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Le silence des évêques italiens

Alors que le gouvernement Renzi s'apprête à donner le feu-vert au "mariage gay", Stefano Fontana, sur la Bussola, s'interroge sur l'effacement de la hiérarchie de l'Eglise (7/7/2014, mise à jour)

     

Des voix commencent à s'élever, de l'autre côté des Alpes: si, économiquement parlant, le rottamatore Renzi (cf. ici) ne fera pas grand chose de plus que Hollande, sinon brasser du vent, du point de vue sociétal, il fera (encore comme Hollande!) tout ce pour quoi de puissants protecteurs l'ont mis là, et l'Italie subira, comme la France, les derniers outrages.
En tenant compte du fait que l'info est issu d'un magazine culturel gaucho-bobo, les promesses de Matteo Renzi en matière de "droit familial" sont résumées ici: www.lesinrocks.com.

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Stefano Fontana écrit une "lettre au directeur de la Bussola", Riccardo Cascioli, pour lui faire part de ses inquiètudes et de sa perplexité.
Le nom de François (qui, rappelons-le, a délégué aux églises locales le débat avec les autorités politiques), n'est pas une seule fois cité, mais il est évident que l'ombre du Pape plane sur toute sa lettre.
Stefano Fontana regrette que l'attention des évêques soit tournée vers d'autres problèmes, certes importants, dit-il, mais sans comparaison avec la révolution anthropologique qui se profile. Il ne les cite pas, mais il n'est pas difficile de voir qu'il pense au chômage, à la pauvreté, à l'immigration, à la mafia, à la corruption des politiques, à l'environnement, à la finance... tous les thèmes chers justement au Pape François, dont il ne cesse de parler, et qui lui assurent le consensus populaire et la pax mediatica.

L'Italie, ce n'est pas exactement la France: chez nous, le "mariage pour tous" est une triste "avancée" déjà archivée du gouvernement socialiste - là aussi, la base avait pris le relais d'évêques souvent trop discrets; mais les dernières polémiques sur l'euthanasie, à la "faveur" du cas Vincent Lambert ont montré un épiscopat frileux, et même aphone. (cf. ici et )

     

EVÊQUES ET FAMILLE, LES (NON) RAISONS DU SILENCE
Stefano Fontana
07.07.2014
http://www.lanuovabq.it/it/articoli-vescovi-e-famiglia-le-non-ragioni-del-silenzio-9674.htm
(ma traduction, les soulignements sont de moi)
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Cher directeur

Beaucoup de fidèles, et peut-être aussi beaucoup de gens qui ne se reconnaissent pas dans l'Église catholique, se posent en cette période une question que je voudrais moi aussi poser. En 2007, circulait au Parlement un projet de loi sur la reconnaissance de la cohabitation ou, comme on disait alors, des "coppie di fatto" (couples de fait). Il y eut une confrontation notable dans le pays, qui connut un moment significatif avec le Family Day, quand un million de personnes sont descendues dans les rues pour rejeter la reconnaissance des couples de fait, et pour défendre la famille naturelle.

Dans ce contexte, les évêques italiens publièrent une "Note concernant la famille fondée sur le mariage et les initiatives législatives dans le domaine des unions de fait". C'était un document court, clair, équilibré, dans lequel les évêques refusaient la reconnaissance des couples non mariés en ce qu'on n'y retrouvait pas les éléments d'un engagement public ouvert à la vie et à l'éducation des enfants, craignaient qu'elle pourrait s'ouvrir aux couples de même sexe, en opposition au principe de la diversité sexuelle et à la complémentarité anthropologique, soutenaient que les droits revendiqués pouvaient être satisfaits dans le cadre du droit individuel, et précisaient que leur position n'avait rien à voir avec le respect dû à toutes les personnes.

Le document précisait la position du Magistère, éclairait les esprits de beaucoup de gens qui, dans la confusion des problèmes, aiment à se référer aux indications des pasteurs, renforçait la conviction des personnes impliquées, les soutenant dans le témoignage personnel et collectif, confirmait le sens commun de la foi catholique en harmonie avec la raison naturelle et tenait fermement le principe de la nature comme source de normativité éthique pour la société. En somme, les évêques faisaient leur devoir, et le faisaient bien.

Aujourd'hui encore, nous allons vers l'approbation d'une loi sur les unions civiles. Le gouvernement a préparé un projet de loi et le président Renzi n'a pas fait mystère qu'il en désirait l'approbation en Septembre. Cette loi (comme cela a été précisé à plusieurs reprises sur La Bussola) est absolument pire que celle proposée en 2007. Elle admet en effet une équivalence complète avec la famille traditionnelle et ouvre également la porte à l'adoption, dans le cas où l'un des deux partenaire a déjà un enfant.

