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L'oecuménisme selon François

Lundi, le pape François rencontrera près de Naples un ami pasteur évangélique. En février dernier, il envoyait un message vidéo à un rassemblement pentecôtiste au Texas, par l'intermédiaire d'un certain "évêque" Tony Parker (*). Quelle est donc cette myriade inextricable de petites églises se réclamant plus ou moins du protestantisme, auxquelles François tend la main? Réponse du Père Longenecker (26/7/2014).

(*) A droite sur la photo; il s'est tué la semaine dernière dans un accident de moto

>>> Le message video du Pape François aux pentecôtistes, enregistré sur le smartphone de Tony Parker: http://youtu.be/NZ9Ssvs5cgY

     

Le Père Longencker, auquel son parcours donne une connaissance "de l'intérieur" du phénomène anglican évangélique a écrit coup sur coup deux articles, le second complétant et corrigeant le premier...
Attention! C'est extrêmement compliqué pour les non-initiés, et probablement fragmentaire.
Mais cela donne une idée de la façon dont le pape conçoit l'oecuménisme.

Notons que le P. Longenecker pense que tous ces groupes, plus ou moins en compétition entre eux, finiront par arriver à la pleine communion avec Rome. Ce qui est une façon (très optimiste) de voir les choses.

Articles reliés:

     
Le Pape François tend la main aux pentecôtistes ...
P. Dwight Longenecker
21 février 2014

www.patheos.com/blogs/standingonmyhead/2014/02/pentecostal-celtic-anglican-tradition
Mais ... qui est l'évêque Tony Palmer?
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Hier, la blogosphère catholique s'est enflammée à cause d'un message vidéo chaleureux adressé par le Pape François à un rassemblement de pentecôtistes au Texas. La vidéo dure environ 45 minutes, et il est intéressant de la regarder en entier (ici) parce qu'on y voit Kenneth Copeland présenter son protégé l'«évêque» Tony Palmer. Tony délivre un message long et enthousiaste aux pentecôtistes présents, et je suis désolé de jouer les rabat-joie, mais le message de l'évêque Palmer a vraiment besoin d'être analysé.
En tant qu'ex-évangélique et ex-prêtre anglican, je pense que je suis assez bien placé pour flairer ce qui se passe réellement ici.

Tout d'abord nous devons nous demander qui est l'«évêque» Tony Palmer.
Il est présenté comme évêque de l'Anglican Episcopal Communion.
Cependant, lors d'une recherche en ligne, je n'ai pas pu trouver trace d'un tel organisme. Ce site internet répertorie les plus de cent églises anglicanes dissidentes dans le monde entier.
Pour les lecteurs qui ne savent pas ce qu'est une église anglicane dissidente, c'est un groupe de chrétiens qui, pour une raison ou une autre, se sont séparés de la Communion anglicane officielle qui a l'archevêque de Canterbury à sa tête. Il y a une église épiscopale anglicane aux Etats-Unis, et ici, on trouve le site Web du diocèse épiscopal anglican pour l'Europe.
Si c'est l'organisation à laquelle l'évêque Palmer appartient, alors c'est l'un des nombreux groupes anglicans schismatiques.
M. Palmer est également répertorié comme un membre éminent de l'«EuroChurch» (www.eurochurch.net/about-us/tony-palmer/ ) qui semble être une confédération de leaders protestants évangéliques opérant en Europe.
Sur ce site, il est dit que M. Palmer est membre de «l'Anglican Episcopal Church de la CEEC (Celtic anglican Tradition)». CECC est le sigle pour Communion of Evangelical Episcopal Churches (Communion des Eglises épiscopales évangéliques).
Le site web de la CEEC est ici et il semble que cet organisme anglican accepte des femmes comme prêtres. Est-ce la CECC à laquelle M. Palmer appartient, ou bien est-ce à un autre des nombreux groupes dans le style anglican?

Et qu'est-ce que la «tradition anglicane celtique»? Le site CEEC dit qu'ils se maintiennent «dans les traditions celtiques anglicanes».

Si par «celtique», ils entendent qu'ils affirment une spiritualité celtique il n'y aurait rien de mal à cela, mais je soupçonne qu'ils ont adopté une théorie historique bidon qui connaît une popularité croissante dans les milieux anglicans: c'est l'idée qu'il y a un élément pur du christianisme britannique qui remonte à l'époque romaine, quand les chrétiens coptes ont importé le christianisme dans les îles Britanniques avec Joseph d'Arimathie, venu à Glastonbury comme missionnaire. Cette légende anglicane a été promue parce qu'ils prétendaient ensuite que «depuis le début il y a une église britannique pure qui n'a pas été entachée par la corruption romaine. Cette Église celtique britannique existait de manière autonome séparée de Rome jusqu'au Synode de Whitby où Rome imposa son autorité sur cette église. Par conséquent, l'Anglicanisme continue cet élément antique d'un christianisme libre de la domination de Rome. Toute la théorie est complètement et follement bidon,- à peu près comme l'Israelitisme britannique ou la prétention des Mormons que les Amérindiens étaient les tribus perdues. Vous pouvez lire ici comment j'ai démoli cette théorie loufoque, dans un article que j'ai écrit il y a quelques années.

