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La guerre civile catholique a commencé

L'analyse de Damian Thompson, commentateur britannique catholique conservateur (9/11/2014)

Damian Thompson est un acteur influent de la blogoshère catholique anglo-saxonne. Il tient une rubrique dans le quotidien conservateur britannique "The Telegraph" ("Holy Smoke").
Il collabore également à autre journal conservateur "The Spectator", dont est tiré l'article ci-dessous, traduit par Anna.
Son point de vue n'est donc pas celui d'un extrémiste, mais plutôt celui d'un observateur relativement équilibré, et lucide.
Constatant la confusion qui règne actuellement parmi les catholiques, Damian Thompson conclut: «C'est une chose terrible à dire, mais nous pourrions voir Jorge Bergoglio se transformer en Barak Obama».
Exactement ce que j'écrivais le 4 novembre dernier ("Une papauté romancée")...

     

PRENEZ GARDE, PAPE FRANÇOIS: LA GUERRE CIVILE CATHOLIQUE A COMMENCÉ
L'incertitude sur le nombre de réformes voulues par François divise son église en factions.
www.spectator.co.uk
8 novembre 2014
Traduction de Anna
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«En ce moment très critique, il y a un fort sentiment que l'église est comme un navire sans gouvernail», a affirmé la semaine dernière un éminent catholique conservateur. Ce n'est pas grave, pourriez-vous penser. Pendant des mois les opposants au Pape François ont mis en doute ses capacités de leadership - et en particulier après le Synode d'octobre sur la Famille au Vatican, où des cardinaux libéraux ont annoncé préventivempent un adoucissement dans l'attitude de l'Eglise à l'égard de l'homosexualité et des deuxièmes mariages, rien que pour voir leurs propositions démontées par leurs collègues.

Et néanmoins, c'est très grave. La remarque du «sans gouvernail» n'est pas venue de quelque malveillant blogueur traditionaliste mais du Cardinal Raymond Burke, préfet de la Signature Apostolique, c'est à dire le président du suprême Tribunal du Vatican. Il se trouve que le pape François entend virer Burke, dont l'habitude de s'habiller comme un arbre de Noël lors des Messes Latines l'exaspère. Mais il n' est pas encore parvenu à le faire (l'article précède de quelques heures la décision papale, cf. Curie: la purge continue ). Voici donc le plus important des cardinaux américains à Rome mettant publiquement en doute la gestion du Saint Père, peut-être avec l'approbation tacite du Pape Emérite Benoît XVI.

Rien de pareil ne s'était produit depuis les coups bas du Concile Vatican II il y a 50 ans. Cela soulève la question: est-ce que l'Eglise catholique est au début d'une guerre civile entre libéraux et conservateurs, combattue non pas sur des subtilités liturgiques (source de querelles relativement inoffensives sous Jean-Paul II et Benoît XVI) mais sur des questions fondamentales de morale sexuelle.

Le Synode d'Octobre a été un désastre pour le Pape François.
Avant qu'il commence, il avait peaufiné avec succès la musique d'ambiance catholique au sujet des divorcés et des gays. La réplique «Qui suis-je pour juger?», livrée avec un affable haussement d'épaules sur l'avion papal, a provoqué des gros titres amicaux sans engager l'Eglise dans des changements doctrinaux. Les conservateurs s'alarmèrent mais durent prendre acte de la ruse de François. «Rappelez-vous qu'il est un Jésuite», disaient-ils.

Et puis, François a fait quelque chose de pas très rusé. En ouvrant le Synode, ce qui serait normalement plutôt une affaire de routine, il a encouragé les cardinaux et évêques à «parler avec audace». Ce qu'ils firent, mais pas de la façon qu'il entendait.

La première erreur du Pape fut d'inviter le Cardinal Walter Kasper, âgé de 81 ans, chef à la retraite de l'oecuménisme du Vatican, à établir le programme du synode en s'adressant en février aux cardinaux. Kasper leur dit que l'Eglise devait réfléchir à donner la Sainte Communion aux catholiques remariés.

Même si François soutient l'idée - et personne ne le sait - son choix de Kasper a été une maladresse parce que le cardinal, en plus d'être un aimable (!!) et éminent savant, est le chef d'une faction menée par les allemands qui représente, en termes catholiques, l'extrême gauche de l'éventail théologique. En 1993 Kasper, alors évêque de Rottenburg-Stuttgard, signa avec les évêques allemand une lettre demandant qu'aux catholiques vivant «dans une union canoniquement invalide» il fallait permettre de décider par eux mêmes s'ils pouvaient recevoir l'Eucharistie. L'Eglise allemande a ses propres règles: bien que ses célébrations soient désertes, elle est riche, grâce à la taxe d'etat de l'Eglise, et arrogante. Pour faire court, cette faction, qui avait impitoyablement sapé l'autorité de Benoît XVI quand il était pape, a essayé de pirater le synode.

