Page d'accueil

Transparence financière, pratique et doctrine

A propos de la réforme de l'IOR, Ettore Gotti Tedeschi répond non sans humour au Cardinal Kasper, établissant un parallèle entre la finance et la théologie.

La chronique économique matinale d'une station de radio peu réputée pour sa cathophilie (mais ceci est un pléonasme) annonçait hier:
"Le Vatican va signer cette semaine un traité mettant fin à son statut (!!) de paradis fiscal ce qui est une bonne indication de la pensée économique du Pape François".

Suivaient les explications du spécialiste de service, entrecoupées des commentaires du présentateur. Il en ressortait qu'avant l'arrivée du "saint patron du Vatican", venu pour "tout réformer et faire un peu le ménage" et "très critique envers le système financier", il régnait derrière les hauts murs du Vatican "l'opacité la plus totale".

Cette anlyse très sommaire, mais emblématique de ce qu'on peut lire dans les grands médias, s'insère dans un plan désormais bien rôdé, visant à faire passer le Pape actuel pour le chevalier blanc, seul contre l'appareil de l'Eglise "réactionnaire et sclérosé". Une image en noir et blanc qui a déjà servi en octobre dernier, et servira encore pour le prochain Synode sur la famille.

Ici, Ettore Gotti Tedeschi, qui s'exprime régulièrement sur la Bussola, fait justice de cette manipulation médiatique, rappelant entre autre à quel point la transparence aujourd'hui si vantée comme nouveauté absolue, avait en réalité été voulue par Benoît XVI.
Il y a une certaine amertume dans les propos de l'ex-directeur de l'IOR mis à pied de façon infâmante sans qu'il lui ait été permis de se justifier (et alors qu'il a été blanchi de toute accusation par la justice italienne, cf. benoit-et-moi.fr/2014-II-1/actualites/la-damnatio-vaticane-de-gotti-tedeschi) - et très probablement même quelques messages codés " à bon entendeur".
Il répond ici à une longue interview que le cardinal Kasper a accordée à la Repubblica, publiée ce dimanche (dont j'ai trouvé le texte sur Il Sismografo).
Et, non sans humour, il le met face à ses propres contradictions.

Pour bien comprendre ce que dit le banquier, à propos du volet financier de la crise de la Curie sous Benoît XVI, et de sa volonté de transperence, on pourra relire:

¤ Ce dossier de mai 2012, en pleins "vatileaks": L'ARGENT, LE NERF DE LA GUERRE (benoit-et-moi.fr/2012_2(II))
¤ Et un article très complet de Sandro Magister en juin 2012. Sous le titre AU GOUVERNAIL DE LA BARQUE DE PIERRE, DANS LA TEMPÊTE (chiesa.espresso.repubblica.it), il commençait par ces mots:
Certains vont reprocher à Benoît XVI d'être faible dans le commandement. Mais ce n'est pas vrai. Tous les grands conflits de ce pontificat ont leur origine dans des décisions de gouvernement qu'il a prises. Des décisions fortes et à contre-courant. Les dessous de l'éviction d'Ettore Gotti Tedeschi de l'IOR.

Transparence: la pratique ne doit pas guider la doctrine

10 mars 2015
www.lanuovabq.it
Le 8 Mars, sur le quotidien La Repubblica, le cardinal Walter Kasper a donné une longue interview sur la transparence des finances. Et surtout les finances du Vatican, d'après le titre significatif (entre guillemets) «Assez de scandales, à présent l'Église n'a plus peur de la transparence».
Voici la réponse d'Ettore Gotti Tedeschi, ancien président de l'IOR.

Ettore Gotti Tedeschi
-----
Comme le titre est entre guillemets «Assez de scandales, à présent l'Église n'a plus peur de la transparence», je suppose que c'est une expression de SER (ndt: Son Eminence Révérendissime) le cardinal Kasper.

Permettez-moi seulement de souligner que l'expression «... n'a plus peur ...» n'est toutefois pas correcte.
Je tiens à témoigner que Benoît XVI n'a jamais eu peur de la transparence, au contraire, en me donnant personnellement des instructions sur quoi faire (en Septembre 2010), il a été très clair: «Nous devons être exemplaires».
Le cardinal Kasper poursuit ensuite, dans l'interview, se référant toujours à la transparence: «non seulement c'est important, mais c'est une étape décisive parce que sinon on n'est pas crédible».
C'est exact.
L'Eglise et le Pape, en tant qu'autorité morale, n'enseignent pas comment vaincre la pauvreté, mais comment gagner la vie éternelle, expliquant ce qui est bien ou mal au monde entier, même aux non-catholiques. Mais pour être écouté et avoir de la crédibilité, il faut vivre ce qu'on enseigne. En matière financière, le comportement à vivre de manière exemplaire est justement la transparence. Il ne suffit pas de la déclarer, il faut la témoigner.