Tony Palmer fait clairement partie de l'un de ces groupes (généralement conservateurs et pour la plupart théologiquement orthodoxes) schismatiques enthousiastes. Si c'est le cas, alors j'ai une nouvelle, et une proposition qui pourrait être excitante pour lui. S'il est un évêque anglican mal dans sa peau, et s'il désire vraiment l'unité avec le Saint-Père, il devrait rejoindre l'ordinariat de Notre-Dame de Walsingham (ndt: voir benoit-et-moi.fr/2012-I/).
L'évêque Palmer vit une bonne partie de l'année dans le Wiltshire en Angleterre. Pourquoi lui et ses collègues du clergé, et le peuple de l'Église épiscopale anglicane ne rejoignent-ils pas l'ordinariat?
Un tel pas renforcerait ses prétentions à désirer l'unité. Il constituerait également un encouragement, et un pont pour d'autres anglicans schismatiques vers la pleine et reconnaissable unité avec l'évêque de Rome, d'une manière telle qu'ils puissent encore exercer leur ministère et affirmer leurs traditions anglicanes.

Il y a une ou deux autres questions qui se posent à partir de la présentation de l'évêque Palmer. Pour quelqu'un de tellement enthousiaste à propos de l'union avec l'Église catholique, il est mal informé. Il dit dans son discours qu'avant la Réforme, l'Église catholique enseignait le salut par les œuvres.
C'est ce qu'on appelait le pélagianisme et c'est l'Église catholique qui a fermement réfuté à la fois le pélagianisme et le semi pélagianisme dans les premiers siècles.

L'erreur la plus grave de M. Palmer est de dire au public pentecôtiste que la doctrine n'a pas d'importance et que tout sera réglé dans le ciel. C'est totalement irresponsable.
Si la doctrine n'a pas d'importance, pourquoi donc M. Palmer tente-t-il de prouver aux pentecôtistes que l'Eglise catholique et les luthériens sont maintenant d'accord sur la justification? D'ailleurs, si la doctrine n'a pas d'importance pourquoi M. Palmer et tous les pentecôtistes ne rejoignent-ils pas tout simplement l'Eglise catholique? Si tout cela n'a pas d'importance, alors comme ce serait bien pour eux de se joindre à l'Église catholique! Tout serait réglé au ciel.
Non, je pense que la doctrine est importante, et la plupart des chercheurs et commentateurs évangéliques qui se respectent corrigeraient l'enthousiaste M. Palmer pour une telle erreur de raisonnement.
Brantley Millegan, sur le site Aleteia a parcouru le message de l'évêque et y a découvert plusieurs autres bourdes qui indiquent une théologie faussée, une compréhension historique fuyante et une faible compréhension de l'œcuménisme et de l'ecclésiologie.

Mais soyons positifs!
Voici la marche à suivre. Comme je l'ai dit, que M. Palmer rejoigne l'ordinariat de Notre-Dame de Walsingham, puis que l'ordinariat de la Chaire de saint Pierre (qui est également basée au Texas de Kenneth Copeland) tende la main aux pentecôtistes et aux évangéliques. Que les dirigeants de la Communion des Eglises évangéliques épiscopales se réunissent avec Mgr Steenson, l'ordinaire de l'ordinariat de la Chaire de saint Pierre, et parlent de véritable ré-union et parlent du travail difficile, et des sacrifices qui sont nécessaires.

Tony Parker et le nouveau visage de l'Anglicanisme
P. Dwight Longenecker
22 février 2014

www.patheos.com/blogs/standingonmyhead/2014/02/tony-palmer-the-new-face-of-anglicanism
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Hier, au milieu d'une journée de curé de paroisse bien remplie, j'ai écrit un post sur Tony Palmer - l'ami du Pape François qui a présenté le message du pape aux pentecôtistes américains. J'ai souligné les problèmes concernant l'identité et le message de Palmer, et également indiqué des pistes possibles.

J'espère que le message n'a pas été perçu comme totalement négatif. Alors que je voulais faire une critique du message de Tony, je tiens également à préciser à quel point je suis intéressé et enthousiasmé par cette très intéressante évolution historique. Pour comprendre précisément en quoi elle est historique, il est nécessaire de comprendre ce qui se passe dans le monde anglican.

