Page d'accueil

Entre deux synodes (fin)

Seconde et dernière partie de l'analyse de George Weigel. (2/1/2015)

>>>
Entre deux Synodes (Partie I)

Dans cette partie, George Weigel examine les questions qui devront être approfondies, et les réflexions qui devront être développées, dans la perspective du Synode d'octobre 2015.
Le défi pour l'Eglise sera de réaffirmer la beauté du mariage fertile, en insistant sur les moyens appropriés de régulation de la fertilité. D'expliquer ce que signifie "chercher les gens là où ils sont" dans une perspective pleinement catholique. D'ajuster les provessus canoniques d'annulation du mariage. De clarifier au profit du peuple de l'Eglise "la différence essentielle entre le contrat sacramentel du mariage, d'un côté, et le contrat civil d'une relation sexuelle privée à laquelle l'Etat accorde une reconnaissance publique légale, de l'autre". De garantir des débats plus impartiaux et non manipulés. Et surtout d'insérer le débat dans la nouvelle évangélisation, en invitant à la prochaine session, des laïcs engagés dans la préparation au mariage et la catéchèse sur la théologie du corps, dans des milieux culturellement hostiles.

Addendum:
Un ami me signale que George Weigel a été reçu en audience par le Pape le 13 décembre dernier, comme cela est indiqué sur le
bulletin VIS du 15 décembre (le même jour, il recevait l'archevêque de Boston, le cardinal O'Malley): cela explique le long article, et peut-être aussi son ton...

     

Des dommages irréparables
-----
Ce qui ne sera pas si facile à réparer et est peut-être irréparable, comme l'a dit le Cardinal Napier, c'est le dégât provoqué par la relation intérimaire de l'Archevêque Forte. Les tentatives du Cardinal Baldisseri et d'autres de justifier le rapport comme un simple bulletin des thèmes des discussions est contredit par deux faits.

Premièrement, le rapport intérimaire a été sévèrement critiqué par au moins sept des dix groupes linguistiques dans la deuxième semaine du synode, où il a été considéré comme une traduction infidèle des discussions du synode.
Deuxièmement: très peu de ce que la gauche catholique et la presse mondiale considéraient comme révolutionnaire et agréable dans le rapport intérimaire était repérable dans le rapport final du synode, que le Pape a déclaré document de programmation du synode de 2015, ou dans le "Message" du synode au monde, un document soigneusement rédigé célébrant le mariage et la famille.

Et pourtant, au vu de la séquence médiatique - le rapport intérimaire a été fuité avant d'être formellement présenté (pas par hazard, évidemment), et le modèle médiatique vite cimenté ("Finalement c'est arrivé! L'Eglise change!") - ce que le monde connait du synode est surtout le rapport intermédaire. Cela veut dire que le scénario (pape gentil contre méchants revenants au pré-Vatican II) sera poursuivi par une grande partie de la presse. Ce qui va fausser et entraver la conversation que justement le Pape voudrait que l'Eglise du monde ait entre de synode de 2014 et celui de 2015.

Un succès?
-----
Dans son discours final au synode, le Pape François a affirmé que le synode avait été un succès, ce qu'il a été, même si ce n'est pas exactement dans le sens revendiqué par la suite par la minorité (les partisans des propositions Kasper et du rapport intérimaire Forte). Un débat énergique a eu lieu malgré les circonstances difficiles créés par le secrétariat général du synode. De ce débat s'est dégagé un consensus clair en faveur de l'enseignement classique de l'Eglise catholique sur la nature de la personne humaine, la moralité de l'amour, la nature du mariage et la nécessité de combiner amour et miséricorde proclamant ce que Jean-Paul II appelait l'Evangile de la vie. Aux pasteurs qui ont été maladroits ou impitoyables avec des couples engagés dans des mariages irréguliers ou ceux ayant une attirance pour le même sexe (une nette minorité selon mon expérience), il a été rappelé que le Bon Pasteur reste le modèle de charité pastorale dans l'Eglise.

