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Le Pape activiste politique

... ou la difficulté de passer de la théorie à la pratique. Magister met en perspective le récent discours enflammé de François aux mouvements populaires, et le sort réservé aux 500 personnes menacées de licenciement par l'arrêt du "commerce des bénédictions" (5/11/2014)

     

Articles reliés:

(nécessaires pour comprendre ce qui suit)

¤ Leoncavallo au Vatican: benoit-et-moi.fr/2014-II-1/actualites/les-interviews-du-pape-a-scalfari
¤ Pape François, Stop au commerce des bénédictions! (le 9/9/2014): www.aleteia.org/fr/
¤ Le discours "révolutionnaire" du Pape aux mouvements sociaux, le 28 octobre 2014: Il n'est pour le moment disponible qu'en italien et espagnol sur le site du Vatican, mais une traduction est à lire sur ce site: www.fondationjeanrodhain.org . Est-ce bien un discours de Pape?
¤ La notice wikipedia de Toni Negri en français (la notice en italien est d'un tout autre ton). Après avoir fait de la prison pour ses liens (présumés!) avec les brigades rouges et son implication (présumée!) dans le meutre d'Aldo Moro, il avait trouvé refuge dans la France de Mitterrand.
Je note dans sa biographie: Dans le courant altermondialiste, Toni Negri fait partie de la tendance qui a appuyé le « oui » au projet de Traité Constitutionnel Européen, susceptible à ses yeux de « faire disparaître cette merde d'État-nation »

     

TONI NEGRI AU VATICAN, MAIS PERSONNE N'ÉCOUTE LES LICENCIÉS
magister.blogautore.espresso.repubblica.it
4 novembre 2014
(ma traduction)
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Il y a la doctrine sociale de l'Eglise. Mais ensuite, il y a la façon de la mettre en pratique. Il y a l'affirmation apodictique du droit au travail. Mais ensuite s'imposent des décisions, même saintement motivées, qui l'enlèvent, le travail.
Ces jours-ci, François se trouve au cœur de ces contradictions.
La théorie, il l'a exposée dans ce qui doit être considèré comme le manifeste de sa doctrine sociale: le discours du 28 Octobre aux participants à la rencontre mondiale des «mouvements populaires».

Mais dans le même temps, cinq cents employés qui eux l'ont perdu, leur travail, frappent à la porte du Pape - jusqu'ici sans succès - évincés de l'aumônerie apostolique, c'est-à-dire précisément l'office papal qui a pour mission de secourir ceux qui sont le plus dans le besoin.

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Parmi ceux qui ont applaudi le discours de François devant les «mouvements populaires», il y avait pour l'Italie le centre social Leoncavallo de Milan. Et dans le journal communiste «Il Manifesto», Guido Viale a rendu au pape un hommage enthousiaste.
Mais ce qui est le plus frappant dans ce discours, c'est sa ressemblance avec les théories soutenues par le philosophe Toni Negri et son disciple Michael Hardt dans un livre de 2002 qui a fait date: «Empire» (ndt: disponible en français ici, un bandeau sur la couverture le présente comme le "manifeste de l'altermondialisation" !!).
Tant dans le discours que dans le livre, la véritable souveraineté mondiale est identifiée à un «empire» transnational de l'argent, qui est basé sur un système d'expropriation et de destruction permanentes des hommes et des choses, et qui adopte la guerre comme instrument de régulation, non pas une guerre classique mais asymétrique, polycentrique, globale, tout comme l'a expliqué le Pape:
«Nous sommes en train de vivre la troisième guerre mondiale, mais en morceaux. Il y a des systèmes économiques qui pour survivre doivent faire la guerre. Alors se fabriquent et se vendent des armes et ainsi les bilans de l’économie qui sacrifie l’homme aux pieds de l’idole de l’argent sont équilibrés».

Face à cet «empire» se dresse ce que Negri appelle la «multitude».
Non plus la classe ouvrière «Fordesque», l'ouvrier-masse cher à la phase 'opéraïste' de sa pensées, mais les innombrables et variés réseaux sociaux qui se rebellent contre la domination mondiale. Pour François, ces «multitudes» sont précisément ces «mouvements populaires» fait «des 'cartoneros', des recycleurs, des vendeurs ambulants, des tailleurs, des artisans, des pêcheurs, des agriculteurs, des maçons, des mineurs, des ouvriers des entreprises de récupération, des membres de coopératives de tous types et des personnes qui exercent les métiers les plus communs, qui sont exclus des droits des travailleurs, à qui est niée la possibilité d’avoir un syndicat, qui n’ont pas un poste adéquat et stable».
A tous, le pape dit avec émotion: «Vous avez les pieds dans la boue et les mains dans la chair. Odeurs de quartiers, de peuples, de luttes!»
Ce ne sont pas les villes-vitrine de l'empire, donc, mais les «périphéries» qui sont pour François la place de la floraison naturelle des vertus rédemptrices:
«Dans les quartiers populaires où vivent beaucoup d’entre vous, subsistent des valeurs désormais oubliées dans les centres enrichis. Ces quartiers sont bénis d’une riche culture populaire, là où l’espace public n’est pas un simple lieu de transit mais une extension de la propre maison, un lieu où sont générés des liens avec le voisin».
De ce «sous-sol de la planète» - dit François - jaillit le «torrent d’énergie morale qui nait de l’implication des exclus dans la construction d’un destin commun».

C'est à ces exclus que le pape confie un avenir de l'humanité fait de terre, de maison, de travail pour tout le monde. Grâce à un processus de leur montée au pouvoir qui «transcende les processus logiques de la démocratie formelle».
Parmi ceux qui ont écouté le discours du pape, les latino-américains étaient particulièrement nombreux, y compris le président bolivien Evo Morales en qualité de leader «cocalero» (producteur de coca, cf. wikipedia).

Curieusement, l'université dans laquelle l'octogénaire Negri donne aujourd'hui ses cours est en Argentine: c'est la Facultad Libre de Rosario, à Santa Fe.

*

Mais si de la poésie, on passe à la prose, voici la protestation des 500 licenciés de l'aumônerie du pape.
Ce sont les calligraphes, les peintres, les imprimeurs qui à partir du 1er Janvier 2015 cesseront de produire pour le compte du Vatican les parchemins colorés des bénédictions pontificales "ad personam" commandés et vendus dans les librairies et dans les magasins conventionnés, dont les profits sont versés au bénéfice de l'aumônerie apostolique pour ses dons de charité.
Au cours de la prochaine année, en effet, l'aumônerie pourvoira pour son propre compte, avec d'autres calligraphes, à la fabrication et à la vente des parchemins, soit directement par internet, soit à travers les nonciatures du monde entier.
C'est le titulaire de l'aumônerie et bras droit de François, l'archevêque Konrad Krajewski, qui a donné la nouvelle de la fin imminente du contrat aux quelque cinq cents collaborateurs, dans une circulaire datée du 12 Avril 2014.
Le 29 Juin, les cinq cents ont été envoyés au pape une lettre dans laquelle ils le suppliaient de ne pas «jeter dans la pauvreté et l'insécurité économique plusieurs centaines de familles».
Et ils concluaient:
«Nous mettons dans Vos saintes mains notre futur, et notre supplique pour révoquer cette décision qui reviendrait sur la charité menée au fil des ans par l'aumônerie apostolique et aujourd'hui encore, y compris à travers le travail donné à de nombreuses personnes».

Plus de quatre mois sont passés et cette supplique au pape n'a toujours pas reçu de réponse.