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Des lapins heureux

Un formidable article, publié sur la Bussola d'un journaliste catholique italien, jeune père de famille nombreuse, qui réagit à son tour à la dernière déclaration malheureuse du pape. Traduction de Anna (21/1/2015)

L'auteur, Andrea Zambrano, âgé de 37 ans, collabore à Il Giornale et à la revue catholique Il Timone (dans laquelle Vittorio Messori tient une rubrique, comme nous l'avons vu récemment), et il est rédacteur en chef du quotidien régional "Prima pagina Reggio".
Il tient un blog "Fuori schema" ici: zambrano-andrea.blogspot.fr/

Cher Pape, nous sommes si heureux, nous les "lapins"…

Andrea Zambrano
www.lanuovabq.it/it/articoli-caro-papa-noiconigli-siamotanto-felici
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Je suis un lapin irresponsable. Et franchement, je n'en ai même pas honte, car j'ai passé toute ma vie maritale, avec la complicité coupable de ma femme, à accueillir les enfants que Dieu nous a donnés, selon la simple petite formule aujourd'hui si démodée. J'ai aussi des amis lapins, et depuis deux ans, dans la cabane en bois des enfants, dans le jardin, de vrais lapins ont nidifié; ils y sont arrivés par osmose, par attraction, c'est évident.

C'est dur, et je le dis tandis que je travaille sur l'ordinateur, vérifiant en même temps le relevé bancaire qui baisse, alors que je prend le thermomètre de l'aisselle de Gabriele, numéro 3 de la couvée surnommé «rombo di tuono» (roulement de tonnerre), et que j'enfile mes chaussures pour aller chercher le numéro 4, Giovannino, qui ressemble à un amour du 18ème siècle, après avoir réglé au passage le cours de danse de la numéro 2, ma chérie-que personne n'y-touche et avoir récupéré les analyses médicales du numéro 1 qu'à le voir jouer trois-quart, tu penses à Rui Costa (ndt: sans doute le footballeur portugais, cf. fr.wikipedia.org)

C'est dur, mais c'est beau, tellement beau que je ne pourrais pas concevoir une vie de moine sans ces hurlements, et les cheveux tirés, et les vols planés sur le canapé d'un fou surexcité qui ressemble à Neuer (ndt: footballeur allemand). Cette opération de multitasking, ma femme la réalise avec davantage de charges que moi, elle se plaint, souffle, mais on voit que sa vie est pleine et pas du tout occupée dans le superflu. Elle est une lapine splendide, se partageant entre le boulot et le «kitchenaid» , avec une désinvolture extrême. La coiffeuse, désormais, elle la fait venir à la maison et quand elle s'offre une heure de shopping ce n'est pas pour rentrer avec un sac Furla mais avec les paquets 3x2 des chaussettes coton-éponge.

Elle dit qu'elle est heureuse comme ça: une lapinette sans jarretières, heureuse et irresponsable. La pizza on la mange au maximum une fois par mois, et jamais à la pizzeria car nous sommes bruyants et le voisin de table nous regarde alors comme des martiens, mais quand cela arrive c'est la fête. Sur la route nous sommes du genre minivans et camionnettes de transport de personnes et lorsque la radio alerte «Fortes rafales prévues entre Caianello et Valmontone. Prudence pour les camions bâchés, les camionnettes et les caravanes», nous nous sentons toujours plutôt concernés. C'est comme une grande community.

A l'hôtel, pour nous c'est toujours les cinq lits, car l'idéal des «trois enfants» n'est pas qu'une exigence démographique, elle est aussi celle du marché. S'il arrive qu'ils ne nous donnent pas un sixième lit on truque, essayant d'apitoyer le réceptionniste en leur disant que le 3ème et 4ème enfants vont se serrer dans un même lit.

