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Parler de Dieu aujourd'hui

C'est le thème choisi par le Pape émérite pour la prochaine rencontre du Ratzinger Schülerkreis, et ce n'est sans doute pas un hasard dans le contexte de professionalisation et de personnalisation de la communication du Vatican. Réflexion d'Andrea Gagliarducci (29/12/2014)

Dans une longue interview récemment publiée (cf. Une vie avec Ratzinger) du Père Horn, religieux salvatorien et l'un des responsables du Ratzinger Schülerkreis, celui-ci répondait à une question sur le thème de la rencontre d'août 2015:

Normalement, le Schülerkreis, lors de la réunion à Castel Gandolfo, propose trois arguments et les noms de plusieurs personnalités pour l'année suivante. Après la rencontre, je vais voir le Saint-Père pour les lui présenter. Cette fois, après une réflexion ultérieure, fin Novembre, le Pape émérite Benoît a choisi le thème «Comment parler aujourd'hui de Dieu», en invitant le professeur Tomás Halík, un prêtre tchèque, un homme spécial, avec différentes expériences du monde moderne.

Andrea Gagliarducci consacre à ce choix du Pape émérite son dernier "éditorial du lundi" de l'année 2014. Il le trouve très significatif.

     

UN MUST AUJOURD'HUI PLUS QUE JAMAIS:
parler de Dieu à la lumière de l'impulsion missionnaire de François
Andrea Gagliarducci
29 décembre 2014
www.mondayvatican.com
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Le 26 Février 2013, deux jours avant la fin du pontificat de Benoît XVI, le prêtre tchèque Tomas Halik présentait à Rome l'édition italienne de l'un de ses livres les plus importants, “To the far ones nearby” (Près de ceux qui sont loin).
Et le 13 Mars 2014, alors que Jorge Mario Bergolio achevait sa première année de pontificat, le même Halik remportait les presque 2 millions de dollars du Prix Templeton, qui récompense «ceux qui ont contribué à élever le profil spirituel du monde». A la fin du mois d'Août prochain, Halik sera à nouveau dans les environs de Rome, pour être précis, à Castel Gandolfo, où il donnera une conférence sur le thème «Comment parler de Dieu dans le monde contemporain». La conférence sera donnée aux membres du Ratzinger Schuelerkreis , le cercle des anciens élèves de Ratzinger, qui depuis deux ans, inclut également des jeunes étudiants de la théologie de Ratzinger.

Benoît XVI lui-même a choisi le thème de la réunion annuelle du Schülerkreis dans la liste de trois que ses anciens élèves lui proposent pour la prochaine réunion à la fin de chaque rencontre. Cette année - selon le Père Stephan Horn, qui fut l'assistant de Ratzinger à l'Université de Ratisbonne, et qui est actuellement l'un des coordinateurs du Cercle - le pape émérite a pris plus de temps de réflexion que d'habitude, et finalement, il a communiqué le thème de la réunion à la fin de Novembre. Son choix était-il prophétique?

La question se pose, alors que nous approchons du début de la troisième année du pontificat de François. Le thème de l'évangélisation a été crucial au cours des Congrégations générales, autrement dit les réunions de pré-conclave des cardinaux. Selon ce que les Cardinaux ont dit après le conclave, ils ont tous insisté sur la nécessité d'un changement de narration, afin que l'Église soit plus attirante et digne de confiance et moins limitée par les scandales et par la gangrène du carriérisme interne. Un autre élément est le fameux discours que le cardinal Jorge Mario Bergoglio a prononcé au cours des réunions de pré-conclave, dont François a autorisé la publication (1). Le discours mettait le doigt sur la nécessité pour l'Eglise d'aller vers les périphéries, et même les périphéries existentielles, et d'annoncer l'Evangile.

C'est le programme François a suivi depuis lors. Chaque geste du Pape au cours de l'année et demi de son pontificat a été destiné à assainir l'image d'une Église auto-référentielle et de rendre l'Eglise visible dans les périphéries. Ce programme peut être discerné à travers les nombreux événements de son pontificat: son choix de faire son premier voyage à la petite île italienne de Lampedusa, destination des réfugiés de la Méditerranée; le premier consistoire pour la création de nouveaux cardinaux , surprenant puisque la plupart des nouveaux barrettes rouges provenaient de diocèses qui ne se démarquaient en aucune manière; le désir de démontrer l'intention de l'Eglise d'assainir les finances et l'organisation, par l'embauche de coûteux consultants externes; la création d'un Conseil des Cardinaux, composé dans sa quasi totalité de personnes extérieures à la Curie, afin de montrer qu'il est temps de sortir de l'auto-référentialité des bureaux curiaux; et enfin son désir de montrer que le Pape est proche des gens: il passe des heures avec des personnes malades à la fin de chaque audience générale, il porte son sac lui-même quand il monte dans un avion, il refuse d'utiliser une voiture blindée.

Ces gestes, et bien d'autres, ont montré le visage de «la révolution» de François.

Cette «révolution» a quelques avantages. Par exemple, l'Église a émergé presque indemne après avoir été attaquée par deux comités des Nations Unies. Le Comité pour la Convention des Nations Unies pour les droits de l'enfant et le Comité pour la Convention des Nations unies contre la torture avaient orchestré une campagne contre la souveraineté du Saint-Siège. Les Comités ont publié deux rapports - selon un processus qui est suivi pour chaque État - qui admonestaient l'Eglise, menaçaient sa souveraineté en exigeant des changements dans le droit canon et en instrumentalisant la pédophilie dans le clergé comme justification à cet effet (2).