Ils ont fini par tout gâcher. L'évêque italien Bruno Forte, «secrétaire spécial» du synode, a écrit une 'relatio' de mi-synode laissant supposer que les participants entendaient reconnaître l'aspect vertueux des unions gay. Ce faisant, Forte, une personnalité encore plus radicale, a trop tiré sur la corde. La majorité des pères synodaux ne voulaient pas une chose pareille; le Cardinal Gerhard Müller, préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et le Cardinal George Pell, chef des finances du Vatican, on été horrifiés. Ils ont fait en sorte que le rapport final mette de côté la question de la communion aux divorcés et ne mentionne même pas les relations homosexuelles. «Le Synode repousse François sur les gays», ont rapporté les médias: la dernière chose que le Pape voulait entendre.

Pour empirer les choses, Kasper a donné une interview dans laquelle il a affirmé que les catholiques africains anti-gay «ne devraient pas nous dire ce que nous devons faire». A ce point le Cardinal Burke lui a donné du raciste (?). Kasper a réagi furieusement et raconte maintenant à qui veut l'entendre que l'Eglise va bientôt changer drastiquement les règles d'accès à la Communion. Ce ne sont que des voeux pieux.

Et maintenant une autre voix se fait entendre.
Le dernier pape n'est ni mort ni sénile ni aussi silencieux que nous pensions qu'il allait être. Le mois dernier, Benoît XVI a écrit aux anciens Anglicans de l'Ordinariat de ND de Walsingham exprimant sa joie qu'ils célèbrent le culte dans l'ancienne chapelle bavaroise de Warwick street à Londres; à l'Université Pontificale Urbanienne, il s'est exprimé sur les dangers du relativisme; et, plus important encore, il a dit aux partisans de l'ancienne liturgie: «Je suis très heureux que l'usus antiquus (la Messe Latine traditionnelle) vive maintenant dans la pleine paix de l'Eglise, même chez les jeunes, soutenue et célébrée par de grands cardinaux». En effet, très peu de cardinaux célèbrent dans l'ancien rite. Sauf un qui est Raymond Burke. «Benoît est bien conscient de cela» affirme un fidèle de Ratzinger. «Il n'est pas dans l'illusion d'être encore Pape, mais il est horrifié à la vue de Kasper saccageant son héritage et manifeste clairement son mécontentement».

Où François en est-il, dans tout cela ? Ressemblant un peu au «Pape hamlétique» Paul VI qu'il a béatifié. Il soutient quelque sorte de réforme, mais l'incertitude brise l'Eglise en une multitude de factions qui rappellent la Communion Anglicane. Les vieux ennemis de Benoît comptent pouvoir persuader François de sélectionner le collège des cardinaux en leur faveur. Cependant, Burke a émergé comme le leader des traditionalistes durs. «Il ne voulait pas ce rôle, mais peut-être qu'il se voit dans la figure de Saint John Fisher», déclare une source vaticane- une comparaison qui donne au successeur de Pierre le rôle de Henry VIII.

Ce qui devrait préoccuper François, c'est que les catholiques conservateurs modérés perdent confiance en lui. Le chroniqueur du New York Times Ross Douthat (cf. benoit-et-moi.fr/2014-II-1/actualites/le-pape-et-le-precipice), pense que «ce pape peut être préservé de l'erreur seulement si l'Eglise elle-même lui résiste». Cristina Odone, ancienne rédactrice en chef de Catholic News, affirme que «François a fait des miracles avec ses remarques pleines d'humanité et de spontanéité, qui ont détoxifié la 'marque de fabrique catholique'. Il personnifie l'optimisme, mais lorsqu'il essaye de transformer cela en politique, il ne maitrise pas les procédures et les détails. Le résultat est la confusion».

Tout cela suggère une analogie bien plus proche que celle avec Henry VIII. Il y a un autre leader mondial, élu dans un immense enthousiasme, qui a surpris et déçu les fidèles en se montrante désengagé et même impuissant dans les moments de crise. C'est une chose terrible à dire, mais nous pourrions voir Jorge Bergoglio se transformer en Barak Obama.