Puisque le Pape Bergoglio aime le langage coloré et semble ne s'offusquer de rien, nous allons appeler un chat un chat et parler en toute franchise. J'ai même entendu des je-sais-tout affirmer que le pape a ouvert ainsi la voie à la capote. Nom d'une pipe! Je crois toutefois que seules deux catégories peuvent discuter de ses propos: les familles lapines et le Pape. C'est une affaire entre nous. Les autres, dehors: experts, évêques, curés etmentalistes qui savent tout (?).

Lui, il a déjà parlé, maintenant c'est à nous. Et comme je suis fidèle au Magistère de l'Eglise et à son dépôt et à la sainte tradition, avant de trop m'inquiéter j'attendrai que l'anathème 'contra cuniculum' soit écrite dans une lettre apostolique ou dans une encyclique. Jusqu'à cette date je ne considérerai la phrase du Pape François sur les lapins que comme une malencontreuse boutade. Une parmi les nombreuses qu'il proclame pendant ses interviews. Vous en dites beaucoup, Sainteté, et tous prennent vos interviews pour du Magistère, mais moi je me souviens de ce que disait votre prédécesseur à propos du Magistère médiatique du Concile. Donc, je prends mes distances.

Comme je suis journaliste et que j'en connais les pièges, cette 'interviewite' je ne l'ai jamais appréciée. J'y pensais depuis un bon moment, et voilà que je vous l'ai dit. Cela arrive, Sainteté, on peut se tromper. Surtout lorsqu'on parle sans arrêt à 14 mille pieds d'altitude, avec des journaliste assoiffés de bavardage et avec le décalage horaire en plus. Soyons honnêtes, c'était une phrase malheureuse qui ne vous fait pas honneur, et qui nous humilie.

Et oui, elle nous humilie, car nous le savions déjà que nous étions des lapins, et que nous nous accouplons aussi comme des lapins, disons-le comme on nous l'a toujours dit, afin que ce ne soit pas dans le sens d'être des peureux (ndt: en italien, essere un coniglio = être un froussard) et ce n'est pas le cas, puisque pour élever 4 enfants ou plus aujourd'hui, il faut un sacré courage.

Tout le monde nous le répète, avec cette phrase bête: «Ça suffît comme ça, non?», et nous ne comprenons pas pourquoi certains devraient se sentir rassurés de savoir que nous allons fermer la porte à la cigogne. Jalousie? Frustration? Colère déguisée? Qui sait… le boulanger nous le dit, le gynécologue, et même l'agent de police s'il lui arrive de vérifier les papiers et de rentrer la tête dans l'habitacle de la voiture, découvrant ainsi un fouillis de ceintures, pire qu'une station orbitale. Il ne manquait que vous pour nous le dire.

Et moi, votre discours, je l'ai bien lu. Mais certaines choses, je ne les ai pas comprises. Vous avez réussi à dire dans une même interview que Paul VI dans Humanae Vitae avait été un prophète et que les chrétiens ne doivent pas faire les enfants comme des lapins. N'est-ce pas une contradiction puisque une chose exclut l'autre?
Et sachez que dans ces questions je n'ai pas besoin de me confier aux experts comme vous l'avez affirmé. Ma vie suffit et personne ne peut la contester, car elle est mon humble témoignage. Le «allez et multipliez-vous» me suffit, je voudrais juste que l'Etat reconnaisse le fait que mes enfants payeront la retraite à ceux qui n'ont pas fait d'enfants et que dans les familles nombreuses on expérimente aujourd'hui les sains principes que la société a perdus. Car la famille est le seul endroit où tous se soutiennent les uns les autres. Trouvez-moi un autre microcosme semblable et aussi formateur.

Voici ce qu'est pour moi la paternité responsable: non pas juste subbvenir aux besoins d'un enfant, mais l'éduquer, après que la sage-femme nous l'ait servi sur la table à langer. C'est cela, le défi. Eduquer est plus dur et parfois plus douloureux, mais cela fait partie ds appels de notre sainteté matrimoniale. J'aurais aimé vous l'entendre dire, au lieu de vous concentrer comme tous sur des questions d'argent et sur ces choses. Car si nous avions auparavant vérifié notre compte en banque, nous n'aurions vraiment pas accueilli 4 enfants, et ce serait bien que quelqu'un, au moins dans l'Eglise, reconnaisse que s'en remettre à la Providence, c'est cela, sinon, il n'y a quà aller se faire voir (sculacciare le rane?).