L"Afrique a été un centre vital de vie et témoignage catholique pendant des décennies, et ces mêmes vitalité et témoignage sont maintenant à l'oeuvre aux plus haut niveaux des délibérations de l'Eglise. L'appel du Pape à l'ouverture, et la confiance des évêques africains dans leur propre expérience ecclésiale les ont autorisés à résister aux suggestions de céder à leurs ainés européens.

Alors qu'une bonne partie des reportages et commentaires sur le synode est retombé dans la mauvaise habitude d'utiliser les catégories éculées de Bon Progressiste et Méchant Conservateur pour illustrer tous les débats entre catholiques, un examen de plus près des débats met en évidence que le drame de l'Eglise catholique au 21ème siècle ne se déroule pas selon le plan que détaillent depuis désormais un demi-siècle les articles du New Yorker signés du pseudonyme "Xavier Rynne", lequel a façonné les clichés "indiens-contre-cowboys" qui dominent une encore trop grande partie de la couverture médiatique des questions catholiques.
Aujourd'hui, la dynamique et les chefs orthodoxes de l'Eglise - ceux qui ont réussi à contrer la tentative de détourner le synode 2014 sur la voie indiquée par le rapport intermédiaire, et dont les interventions ont contribué à améliorer le rapport final et le "Message" du synode au monde - sont tous des hommes du Vatican II, et non des hommes contre Vatican II. Ils ont vu le Concile à travers le magistère de Jean-Paul II et Benoît XVI, qu'ils voient offrir une interprétation faisant autorité de ses enseignements. Ils veulent que cette interprétation faisant autorité soit mise au service de ce que Jean-Paul II appelait la nouvelle évangélisation - et dont le Pape François, dans son exhortation apostolique de 2013 Evangelii Gaudium, a fait la grande stratégie de son pontificat. Ils savent que la nouvelle évangélisation n'est pas avancée au moyen de compromis tactiques, et encore moins stratégiques, avec le 'zeitgeist', au sujet de l'indissolubilité du mariage et de la moralité de l'amour humain. Et ils ne sont pas prêts de recevoir des instructions sur comment faire avancer la nouvelle évangélisation de la part des chefs catholiques en Allemagne, Italie, Angleterre, ou ailleurs qui ont manifestement failli dans leur tâche évangélique.

Questions ouvertes en attendant octobre 2015
----

Il reste cependant beaucoup de travail à faire en réponse à l'appel du Pape François afin que toute l'Eglise poursuive la discussion commencée en Octobre 2014. Les principales questions à aborder dans les mois qui viennent, pendant que l'Eglise prépare le synode de 2015, sont au moins les suivantes:

1. La discussion dans l'Eglise pendant l'année 2015 et l'interaction avec la culture au sujet du mariage et de la famille devraient être fondées sur des données plus qu'anecdotiques. Davantage de données (disponibles en abondance) doivent être produites afin de prouver que l'idée de l'Eglise d'un mariage permanent et fertile, comme l'enseignement de l'Eglise sur les moyens appropriés de régulation de la fertilité, contribue effectivement à des mariages plus heureux, à des familles plus heureuses, des enfants plus heureux, et à des sociétés plus généreuses, plus que ne le fait la démolition du mariage et de la famille qui inonde l'Occident comme un tsunami. En enseignant la vérité sur le mariage, l'amour, la complémentarité des sexes, l'Eglise catholique propose une voie vers le bonheur et l'épanouissement humains, et non vers la répression et la misère. Elle devrait plaider courageusement, avec des chiffres à l'appui, en faveur de cet enseignement, qui est une défense de la dignité de la personne humaine.

