise contre lui (chose que Benoît lui-même a déploré dans sa lettre aux évêques), le début du déclin de son emprise sur le corps ecclésial; de la même façon, les faits de ces derniers jours, qui ont entraîné soulèvement similaire (et beaucoup plus justifié), ont toute l'apparence du point de freinage de ce pontificat.

Compte tenu du programme mis en évidence par le pape Bergoglio, nous serions hypocrites si nous disons que nous en sommes désolés.

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NDT:
(1) Au terme de la concélébration de dimanche, tous les cardinaux sont venus embrasser le Pape... mais pas Müller, ni Burke.
Les cardinaux qui avaient revêtu les habits liturgiques (donc concélébrants) n'étaient pas seulement ceux qui avaient participé au Synode, mais d'autres venus pour la béatification de Paul VI ou le Consistoire sur le Moyen-Orient. Bertone a été l'un des derniers à embrasser le Pape. Ruini était présent à la messe, mais il n'a pas concélébré, et à la fin, il ne s'est pas approché du pape (www.agi.it).

(2) Titre du site HuffingtoPost en italien:
L'HOMMAGE À PAUL VI, UN PAPE QUI GOUVERNA "DANS LA SOLITUDE": A PARTIR D'AUJOURD'HUI, BERGOGLIO EST UN PAPE SANS MAJORITÉ.

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