Mais aucune de ces critiques ne semble atteindre l'Eglise. François peut également aborder les questions chaudes sans contrecoup médiatique négatif. C'est ce qui s'est passé, par exemple, quand il a prononcé un discours devant le Parlement européen le 25 Novembre (3). Dans ce discours, il a abordé des questions brûlantes telles que les racines chrétiennes de l'Europe, le concept de la famille naturelle que la législation européenne ne prend plus en considération, et l'avortement. Mais aucune de ces questions n'a été soulignée ou critiquée par la presse comme cela est arrivé dans le passé; à la place, les médias séculiers ont choisi de mettre en évidence les questions moins critiques du discours, comme l'immigration, la pauvreté et l'exclusion sociale.

Pourtant, ces avantages indiquent également l'autre face de la médaille, par exemple, qu'une Eglise avec une image nettoyée, très attentive aux questions sociales, est une Eglise qui n'est pas capable de parler de Dieu dans le sens le plus profond. La recherche d'un changement dans la façon d'annoncer la Parole a conduit ce pontificat à adopter des messages que le monde séculier aime précisément parce que François s'entretient avec le monde séculier des questions qui l'intéressent. Mais quand il parle de la foi, il le fait principalement à travers la lentille de la piété populaire. Qu'arriverait-il si le discours du Pape était axé sur la Parole elle-même, sur le sens le plus profond de l'Évangile, plus que sur son application concrète?

Ce n'est pas par hasard que Benoît XVI a dit à ses anciens élèves de discuter du sujet, «Comment parler de Dieu dans le monde contemporain». Nous avons besoin de parler de Dieu dans le sens le plus profond alors que nous vivons les effets extraordinaires du rebond de François, attesté par l' énorme quantité de publicité lui l'entoure (4).

Certes, le nombre de personnes participant aux Angelus dominicaux et aux audiences générales a explosé (??? d'autres voix disent le contraire) selon une source qui travaille à la préfecture de la Maison pontificale. Et il est vrai aussi que la participation à la Messe a augmenté, comme l'a récemment rapporté le Pew Forum (5).

D'autre part, il est peut-être aussi vrai qu'il manque l'étape suivante. Combien de fidèles sont retournés à l'Église, poussés à le faire par des slogans du pape et par des programmes d'action sociale de l'Église, et sont ensuite capables de vivre pleinement la présence de Dieu? Dans quelle mesure une Eglise qui se prélasse dans son image publique positive est-elle ensuite en mesure d'évangéliser?

C'est l'éternelle énigme de l'Eglise, divisée qu'elle est entre l'évangélisation et la nécessité d'une bonne image publique. La seconde a apparemment prévalu. La professionnalisation de la communication médiatique, basée sur le modèle du monde séculier, a également conduit à une personnalisation de la communication, complètement concentrée sur le leader. Aujourd'hui, François conduit l'Eglise en tête dans les sondages de la même manière que les dirigeants politiques tentent de conduire leurs partis dans un effort pour capturer l'opinion publique. Le leader précède désormais l'institution, et tout ce qui arrive lui est crédité. Aux États-Unis, le président Barack Obama a pris de nombreuses décisions impopulaires et - selon certains observateurs - même non-constitutionnelles, mais sa popularité n'a pas diminué pour autant: un leader universellement respecté peut agir de cette façon, sans conséquences négatives (pour lui!).

Cette politique ne peut pas être appliquée à l'Eglise, une institution universelle au service du monde. Au-delà de la popularité du Pape, il faut considérer l'institution qui demeure même si les gens qui s'y trouvent vont et viennent. L'institution est l'expression de la volonté de Dieu, et ce qu'il a à communiquer doit se concentrer uniquement sur lui.

Peut-être Benoît XVI a-t-il estimé que Dieu était marginalisé et que la communication des médias avait pris le dessus sur l'évangélisation. Au milieu de la professionnalisation de la communication du Vatican, le pape émérite a peut-être senti le besoin de parler à nouveau de Dieu. En choisissant ce sujet, il indique un chemin qui va au-delà de toute campagne de communication, et de la popularité de tout pape.

Qui sait si François va suivre ce conseil? François et le pape émérite sont souvent en contact - bien qu'on n'ait entendu aucune rumeur d'une rencontre entre eux pour les vœux de Noël cette année - et François a déclaré clairement que le pape émérite était une institution. Benoît XVI a également servi comme une sorte de conseiller caché de François (6), et il lui envoie humblement suggestions et conseils chaque fois que cela lui est demandé. Par son choix du thème du prochain Schuelerkreis, il a indiqué la voie à suivre.
L'Église saura-t-elle le suivre?

* * *

(1) http://benoit-et-moi.fr/2013-III/actualites/une-interviewe-du-cardinal-barbarin.html
(2) http://benoit-et-moi.fr/2014-I/actualites/onu-vs-saint-siege.html
(3) http://benoit-et-moi.fr/2014-II/actualites/discours-du-pape-a-strasbourg-auberge-espagnole.html
>>> On lira également à ce sujet cette excellente analyse: http://www.bvoltaire.fr/georgesmichel/pie-vii-jean-paul-ii-et-francois-ier,143290
(4) http://benoit-et-moi.fr/2014-I/actualites/un-prix-nobel-de-litterature-pour-un-pape.html
(5) http://benoit-et-moi.fr/2014-I/actualites/leffet-franois.html
http://benoit-et-moi.fr/2014-II/actualites/eglise-et-amerique-latine-lexode.html
(6) http://benoit-et-moi.fr/2014-I/actualites/le-conseiller-secret-du-pape-franois.html