2. Dans le même temps l'Eglise devrait s'engager dans une discussion beaucoup plus sérieuse au sujet de «l'échelle de l'amour», une image de la vie spirituelle tirée par Saint Augustin du Symposium (Le Banquet) de Platon.
II a été suggéré au synode que, dans un souci de stratégie pastorale, l'Eglise devrait approcher les gens «là où ils sont» sur l'échelle de l'amour, aussi long que soit l'échelon. Cela est certainement vrai, comme cela l'a toujours été. Mais l'Eglise approche les gens «là où ils sont» sur l'échelle afin de les inviter à monter plus haut, avec l'aide de la grâce de Dieu médiée par les sacrements. Le fait de trouver des éléments dignes dans les situations maritales irrégulières ou des relations sexuelles irrégulières n'est pas une approbation de ces irrégularités mais une invitation aux gens à gravir l'échelle. Cela signifie les encourager à comprendre la plénitude du bien et les encourager à la chercher, avec l'aide de la grâce. C'est un défi aussi vieux que les efforts de Paul dans l'Aréopage, et il ne va pas disparaître. Mais la discussion sur comment inviter des hommes et femmes à monter plus haut dans l'échelle de l'amour n'avancera pas par des appels à la compassion qui en effet dissocient la compassion de la vérité, ou en accommodant des principes arbitraires contemporains sur la sexualité dans toutes ses expressions.

3. Un des habituels clichés médiatiques dans la couverture du synode de 2014, trop souvent tiré de malheureux commentaires de la part des pères synodaux, était la différence entre «doctrine» et «pratique pastorale». Les deux ne sont évidemment pas la même chose. Mais il est tout aussi évident que certaines pratiques ecclésiales, comme la définition des conditions qui constituent (ou empêchent) la capacité de recevoir la Sainte Communion, sont étroitement liées à la doctrine établie: la doctrine tirée du Seigneur lui-même, que le mariage est indissoluble, et la conséquence de cette doctrine pour l'idoine réception de la Sainte Communion, qui est tirée de Saint Paul: Celui qui «mange le pain ou boit la coupe du Seigneur d'une façon non digne sera coupable de profaner le corps et le sang du Seigneur» (1 Cor. 11:27).

4. Maintenant qu'il est parfaitement clair (à tous sauf au Cardinal Kasper, paraît-il) qu'il n'y a pas de consensus possible en faveur des propositions Kasper de changer la pratique de l'Eglise à cet égard (car cela constituerait un changement impossible dans la doctrine), la discussion au cours de la prochaine année devrait se concentrer sur les ajustements dans les processus canoniques par lesquels les mariages sont déclarés nuls, et sur les vérités concernant la Sainte Communion et le sacrement de la Pénitence qui sont à la racine de la compréhension et de la pratique, présentes, et futures, de la dignité de recevoir la Sainte Communion. En dépit de tous leurs défauts - en réalité à cause de leurs défauts et de l'attention médiatique qu'elles ont reçue, les propositions de Kasper donnent aux pasteurs et aux évêques une remarquable opportunité de re-catéchiser (en plusieurs cas, de catéchiser) leurs gens au sujet du mariage, de l'Eucharistie et la de la pénitence. Des lettres pastorales sur ces sujets seraient utiles, mais rien n'est ici plus important que la prédication effective.

