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François a-t-il lu "Le Maître de la Terre"?

Après l'hebdo people ciblant les gens simples ("Il mio Papa"), la comm' de François s'adresse au public plus cultivé du Corriere della Sera à travers une collection de ses "livres de chevet". Parmi eux, le chef d'oeuvre de Hugh Benson

>>> Voir aussi: Le Maître de la Terre (préface de Mgr Negri)

Le Corriere della Sera, le plus important quotidien italien (réputé plus proche de la maçonnerie que de l'Eglise) dont le directeur Ferruccio de Bortoli a interviewé le Pape en mars 2014, commençait en mai 2014 - donc deux mois après l'interview - la publication d'une collection de 20 volumes sous le titre «La biblioteca di Papa Francesco».

Les titres étaient choisis par le Père Spadaro, SJ, directeur de la Civiltà Cattolica, et conseiller très écouté du Pape. On trouvera une présentation ICI.
Le deuxième volume de la collection est l'ouvrage de Hugh Benson Lord of the World (en italien: Il Padrone del Mondo, et en français Le maître de la Terre).

Mgr Luigi Negri a écrit pour une autre réédition récente une préface que j'ai traduite.
Il en ressort une telle distance entre le sujet du livre et la perception du Pontificat que j'écrivais:

Sans exclure évidemment l'hypothèse d'une parfaite sincérité de la part du Pape, l'habile homme de médias que beaucoup voient en lui ne peut pas ignorer que des esprits malicieux ont pensé au roman de Benson devant le printemps de l'Eglise inauguré le 13 mars 2013.

C'est un peu ce qui ressort de cet article, publié aujourd'hui sur le site Le cronache di Papa Francesco.
L'auteur, Luca Fumagalli, a publié récemment une importante biographie de Hugh Benson, "Robert Hugh Benson, Sacerdote, scrittore, apologeta" (cf. www.fedecultura.com/libro/robert-hugh-benson) élogieusement recensée dans L'Avvenire et Il Sussidiario.

Mais Bergoglio a-t-il jamais lu «Le maître de la Terre»?

Luca Fumagalli
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Il paraît qu'entre Bergoglio et les romans de RH Benson, ce fut le coup de foudre immédiat. Non seulement "Le maître de la terre" fait partie de la série des éditions RCS (Rizzoli-Corriere della Sera) «La biblioteca di Papa Francesco», mais au cours des dernières semaines l'Argentin a de nouveau invité à relire les pages du chef-d'œuvre bensonien.
Pourtant, quiconque a eu la chance d'apprécier le livre le plus célèbre de l'écrivain anglais, ne peut que se poser une question: mais Bergoglio a-t-il vraiment lu le roman?

Le maître de la Terre est un récit dystopique qui parle d'un futur où le catholicisme est mis au pilori et l'Église au bord de l'extinction. La nouvelle idéologie humanitaire, qui prétend substituer l'homme à Dieu a ouvert les portes à l'apostasie et au péché. L'euthanasie, l'avortement et la persécution religieuse sont le résultat d'une culture de la fausse tolérance qui, par une intuition prophétique, s'avère ne pas être très différente de celle d'aujourd'hui. Lorsque la décadence atteint son apogée, voici que Felsenburgh, un politicien mystérieux qui assume bientôt les caractéristiques du personnage Biblique de l'Anti(e)christ, parvient à prendre le pouvoir sur toute la terre dans le seul but d'éradiquer l'Église du Christ.

Le roman, écrit sous le pontificat de saint Pie X, peint une image du catholicisme radicalement opposée à celle promue par François.

Dans le cours de l'intrigue, en effet, Benson insiste à plusieurs reprises sur une division claire entre le monde et l'Eglise. Le critère de la mondanité est considéré comme dangereux pour l'âme, fruit d'un complot contre le bien qui a pour seul but d'étouffer tout instinct spirituel. Dans Le maître de la Terre, même les valeurs laïques telles que la solidarité et le respect, auxquelles Bergoglio fait souvent appel, sont présentées sous un mauvais jour parce qu'elles sont juste un écran qui ne peut cacher longtemps la haine du libéral envers la vérité. Il s'agit donc d'un «grand divorce» - pour reprendre le titre d'un célèbre roman de CS Lewis - qui se consomme pour le triomphe du Christ et qui interpelle une Église radicalement militante, qui n'a rien à voir avec l'idéologie post-conciliaire de la communautés en pélerinage, marchant vers un horizon de vérité qui échappe à tous.

Bien loin de l'embrassade au monde dont Bergoglio est désormais devenu un témoin illustre, dans sa dystopie Benson imagine même que les différentes églises ou sectes chrétiennes ont été réabsorbés par l'Eglise de Rome, la seule qui, devant les tentations de la modernité s'est avérée être un rempart solide et crédible.

L'attaque contre le modernisme et la franc-maçonnerie est le sceau ultime d'une oeuvre radicalement anti-moderne qui n'a rien à voir avec François: du désaveu de prosélytisme à l'œcuménisme, des mea culpa aux clins d'œil à la pensée dominante (la dernière en date, avec les catholiques comparées à des lapins est pour le moins révoltante), le soupçon émerge presque que Bergoglio et Benson appartiennent à deux religions différentes.

D'ailleurs, si on lit la préface au roman dans l'édition de RCS, rédigée par un ancien élève du jésuite, on trouve écrit: «La vie, comme la propose le matérialisme militant, serait le paradis terrestre de la consommation illimitée. Ceux qui ne peuvent y accéder (la majorité) seraient condamnés à l'enfer sur terre. De là, l'avertissement de François, son appel à la pauvreté».

Si vraiment le motif pour lequel il vaut la peine de lire Le maître de la Terre est si misérable et si banal, comme si c'était un improbable manifeste pour une sorte de pseudo-théologie de la libération du XXIe siècle, vraiment, laissez tomber.
Je crois que RH Benson a droit à une toute autre qualité de lecteurs.

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