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Discours du Pape à Strasbourg: auberge espagnole

C'est drôle, on dirait que les "observateurs" n'ont pas lu les mêmes discours... (26/11/2014, mise à jour le 30/11)

>>> Les deux discours:
¤ Devant le parlement européen
¤ Devant le Conseil de l'Europe

     

Au lendemain de la visite du pape à Strasbourg, il convient d'abord de reconnaître que le pape s'est exprimé... en pape (il ne pouvait d'ailleurs pas en être autrement, et ceux qui craignaient, ou espéraient, qu'il allait se prendre les pieds dans le tapis n'ont probablement rien compris). Comme me l'écrit une amie, Marie-Christine, «Ses propos sur la dignité de l'homme et tout ce qui y porte atteinte (y compris les fameux sujets qui fâchent ) ont été clairs. Un petit bémol: son attitude évoquait plus l'élève appliqué qui essayait de bien lire sa leçon que le prophète qui s'adressait avec force et conviction aux âmes et aux consciences».

Ses propos ont été globalement bien reçus par le monde, les plus enthousiastes étant curieusement ceux qui détestaient Benoît XVI, jusqu'à Marie-Georges Buffet, inattendue papiste de la dernière heure, tançant vertement son collègue Mélenchon - qu'on créditera, malgré tout, de sa cohérence et son absence d'hypocrisie.
Et invité hier soir au Club de la presse d'Europe 1, l'influent Pierre Bergé (pour ne dire que cela de lui) a exprimé son appréciation en termes sans équivoque (cf. ici, vers 5'20"): vers 6'49, il dit même que le Pape "ne va pas tarder" à ouvrir au mariage homo - en ri(can)ant, c'est vrai....mais venant du très puissant directeur du comité de surveillance du Monde et de l'Obs, ce ne sont pas que des paroles en l'air, à archiver à la hâte comme radotages séniles.

J'ai tendance à penser que cette réception favorable n'est pas forcément une bonne nouvelle... Jésus n'a-t-il pas dit dans l'Evangile des béatitudes «Heureux serez-vous, lorsqu'on vous outragera, qu'on vous persécutera et qu'on dira faussement de vous toute sorte de mal, à cause de moi»?
Force est de constater qu'avec François, on en est encore très loin.

Côté "public", c'est un peu différent. Jean-Marie Guénois, qui était à bord de l'avion papal (et rapporte dans cet article la conférence de presse dans le vol de retour) écrit dans le Figaro:
«Le plus court voyage du pape de l'histoire aura été, d'une certaine manière, le plus triste. Personne ou presque ne se trouvait dans les rues de Strasbourg où François a circulé, mardi, entre l'aéroport et les instances européennes. Les multiples barrières de sécurité protégeaient les policiers en faction, mais pas les Alsaciens, qui donnaient l'impression de bouder l'hôte illustre. Beaucoup se disaient déçus que le Pape ne vienne pas, ne serait-ce qu'une heure, dans la cathédrale dont c'est le millénaire».

Quoi qu'il en soit, il est amusant de lire les compte-rendus de la presse et des blogs. Chacun, apparemment, semble avoir trouvé dans les paroles du Pape ce qu'il espérait y trouver. Comme s'il y avait non pas deux discours, mais plusieurs, au gré de la perception et de la sensibilité des lecteurs.
Certains saluent le discours "puissant", "prophétique", le pape qui "réveille l'Europe". D'autres regrettent le ton convenu, consensuel, d'un discours manifestement écrit par d'autres que lui (*), même si c'est en reprenant ses idées (cf. Magister). Je laisse de côté les irrémédiables faussaires qui découvrent pour la première fois qu'un Pape plaide pour une Europe qui place la dignité de la personne avant le profit, et qui ont décidé de ne retenir que les deux phrases sur les immigrés.
Le discours avait peut-être par moments des accents "bénédictins", mais lorsque Benoît XVI s'exprimait ainsi à des tribunes éminemment laïques (ONU, Parlement de Londres, Bundestag), personne ne pouvait lire deux discours différents: peut-être une question de personnalité?