Je n'ai non plus apprécié l'exemple de la femme qui a eu 7 césariennes. Je connais une dame qui en a eu 5 de césariennes et je voudrais lui dire: fais gaffe car si tu continue ils vont t'excommunier. Mais elle est médecin, avec la tête bien sur ses épaules et surtout avec cette même capacité de sacrifice qui a fait la grandeur de Sainte Gianna Beretta Molla et qui fera sainte Chiara Corbella. Cet exemple de la femme aux sept césariennes, comme si c'était la femme aux sept maris du livre de Tobit, ne convient pas car c'est un cas limite. Ce métier m'a appris que les cas limites sont utilisés par les Radicaux afin d'introduire un concept qui force le sentiment de sympathie des gens, provoquant un élan de tendresse face à une situation extraordinaire. Ce faisant ils introduisent un principe destructif: c'était ainsi avec l'avortement, le divorce, l'euthanasie, etc. je ne voudrais pas qu'ils fassent la même chose un jour avec la contraception aussi.

Peut-être entendiez-vous dire qu'il ne faut pas mettre au monde les enfants par égoïsme? Ok, mais sachez qu'après les deux premiers, qui satisfont l'égoïsme du couple, tout le reste n'est que coeur et élan. D'égoïsme, j'en vois très peu. Je ne vois pas non plus d'égoïsme chez les mères qui à 11 heures le soir préparent les vêtements du lendemain et les rangent comme des poulets en batterie. Je n'y vois pas d'égoïsme car avant cela elles ne sont pas allées au cinéma, mais ont débarrassé la table, fait tourner la machine et ont regardé avec une tendre compassion, avec leur tablier sale, leur petit mari étalé sur le canapé qui dort comme un loir.

Sachez encore qu'il ne faudrait pas que cette technique de se passer de la théorie afin de justifier une autre pratique soit pour mieux introduire d'autres bouleversements. Je vais m'expliquer. Vous avez dit qu'une chose est la théorie (à propos du passage sur les coups de poing - dans l'interview en cause), et une autre chose est la pratique. Nous aussi les chrétiens nous devons être ouverts à la vie, je ne vais pas vous le répéter car nous en sommes convaincus tous les deux. Mais si nous instaurons un hiatus entre la théorie et la pratique, nous allons nous trouver à nouveau face à la pratique séparée de la doctrine.

Enfin, je ne voulais pas vous faire la morale avec le petit doigt levé, c'était juste pour vous dire comment je me suis senti, moi et d'autres amis qui n'ont pas la chance de pouvoir barbouiller les pages d'un journal. Et vous dire aussi que nous sommes fidèles à notre pacte d'amour, que nous y croyons, aidez-nous à en être fiers et, si nécessaire, défendez nous des attaques de cette société qui nous considère comme des lapins et rien d'autre. Soldats d'une petite armée de prétoriens, ne réduisant pas la personne à la chose et n'enfermant pas la vie dans le planning d'un carnet relié de moleskine.

Je m'adresse à vous avec cette audace car c'est vous qui nous avez encouragés à importuner non pasteurs, afin qu'ils nous donnent le lait de la grâce. Et voilà, c'est ce que je fais.
En tout cas ma maison est ouverte, si vous voulez un jour venir nous connaître. Nous sommes joyeux et fatigants, confiants et pleins de problèmes confrontés et résolus. Nous avons mêmes nos places fixes à table, comme les sept nains. Je ne m'invite pas au Vatican car le numéro trois, avec la complicité sournoise du numéro quatre, pourrait soustraire une lance aux gardes suisses et semer la panique dans les Palais Sacrés, hurlant parmi les miroirs et les tapisseries: "Je crois aux fées, moi. Je le jure! Je le jure!". C'est pour vous mettre en garde.





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