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L'accompagnement des malades

Alors qu'en France le "débat" sur la fin de vie fait rage sous le masque trompeur de la compassion, il est bon de relire un discours prononcé par Benoît XVI devant des chirurgiens, en 2008 (13/12/2014)

«Le rapport sur la fin de vie que deux députés, Alain Claeys (PS) et Jean Leonetti (UMP) ont remis ces jours-ci à François Hollande propose le recours à la sédation, qui mène au décès, pour les patients atteints d’une maladie grave "qui demandent de ne pas souffrir", ainsi que la possibilité de donner des directives anticipées.
Celles-ci concernent "une personne bien portante ou déjà malade qui rédige ses volontés à l’égard de ses proches ou du corps médical". Elle pourra dire comment elle entend mourir. Ce sont des directives contraignantes, qui sont bien sûr révocables».
(www.publicsenat.fr)

Le concept de directives anticipées existe aussi en Italie, sous le nom de DAT (Dichiarazione anticipata di trattamento) ou plus familièrement, testament biologique: elles ont suscité de vifs débats, particulièrement houleux après la mort d'Elena Englaro, et durant tout le Pontificat de Benoît XVI, alors que l'Eglise était systématiquement accusée d'ingérence. On sait que les choses ont un peu changé après son départ (1)

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Le 20 octobre 2008, Benoît XVI s'adressait aux participants au Congrès national de la société italienne de chirurgie

La Repubblica, se faisant l'écho de ses propos, titrait: Le Pape contre le testament biologique et la technologie médicale qui "chosifie le malade".
L'article poursuivait:
Selon le pape Benoît XVI, avec l'approbation éventuelle de projets de loi pour l'institution du "testament biologique", il y a aujourd'hui en Italie le risque que les patients que la médecine ne peut pas guérir soient abandonnés.

En réalité, dans son discours, Benoît XVI ne dit pas cela, se plaçant dans un cadre plus large que la polique politicienne italienne; et en particulier, il ne cite pas le "testament biologique". Mais tout était bon pour le critiquer, même ce qu'il ne disait pas.
Voici ma traduction de ce très beau discours (qui ne figure pas à ce jour en italien sur le site du Saint-Siège).
Version en italien ici.

     

Je suis heureux de vous accueillir à cette audience spéciale, qui a lieu à l'occasion du Congrès national de la Société italienne de chirurgie. J'adresse à chacun et à tous mon salut cordial, en réservant un mot de remerciement spécial au professeur Gennaro Nuzzo pour les paroles avec lesquelles il a exprimé les sentiments communs et a expliqué les travaux du Congrès, qui se rapportent à une question d'une importance fondamentale.
Au centre de votre Congrès national, il y a en effet cette déclaration prometteuse et exigeante: «Pour une chirurgie dans le respect du malade».
A juste titre, on parle aujourd'hui, dans une époque de grands progrès technologiques, de la nécessité d'humaniser la médecine, développant ces traits du comportement médical qui répondent le mieux à la dignité de la personne malade à qui l'on prête service. La mission spécifique qui qualifie votre profession médicale et chirurgicale consiste en la poursuite de trois objectifs: guérir la personne malade, ou au moins essayer d'influencer efficacement sur l'évolution de la maladie; soulager les symptômes douloureux qui l'accompagnent, surtout quand il est à un stade avancé; prendre soin de la personne malade dans toutes ses attentes humaines.

Dans le passé, on se contentait souvent d'alléger les souffrances de la personne malade, ne pouvant arrêter le cours de la maladie, encore moins la guérir. Au siècle dernier, les développements de la science et des techniques chirurgicales ont permis d'intervenir avec un succès croissant dans l'épreuve du patient. Donc, la guérison, qui, auparavant, dans de nombreux cas, était seulement une possibilité marginale, est aujourd'hui une perspective normalement réalisable, au point d'appeler sur elle l'attention presque exclusive de la médecine contemporaine.
Un nouveau risque, cependant, découle de cette approche: celui d'abandonner le patient au moment où l'on ressent l'impossibilité d'obtenir des résultats significatifs.
Il reste vrai, cependant, que même si la guérison n'est plus envisageable, on peut encore faire beaucoup pour le malade: on peut en soulager les souffrances, on peut surtout l'accompagner dans son chemin, améliorant autant qu'il est possible sa qualité de vie. Ce n'est pas une chose à sous-estimer, parce que chaque patient individuel, même celui qui est incurable, porte en lui une valeur inconditionnelle, une dignité à honorer, qui est le fondement incontournable de tout acte médical. Le respect de la dignité humaine, en effet, exige le respect inconditionnel de chaque être humain, né ou à naître, en bonne santé ou malade, qulle que soit la condition dans laquelle il se trouve.