La chose la plus remarquable au sujet du message du pape aux leaders pentecôtstes américains, ce n'était pas l'accueil cordial, à bras ouverts, du Saint-Père à un groupe de frères séparés - à leur façon, tous les papes au cours des cinquante dernières années ont fait de même chose.
OK, - l'utilisation informelle d'une vidéo de téléphone portable était assez incroyable, mais la véritable nouvelle, dans tout cela, n'était pas tant l'accueil émouvant du Saint-Père, mais l'apparition de l'évêque Tony Palmer sur la scène mondiale en tant qu'«évêque anglican».

Aucun autre commentateur ne l'a remarqué, parce que je pense que les gens ne connaissent pas les énormes changements advenus dans le monde de l'anglicanisme.
Pour comprendre cela, il faut d'abord comprendre l'anglicanisme historique.
Nous savons tous qu'il a commencé avec le roi Henry VIII parce qu'il voulait divorcer et que le pape Clément ne lui a pas accordé. C'est plus compliqué que cela, mais le fait est que cette crise a précipité la fondation de l'Eglise anglicane. Dans les siècles suivants, partout où les anglais sont allés, ils ont emmené leur église avec eux. Ainsi, nous trouvons la Communion anglicane dans le monde entier de ce qui étaient des colonies anglaises.

La Communion anglicane consiste en une confédération formelle d'églises nationales historiquement liées à l'Angleterre et donc à l'Église d'Angleterre. Ainsi, par exemple, l'Église épiscopale des États-Unis est la branche américaine de la Communion anglicane. L'Eglise du Canada pour le Canada, et ainsi de suite. Chacune de ces églises nationales est auto-gouvernée. L'archevêque de Canterbury est la figure de proue, mais il n'a aucun pouvoir sur les Églises nationales. Il n'est pas un «pape anglican».

Démarrant au début des années 1870 avec la fondation de l'Église Épiscopale Réformée (Reformed Episcopal Church) aux États-Unis, par la suite en chute libre au cours du XXe siècle, a commencé un mouvement de ce qui est maintenant appelé «le continuum» ou «églises anglicanes 'continuantes'» (ndt: fr.wikipedia.org/wiki/Mouvement_anglican_continu..). Il s'agit de personnes qui ont, pour toute une série de raisons différentes, se sont séparés de leur église nationale de la Communion anglicane. Ce site en donne la liste. Ces «églises» sont extrêmement disparates. Certaines ont rompu sur des questions liturgiques, certains sur des enseignements moraux ou théologiques. Certaines sont calvinistes, d'autres anglo catholiques. Certains sont radicalement progressistes. Certaines sont juste hargneuses.

Comme le courant anglican dominant (mainstrean) est allé de l'avant avec un agenda progressiste de femmes prêtres et de mariage homosexuel, tous ces groupes ont aussi dû faire face aux mêmes problèmes et beaucoup sont venus à des solutions variées. Parlant à un prêtre anglican «continuant», il y a quelque temps, je lui ai demandé pourquoi les différents groupes ne pouvaient pas se réunir. «Nous sommes en pourparlers avec eux - mais ils sont charismatiques, donc nous étions en discussions avec eux... - mais ils insistent sur l'utilisation du livre de prière 1928, et... nous étions en discussions avec eux - mais ils sont anglo catholique et utilisent l'encens. Bref, tout le monde est d'accord sur certaines choses, mais personne n'est d'accord sur tout».

Pour compliquer encore les choses, tandis que l'anglicanisme mainstream se désintègre, certains évêques, et les personnes qui sont fidèles à la foi chrétienne historique disent qu'elles ne sortiront pas de la Communion anglicane, mais resteront à l'intérieur, forgeant de nouvelles alliances entre eux. Ainsi, vous trouverez des paroisses et des diocèses aux Etats-Unis qui mettent en place des liens d'autorité avec des évêques anglicans africains qu'ils estiment fidèles sur les questions clés. Il s'agit d'un nouveau type de schisme, un schisme au sein de l'establishment.

Maintenant, ajoutez à ce mélange grisant un nouveau flux d'anglicans. Ce sont les protestants évangéliques qui n'ont jamais été anglicans, mais qui sont venus dans la tradition anglicane en tant que convertis. Cependant, au lieu de rejoindre une église existante de la Communion anglicane, ils ont tout simplement créé leur propre Eglise de style anglican. Mes amis Mike Cumbie - l'évangéliste catholique, et le père Randy Sly - un prêtre de l'ordinariat de la Chaire de Saint-Pierre, étaient tous deux membres de la Charismatic Episcopal Church (Église épiscopale charismatique). Au début des années 1990, il s'agissait d'une nouvelle église "start up" (ou débutante), dans laquelle les évangéliques qui étaient inspirés par différents Pères de l'Église et des écrivains contemporains voulaient une «église historique» qui ne fasse pas partie de la Communion anglicane, n'ait pas de liens historiques avec l'Angleterre et soit indépendante de Rome et de l'Orthodoxie.