Une fois n'est pas coutume, je reproduis en annexe deux articles que je viens de lire et qui illustrent parfaitement ce décalage. Ils sont de deux "signatures" que j'apprécie généralement: l'un est une interview de l'historien Christophe Dickès, "curateur" du Dictionnaire du Vatican et du Saint-Siège, sur le site Atlantico, titrant de façon peut-être excessive (!!) sur le "coming-out conservateur de François"; l'autre sur Boulevard Voltaire, de Joseph Meidinger, ancien grand reporter à France 3 Alsace - donc en quelque sorte le point de vue du régional de l'étape!

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(*) Un liseur du <Forum Catholique>, a malicieusement relevé une phrase apparemment absconse (je précise: hors-contexte) dans le discours devant le conseil de l'Europe : «Emprunter ce chemin de communication transversale comporte non seulement une empathie générationnelle mais aussi une méthodologie historique de croissance».

     

Christophe Dickès

LE COMING OUT CONSERVATEUR DE FRANÇOIS
www.atlantico.fr
(voir la mise à jour ci-dessous)
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Atlantico :
Le discours prononcé par le Pape François fut-il un moment historique ? Quels éléments pourraient le laisser penser ?

Christophe Dickès : Le discours du pape François est à placer dans la lignée des grands discours pontificaux contemporains. Que l’on songe à ceux de Jean-Paul II en Pologne ou en France ou bien même à celui qui marqua l’inauguration du pontificat avec son fameux appel : « N’ayez pas peur d’ouvrir les portes au Christ ! »
Dans le fond, ce discours est aussi et surtout un écho des propres textes de Benoît XVI. Que l’on songe là aussi aux interventions de ce dernier à Westminster en 2010 ou au Bundestag en 2011. On y retrouve les mêmes thématiques et les mêmes clés. Le discours du pape François a été aussi, si vous me permettez l’expression, un discours à 360°.
On est frappé, quand on le relit, par la multiplicité des sujets abordés. Ce qui le rend à la fois complexe et profond.
Surtout, François est apparu pleinement dans un rôle où l’on ne l’attendait pas : celui d’une sorte de leader de l’Europe. Leader au sens propre, c’est à dire celui qui mène un projet en invitant ses troupes à le suivre. Plus qu’un chef d’Etat –ce qu’il est en tant que Souverain pontife, il a été ce personnage qui, dans un contexte européen difficile et les crises que l’on connaît, a proposé des solutions afin de porter un idéal. Les dix minutes d’applaudissements des députés une fois l’allocution terminée donnaient l’impression que l’homme avait réellement touché les cœurs par un message de Foi, d’Espérance et de Charité. Des applaudissements qui pouvaient signifier qu’avec de telles intentions l’idée européenne bien pensée n’était pas morte.


A: Laisse-t-il présager d'une attitude conservatrice ?

CD: Le « conservatisme » est peut être fort, car généralement le pape François n’est pas considéré comme un conservateur même si, à son retour de Rio, il a déclaré à une journaliste qu’il était fils de l’Eglise et n’avait pas à en bouleverser les fondements. Néanmoins, on peut dire sans se tromper (!!!) que le pape François a retrouvé les accents de ses deux prédécesseurs Jean-Paul II et Benoît XVI. Alors que, jusqu’à présent, son pontificat apparaissait comme un moment de rupture voire de révolution. Il a donc littéralement pris à contre-pied les commentateurs qui s’attendaient à des thématiques sociales fortes qui en font un pape apprécié par les milieux catholiques de gauche. Certes, il a parlé de l’immigration et du chômage, mais il a aussi clairement dénoncé « les purismes angéliques, les totalitarismes du relativisme, les fondamentalismes antihistoriques, les éthiques sans bonté, les intellectualismes sans sagesse. »
Il a rappelé les racines chrétiennes de l’Europe, les droits mais aussi les devoirs de l’homme, l’indissolubilité de la famille et l’enseignement de Jean-Paul II en matière d’éthique en condamnant l’euthanasie et l’avortement.