En plus du texte de loi, le contexte lui aussi s'est nettement détérioré. Toutes les forces politiques, ou presque (ndt: la Ligue du Nord est l'exception, cf. www.lanuovabq.it/it/articoli-mozione-della-lega-nord-contro-lideologia-gender), ont décidé de le soutenir. L'offensive gender et homosexualiste est devenu massive et omniprésente et pénètre dans les écoles. Le "divorce rapide" est un fait accompli. La fécondation hétérologue, si elle n'est pas réglementée, offrira les possibilités techniques et juridiques pour la fabrication d'enfants de couples homosexuels, il y a une offensive mondiale qui veut imposer cette nouvelle idéologie (1), et aujourd'hui, les mères porteuses, les familles avec trois parents, la polygamie sont une triste réalité.

Face à ce cadre, beaucoup se demandent pourquoi il n'y a pas encore eu de déclaration comme en 2007, et la souhaitent. Le Cardinal Bagnasco a abordé la question à plusieurs reprises dans ses discours d'ouverture devant la CEI, haut et fort. Des évêques individuels ont aussi parlé, mais l'attention consacrée à d'autres thèmes , certes importants mais pas comparables à ce projet de remodeler la nature humaine et les fondements de la société elle-même, est à coup sûr supérieure.
Les nombreux silences contrastent avec la gravité du moment.
Devant le cas d'un enfant produit in vitro avec l'achat des gamètes de donneurs anonymes et stipendiés, donc orphelin depuis sa naissance, accouché par une femme qui a prêté son utérus à la suite d'un contrat et ensuite arraché à elle et livré à un couple homosexuel ... on frémit.

Face à ces immenses défis, de nombreux catholiques italiens éprouvent le besoin, comme en 2007, d'une parole claire et unie de la part des pasteurs, aussi parce que l'on remarque un silence substantiel de la part du corps ecclésial DANS SON ENSEMBLE. Il n'y a pas de mobilisation massive et consciente. Les diocèses, les hebdomadaires catholiques, les groupes laïcs, les centres universitaires semblent occupés à autre chose. Tant et si bien que la seule opposition en cours est née spontanément et indépendamment de la base et n'a pas beaucoup de liens avec les structures officielles de l'Eglise.

Je me suis demandé les raisons de cette situation totalement différente de celle de 2007. Et je te le demande aussi à toi. Pour ma part, je souligne seulement un aspect.
Malgré le magistère de Benoît XVI et la ligne tenue par le cardinal Bagnasco, durant ces sept dernières années, dans l'Eglise italienne s'est diffusée la position de ceux qui pensent que sur toute cette matière, l'Eglise devrait revoir ses positions doctrinales. Dans les diocèses sont produits des documents et dans les séminaires sont enseignés des leçons que les évêques locaux ne censurent pas toujours, ni ne punissent. Beaucoup de théologiens moralistes n'ont pas peur d'affirmer que la coexistence d'un couple homosexuel est utile au bien commun. En d'autres termes, dans ces sept années, la position de ceux qui pensent qu'il y a encore une loi de la nature, fruit du Créateur, que l'Eglise doit préserver et défendre à tout prix s'est considérablement affaiblie, tandis qu'a beaucoup progressé la position opposée, selon laquelle une nouvelle pratique pastorale miséricordieuse doit se libérer de l'imposition d'une théologie morale encore liée au concept de nature, qui ne ferait que créer des barrières. En somme, c'est la ligne de Rahner qui prend le dessus.

Stefano Fontana

Note

(1) Un lecteur me sigale cette information remontant à mai dernier ((ci):

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La puissante Église catholique du Brésil s'est dite jeudi (22 mai) favorable à l'union civile des personnes du même sexe, déjà en vigueur dans le pays, alors qu'elle y était opposée il y a encore un an.
Le secrétaire général de la Conférence nationale des évêques du Brésil, Leonardo Steiner s'exprimait dans une interview au quotidien
O Globo.
Mgr Steiner aurait dit: «Elle n'est plus la même à travers les temps (...) l’Église cherche toujours à lire les signes des temps, pour voir ce qu'il faut qu'elle change ou non.
Les vérités de la foi, elles, ne changent pas».

Cela dépend évidemment de ce que l'on met dans les "vérités de la foi".
Il y a un an, c'était juste avant le "qui suis-je pour juger?", au retour du... Brésil.
La "a-théologie" papale que dénonçait récemment Maurizio Blondet semble décidément avoir fait école.







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