C'est là qu'arrive la Communion des Eglises évangéliques épiscopales (Communion of Evangelical Episcopal Churches) . Également mise en place au début des années 1990, la CEEC est une autre start up. Prenant clairement ses distances avec les églises anglicanes «continuantes», la CEEC a été fondée non seulement par des anglicans, mais toute une série de leaders protestants qui se considèrent comme faisant partie d'un mouvement d'«églises convergentes». S'éloignant de l'inclinaison traditionaliste de nombreux groupes «continuants», la CEEC utilisait la liturgie épiscopale de 1978 et ils étaient heureux d'ordonner des femmes comme diacres et prêtres.

C'est le groupe auquel Tony Palmer appartient et c'est pourquoi il est ce que j'appelle «le nouveau visage de l'anglicanisme».
On peut se poser la question: quand Tony Palmer s'est présenté comme «un évêque anglican» l'archevêque Bergoglio d'Argentine avait-il une idée de ce que qu'était l'arrière-plan, et était-il au courant de cette identité en évolution rapide de l'anglicanisme? Je soupçonne que non. Comment un évêque catholique en Argentine aurait-il pu être conscient de la complexité de l'anglicanisme? Nul doute qu'avec le développement de leur amitié, l'évêque Bergoglio a pris connaissance de la situation réelle.

Cet article n'est pas une tentative de juger Tony Palmer ou le «mouvement d'églises convergentes" ou le «mouvement anglican continuant». Ce qui m'a le plus intéressé, c'est que ces mouvements se développent de plus en plus et qu'ils sont clairement des start-up au sein du protestantisme. Qu'ils se considèrent eux-mêmes comme «convergents» signifie qu'ils doivent finalement se retrouver face à face avec la réalité de l'Eglise catholique et décider ce qu'il faut faire à ce sujet.

Ce qui est également remarquable, c'est la volonté du Vatican de parler à des représentants de ces groupes et de les accepter. Le Pape François n'est pas le seul à les accueillir comme des frères dans le Seigneur. C'est le pape Benoît qui a eu sa propre interaction remarquable avec les «anglicans continuants». En 2007, un groupe d'anglicans de la Communion anglicane traditionnelle (une confédération d'églises 'continuantes') a présenté un Catéchisme de l'Eglise catholique à des officiels du Vatican, demandant à entrer en pleine communion. Cela a conduit à la mise en place de l'ordinariat de Notre-Dame de Walsingham, puis la mise en place de l'ordinariat américain de la Chaire de saint Pierre et l'ordinariat australien de Notre-Dame de la Croix du Sud.

Dans l' «ordinariat anglican», d'ex-anglicans (et aujourd'hui par décision du pape François) et d'autres catholiques, membres d'autres dénominations, et des non chrétiens (??!!), peuvent rejoindre l'ordinariat. Ils peuvent célébrer dans le style anglican et jouir d'une certaine autonomie. Leurs prêtres mariés peuvent être ré-ordonnés et ils seront en pleine communion avec Rome.

L'ordinariat a d'abord été créé pour les anglicans continuants, mais si nous pouvons qualifier les groupes 'start-up' de «convergents» anglicans alors l'ordinariat pourrait également être une maison pour ce qui est clairement un corps chrétien dynamique et en pleine croissance.

Bien sûr, les individus auront à décider s'ils veulent vraiment venir dans la pleine communion par cette option. Ils devront faire des sacrifices. Les hommes ordonnés verront leurs papiers examinés. Certains devront passer par une formation complémentaire. Ils devront prendre la doctrine au sérieux et s'attaquer à la plénitude de la foi catholique. Les mariages seront examinées. S'il y a des femmes prêtres et des diacres, ils devront être guidés vers d'autres formes de ministère.

J'ai moi-même parcouru ce chemin. Commençant comme évangélique américain fondamentaliste, j'ai fait mon propre chemin à travers le ministère anglican, puis dans l'Église catholique et enfin le sacerdoce catholique.

Malgré ma critique de Tony Palmer, je souhaite bonne chance à lui et à son mouvement et j'espère que l'Esprit guidera toujours plus vers la pleine communion avec l'Église catholique d'une manière que nous ne pouvons pas encore prévoir

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