J'ai également trouvé extraordinairement louable la considération de SER selon laquelle la transparence «est un élément-clé si on veut vivre dans ce monde et nulle part ailleurs ...».
C'est exact.
Cette réflexion a été écrite par moi dans de nombreux documents adressés aux Supérieurs. Mais il était difficile, pour des raisons, disons, «culturelles», d'aider beaucoup à reconnaître la nécessité de renoncer à une autonomie de souveraineté et à partager des informations avec «milieux» considérés comme hostiles à l'Eglise et même «persécuteurs» de l'Eglise.
Je voudrais faire sourire le cardinal Kasper en rappelant une petite histoire, que j'ai souvent utilisé dans ma période vaticane, pour tenter d'expliquer l'expression utilisée de «persécution». Je racontai:
Si une voiture portant la plaque d'immatriculation SCV (donc immatriculé au Vatican), sur le territoire italien, brûle un feu rouge et est arrêtée par un agent de police qui verbalise le conducteur, cette action doit-elle être considérée comme une persécution envers le Vatican? Evidemment non, passer au feu rouge exprime seulement le mépris ou le manque de connaissance du code de la route italien et expose au danger les véhicules qui traversent le carrefour (au vert) venant à gauche et à droite, mais aussi le conducteur et les passagers de la voiture immatriculée au Vatican.

Comme il serait opportun de réfléchir sur cette petite histoire et sa réalité dans le domaine de la transparence financière! C'est en effet depuis l'attaque terroriste des tours jumelles le 11 Septembre 2001 que des nouvelles règles, plus restrictives, sur le blanchiment (pour combattre le terrorisme), ont été partagées et progressivement adoptées par les pays qui partagent les valeurs de liberté, donc la transparence.
Ainsi, les banques centrales ont formulé des procédures appropriées et les ont imposées aux systèmes bancaires dopérant dans ces pays.
Déjà en 2008, il était évident que les soi-disant «paradis fiscaux» allaient s'éteindre, «de gré ou de force».
Mais Benoît XVI voulait que le Saint-Siège soit exemplaire, un exemple même pour les autres pays. C'est pourquoi il demanda une loi exemplaire, des procédures d'application exemplaires, un système de contrôle (interne au Saint-Siège) tout aussi exemplaire. Et cela fut effectivement réalisé et autorisé par le pape avec le motu proprio du 31-12-2010.

«Pour juger, il faut connaître» affirme en outre le cardinal Kasper. Comment ne pas partager, et souffrir encore aujourd'hui que ce ne soit pas arrivé? Les personnes et les événements ont été l'objet de sentences et de jugement, sans connaître tous les faits, sans vouloir chercher la vérité et la justice.
Mais SER le cardinal Kasper démontre au contraire qu'il connaît bien, et avec compétence, certains faits très importants, quand il dit «Cela fait dix, vingt ans, que les banques poussent vers plus de transparence». Absolument vrai. Mais SER croit-elle que cette «poussée» a été acceptée? Même quand de nombreuses banques ont fermé les comptes de l'Institut du Saint Siège, elles ont été accusées de «défaillance», et ceux qui au contraire ont soutenu la légitimité de cette «poussée», ont été considérés comme des ennemi.

Il est également vrai que la transparence des finances du Vatican est importante pour agir en faveur des pauvres. C'est pourquoi je suis sûr que François est et sera toujours plus sensible à la volonté de la réaliser de manière «exemplaire».

Toutefois, je voudrais faire un dernier commentaire pour exprimer ma gratitude au cardinal Kasper avec un "warning" (avertissement) affectueux, mais approprié, d'analogie théologico-financière.
Le cardinal Kasper, se référant aux sujets abordés dans le Synode sur la famille, a toujours fait la distinction entre «doctrine» (contraignante) et «pratique» (modifiable).
Dans le domaine de la transparence financière, se référant aux questions évoquées ci-dessus, la même distinction ressemblerait à ceci: «La transparence et ses principes sont contraignants et on n'y touche pas». Mais, pour éviter tout risque d'analogie avec la doctrine/pratique (comme sur les thèmes prévus dans le Synode sur la famille), il serait bon de préciser qu'en matière de transparence financière, son application (sa pratique), c'est-à-dire les lois, les procédures, le contrôle, ne doivent pas être susceptibles d'être adaptable aux époques et aux cultures.
J'avoue ne pas considèrer qu'on puisse séparer avec succès la doctrine de la pratique, ni en théologie, ni en matière de transparence financière (je dis cela par expérience, parce que si le comportement des créatures n'est pas orienté par des valeurs et des idées, c'est le comportement qui finira par guider les idées et les valeurs. Autrement dit la pratique modifiable risque d'influencer la doctrine immuable).
Le risque est pour l'exemplarité souhaitée et la crédibilité en résultant du Pape et de l'Eglise. À laquelle je tiens beaucoup.

  benoit-et-moi.fr, tous droits réservés