A: Comment expliquer ce changement d'attitude ? Le Pape François se serait-il résigné à la rupture qu'il souhaitait par rapport à ses prédécesseurs ?

CD: On dit que ce pape est le pape des surprises. Et cette surprise fut de taille alors que beaucoup de catholiques ont été désorientés par les orientations du synode sur la famille. En adoptant ce changement d’attitude, le pape s’est adressé d’abord à ces catholiques de la génération Jean-Paul II et Benoît XVI qui se sont interrogés et qui, aujourd’hui, s’engagent sur le terrain politique avec des principes et des valeurs. Le pape, je pense, a voulu en quelque sorte les rassurer même si, comme il l’a dit, il a souhaité s’adresser aux 500 millions d’européens.

(...)

     

José Meidinger

LA PLUS COURTE VISITE D’UN PAPE EN TERRE FRANÇAISE
www.bvoltaire.fr
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Ce fut la plus courte visite d’un pape en terre française, hier à Strasbourg, devant les institutions européennes.
S’il continue à ce rythme, on va l’appeler le pape François Express : ce fut la plus courte visite d’un pape en terre française, hier à Strasbourg, devant les institutions européennes, le Parlement européen et son illustre inconnu sur les bords de l’Ill, le Conseil de l’Europe. 3 h 50 chrono annoncées, deux discours convenus, une centaine de mains serrées, une visite très institutionnelle en somme, en regard de celle plus prophétique de Jean-Paul II en 1988, restée dans toutes les mémoires. Un an jour pour jour avant la chute du mur de Berlin, Jean-Paul II au même endroit avait convié tous les citoyens européens à « se donner et à ne reconnaître pour loi que ce qui est objectivement juste et bon ».

« Le pape, combien de divisions ? » avait ironisé Staline au moment de la guerre froide. On ne répétera sans doute jamais assez combien Jean-Paul II nous manque cruellement en ces temps incertains… Lui qui faisait de chacun de ses voyages un moment exceptionnel, comme lors de cette messe au Bourget en 1980 où il lança la célèbre apostrophe « France, fille aînée de l’Église, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême ? » Il voyageait au grand vent, l’évêque en blanc venu de Cracovie, et avait consacré en 1988… quatre journées à sa visite à l’Alsace et aux institutions européennes. À sa descente d’avion, le président de la République en personne était venu l’accueillir, et pas une vague Ségolène commise d’office, se demandant encore ce qu’elle était venue faire hier à Strasbourg aux côté d’un Harlem Désir tout aussi incongru…

Outre le nom alsacien (Strasbourg-Entzheim) de son aéroport, qu’aura retenu le pape François de son trop bref séjour strasbourgeois ? Je n’oublierai jamais Jean-Paul II s’adressant en… alsacien à la foule rassemblée place de la Cathédrale. «Que l’Alsace reste fidèle à l’héritage reçu et maintienne vivante sa générosité […] Vous, les Alsaciens, restez attentifs à vos traditions.» Ce sera difficile, mais il nous aura au moins prévenus… Jean-Paul II répétera ce message le lendemain au mont Sainte-Odile (patronne de l’Alsace), avant de rappeler à l’ordre le Conseil de l’Europe et le Parlement européen sur « l’ardente obligation » de préserver la dimension spirituelle de l’identité européenne.
Le pape François n’a pas dit autre chose hier, en s’adressant directement à l’Europe « Où est ta vigueur ? Où est cette tension vers un idéal qui a animé ton Histoire et l’a rendue grande ? »

     

Mise à jour (30/11)

L’auteur me signale que le titre de l’article a été changé, devenant "Surprise, avec son discours de Strasbourg, le pape François amorce un coup de barre à droite" (il aurait même souhaité un point d’interrogation à la fin, mais il est possible que, techniquement, cela faisait un caractère de trop).
Christophe Dickès précise: "L'élément essentiel de mon texte est que le pape a souhaité donner des gages à la grande majorité du Sacré collège et des évêques, ébranlés par le synode..."