Dans cette perspective, la relation de confiance mutuelle qui se développe entre le médecin et le patient acquiert une importance fondamentale. Grâce à ce rappoprt de confiance, le médecin, écoutant le patient, peut reconstruire son histoire clinique et comprendre comment il vit sa maladie.
C'est encore dans le contexte de cette relation que, sur la base de l'estime mutuelle et du partage des objectifs réalistes à poursuivre, peut être défini le plan thérapeutique: un plan qui peut conduire à d'audacieuses interventions salvatrices, ou à la décision de se contenter des moyens ordinaires qu'offre la médecine. Ce que le médecin communique au patient directement ou indirectement, verbalement ou non verbalement, développe une influence notable sur lui: il peut le motiver, le soutenir, mobiliser et même augmenter ses ressources physiques et mentales, ou, au contraire, il peut en affaiblir et frustrer les efforts et ce faisant, réduire l'efficacité même des traitements appliqués. Ce qu'on doit viser, c'est une véritable alliance thérapeutique avec le patient, en s'appuyant sur cette rationalité clinique spécifique qui permet au médecin de voir le mode de communication le mieux adapté à chaque patient. Cette stratégie communicative visera en particulier à soutenir, tout en respectant la vérité des faits, l'espérance, élément essentiel du cadre thérapeutique. Il est bon de ne jamais oublier que ce sont justement ces qualités humaines qu'en plus de la compétence professionnelle au sens strict, le patient apprécie chez le médecin. Il veut être considéré avec bienveillance, pas seulement examiné; il veut être écouté, pas seulement soumis à des diagnostics sophistiqués; il veut percevoir avec certitude qu'il est dans l'esprit et le cœur de son médecin traitant.

Même l'insistance avec laquelle on souligne aujourd'hui l'autonomie individuelle du patient doit être orientée à promouvoir une approche au malade qui le considère à juste titre non pas comme antagoniste, mais collaborateur actif et responsable du traitement thérapeutique. Il faut regarder avec suspicion toute tentative d'intrusion de l'extérieur dans cette délicate relation médecin-patient. D'une part, il est indéniable qu'il faut respecter l'autodétermination du patient, sans oublier toutefois que l'exaltation individualiste de l'autonomie finit par porter à une lecture non réaliste, et certainement appauvrie, de la réalité humaine. D'autre part, la responsabilité professionnelle du médecin doit l'amener à proposer un traitement qui cherche le vrai bien du patient, sachant que sa compétence spécifique lui permet d'évaluer globalement la situation mieux que le patient lui-même.

La maladie, d'autre part, se manifeste à l'intérieur d'une histoire humaine précise et se projette sur le futur du patient et son environnement familial. Dans le contexte hautement technicisé de la société d'aujourd'hui, le patient risque d'être quelque peu «chosifié». Il se retrouve en effet dominé par des règles et des pratiques qui sont souvent complètement étrangères à sa façon d'être. Au nom des exigences de la science, de la technologie et l'organisation des soins de santé, son mode de vie habituel est bouleversé. Il est en revanche très important de ne pas exclure de la relation thérapeutique, le contexte existentiel du patient, notamment sa famille. Pour cela, il faut promouvoir un sentiment de responsabilité de la famille envers leur parent: c'est un élément important pour eéviter l'aliénation supplémentaire que ceux-ci subissent presque inévitablement s'ils sont confiés à une médecine hautement technologique, mais privée d'une vibration humaine suffisante.

Sur vous, alors, chers chirurgiens, pèse la responsabilité d'offrir une chirurgie vraiment respectueuse de la personne du malade. C'est une tâche en soi fascinante, mais aussi très exigeante. Le Pape, justement par sa mission de Pasteur, est proche de vous et vous soutient avec ses prières. Avec ces sentiments, en vous souhaitant le meilleur succès dans votre travail, je vous donne volontiers à vous et à vos proches la Bénédiction apostolique.

     

Note

(1) En mars 2014, dans une longue interview au Corriere della Sera, le Pape répondait prudemment à une question sur la fin de vie du directeur, Ferrugio di Bortoli:

FdB: La science évolue et redessine les frontières de la vie. Cela a-t-il un sens de prolonger artificiellement la vie dans un état végétatif? Le testament biologique peut-il être une solution?
François: «Je ne suis pas un spécialiste en questions bioéthiques. Et je crains que chaque phrase que je prononce puisse donner lieu à équivoque. La doctrine traditionnelle de l'Eglise dit que nul n'est obligé d'utiliser des moyens extraordinaires quand on sait qu'on est en phase terminale. Dans mon travail pastoral, dans ces cas, j'ai toujours recommandé des soins palliatifs. Dans les cas plus spécifiques, il est bon d'avoir recours, si nécessaire, aux conseils de spécialistes».