5. La relation finale du synode a fortement protesté contre la «pression» exercée sur les «pasteurs de l'Eglise» par des forces culturelles, politiques et juridiques promouvant le programme LGBT, et a rejeté comme étant «totalement inacceptables» les machinations des «organisations internationales qui lient l'assistance financière aux pays plus pauvres à l'introduction de lois établissant le 'mariage' entre personnes du même sexe». Il s'agissait d'un utile refus du programme de l'Agence Internationale pour le Développement et du Département d'Etat d'Obama, entre autres.
La discussions de ces «pressions» avant le synode de 2015 offre aux pasteurs de l'Eglise une autre opportunité de clarifier au profit des gens de l'Eglise la différence essentielle entre le contrat sacramentel du mariage, d'un côté, et le contrat civil d'une relation sexuelle privée à laquelle l'Etat accorde une reconnaissance publique légale, de l'autre. Cette clarification devrait conduire, à son tour, à un ré-examen approfondi de la relation de l'Eglise au mariage civil, centrée sur la question de comment l'Eglise pourrait éviter toute complicité dans la fraude du «mariage de même sexe». L'Eglise porte-t-elle atteinte à son enseignement, au sein de la famille des croyants et affaiblit-elle son témoignage dans la place publique, lorsque des doyens, prêtres et évêques catholiques signent des certificats de mariage civils où il est indiqué «époux 1» et «époux 2»? De tels euphémismes signalent une compréhension du mariage qui n'est pas seulement différente mais intrinsèquement opposée à la compréhension de l'Eglise. Ces discussions pourraient aussi être bénéfiques si elles étaient encadrées dans une plus riche ecclésiologie que celle qui était souvent évidente dans les débats synodaux de 2014, avec l'ancien concept de la famille comme ecclesiola, la «petite Eglise», au centre de la relation entre l'Eglise domestique et le corps mystique du Christ.

6. Aucun de ceux qui on enduré l'ennui (??) de précédents synodes ne peuvent émettre des objections contre la détermination du Pape François de raviver le mécanisme et d'encourager une discussion vive et franche des problèmes en question.
Cette noble intention avancera si le synode de 2015 est géré de manière totalement différente de celui de 2014. Cela peut demander quelques ajustements du personnel responsable dans le secrétariat général du synode, mais le changement fondamental nécessaire est celui dans l'attitude.
Le secrétariat du synode doit comprendre qu'il est là pour servir les pères synodaux, non pas pour manipuler les procédures et conduire la discussion dans la voie de certaines conclusions prédéterminées. La résistance massive montrée par les pères synodaux le 16 octobre justement à ce genre de manipulation était en effet un développement très salutaire dans l'encore jeune tradition des synodes réguliers de toute l'Eglise, car il a montré que les évêques prenaient très au sérieux l'appel du Pape à une mise en valeur de la synodalité et de la collégialité. En d'autres mots, l'impartialité de la procédure synodale est un digne sujet de discussion entre maintenant et le synode de 2015, et en aucun cas cette discussion ne représente une critique du Pape François (!!!). Au contraire, elle est au service de sa vision de ce que le synode peut et devrait être.

7. Finalement, toute ce débat sur la crise du mariage et de la famille au 21ème siècle devrait être plus étroitement et explicitement liée à la nouvelle évangélisation.
Des hommes et des femmes engagés dans les différentes préparations au mariage et les ministères d'évangélisation dans les campus des universités (cf. en.wikipedia.org/wiki/College_religious_organizations ) et qui ont eu de véritables succès dans le déploiement de la théologie du corps et autres développements théologiques et pastoraux catholiques post-conciliaires d'évangélisation et de catéchèse en des milieux culturels hostiles devraient être invités au synode de 2015 comme auditeurs et observateurs. Leur expérience pastorale pratique renforcerait les perspectives théorétiques que les facultés des Instituts Jean-Paul II sur le Mariage et la Famille pourraient apporter au synode de 2015.

En d'autres termes, le synode ordinaire de 2015 devrait refléter plus clairement les trois préoccupations exprimées par le Pape François dans son discours de clôture du synode de 2014: une préoccupation passionnée pour la mission; une préoccupation compatissante pour les gens en des situations difficiles; et une préoccupation engagée pour les vérités établies de la foi catholique. Tenir ces trois préoccupations ensemble à la fois peut se révéler difficile, mais c'est la difficulté de ce moment catholique particulier. Lui répondre sera un service en faveur de l'évangélisation d'un monde brisé et dans la souffrance, ce qui est la mission première de l'Eglise.

* * *

George Weigel, maître de recherche et membre éminent du Centre d'Etique et Politique Publique à Washington, D.C., où il tient/est titulaire de la chaire William E. Simon d'Etudes Catholiques.

  benoit-et-moi.fr, tous droits réservés