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FFI: un témoignage de l'intérieur

Un texte magnifique et bouleversant d’Alessandro Gnocchi, daté du 8 août 2013. A lire, tout simplement. Traduction de Anna (24/4/2014)


Image ci-contre: les fondateurs de Franciscains de l'Immaculée, Le Père Stefano Maria Pio Manelli (à gauche) et le Père Gabriele M. Pellettieri, cofondateur (cuoreimmacolato.com)

FRANCISCAINS DE L'IMMACULÉE: MOI AUSSI JE LES CONNAIS

Alessandro Gnocchi
9 août 2013

www.corrispondenzaromana.it
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Il faut avouer que parfois, même les articles de Massimo Introvigne sont utiles. Ce témoignage sur les Franciscains de l'Immaculée, pour ce qu'il vaut, n'aurait jamais été écrit sans l'invitation implicite contenue dans une des encycliques que l'avocat sociologue publie presque quotidiennement sur la "Nuova Bussola". Il y a quelques jours, lors de la mise sous tutelle par un commissaire de l'institut fondé par le père Stefano Manelli, Introvigne a laissé échapper l'insinuation maladroite que lui seul connaîtrait les vraies causes de ce qui s'est produit, ainsi que quelque autre initié aux cartes secrètes. (www.lanuovabq.it).
Tous les autres commentateurs de cette affaire, ou presque tous, auraient écrit sans réfléchir, sans savoir de quoi ils parlaient, sans être des "éclairés" comme lui.
"Je connais aussi leurs problèmes" a-t-il écrit, les amadouant, comme il se doit, avant de les poignarder, "je ne crois pas que l'on puisse dire la même chose de tous ceux qui ont commenté cette dernière affaire".
Afin de corroborer tout ce zèle pour la vérité et l'exactitude de l'information, et donner un coup de main afin de recadrer tous ces messieurs qui osent écrire sans réfléchir et sans savoir ce qu'Introvigne sait, je voudrais donner un témoignage et raconter quelque chose sur ces frères et donc aussi sur les sœurs qui font partie de la famille.

Rien de retentissant. Il ne s'agit que de simples faits à qui on ne peut toutefois opposer que d'autres faits, et non pas un sibyllin "laissez-moi parler, moi qui connaîtles cartes secrètes". J'écris pour une fois à la première personne, sans l'aide de Mario Palmaro qui, comme on dit aujourd'hui, nous lit en copie, car les témoignages doivent être rendus et verbalisés (formulés) individuellement 'ndt: c'était avant la mort prématurée de Mario Palmaro).

Ce court récit commence dans un passé très récent.
Dimanche 4 août ma fille, qui a 18 ans et s'appelle Chiara, est revenue après un mois passé au Nigéria comme missionnaire auprès de sœurs franciscaines de l'Immaculée.

La mission nigériane, comme le savent tous ceux qui parlent de cet institut et comme Introvigne le sait sans doute, vit au risque du martyre quotidien. La-bas, il y a des fils et des filles du Père Manelli qui risquent chaque jour leur vie au nom de Jésus Christ, et justement à cause de cela, il s'y épanouit une des entreprises spirituelles les plus florissantes de l'institut: quarante aspirants hommes et trente aspirantes femmes dans un Pays à majorité musulmane, où les sectes protestantes mettent tout en œuvre pour détruire ce que les catholiques construisent, où les églises les plus incroyables sévissent, où les païens qui pratiquent leurs sacrifices humains abandonnent les restes de leurs victimes dans les rues, pas loin des couvents, en l'honneur de leurs démons, où dans les jours de leurs rites cannibales les femmes ne peuvent pas sortir de chez elles sous peine de mort. Le monde d' "Apocalypto" (ndt : le magnifique film de Mel Gison) d'avant l'arrivée des Espagnols.

Les sœurs ne peuvent jamais sortir seules et elles risquent parfois la vie juste pour se montrer. Et pourtant, comme les frères, elles continuent de porter le Christ là où il n’est pas et à celui qui ne le connaît pas. Avec les frères, elles procurent des baptêmes, l'administration des sacrements, la célébration de Messes, elles arrachent littéralement les âmes et les corps aux démons. Après chaque conversion elles reviennent quotidiennement chez les nouveaux chrétiens afin que leur foi se s'engourdisse pas et qu'ils ne retombent pas en proie aux fausses religions et donc dans le désespoir.
À peine descendue de l'avion, dès sa première heure de mission, Chiara a été conduite à la léproserie pour prier le Rosaire à genoux devant le lit d'une malade mourante, car les âmes doivent être gardées jusqu'au bout et il ne suffit pas de remplir l'estomac.

La prière a été le fil d'or qui a marqué le chemin de ma fille pendant tout ce mois: celui même qui marque depuis des années la vie de la mission, étant celui qui marque la vie des sœurs et des frères franciscains de l'Immaculée. Ce n'est qu'après que vient l'assistance matérielle, là, dans le monde d' "Apocalypto", dans lequel, en dépit de tout, les frères et sœurs vêtus de bleu clair sont autant de notes de joie. "La nuit, m'a dit Chiara, j'avais envie de pleurer à cause de ce que je voyais pendant le jour. J'avais vu l'enfer alors que je me sentais au paradis. Ce n'est pas la pauvreté qui fait pleurer, mais le désespoir d'un monde sans le Christ. Le jour j'entendais les voix des muezzin, la nuit les tam tam des rites païens, j'ai pu voir que le démon existe pour de vrai, et que la vraie religion est une seule et qu'elle est la nôtre. Le bouclier le plus puissant contre la présence du démon était le chant grégorien des frères et des sœurs, le Rosaire récité constamment, les veillées et les Messes célébrées comme le Seigneur les aime."

"Chiara, si nous voulons que notre mission fleurisse toujours plus", a dit une sœur à ma fille peu avant son départ, "il faut qu'une parmi nous meure et offre sa vie car il n'y a rien de plus fécond que le sang offert pour Jésus. Les frères sont déjà morts, maintenant c'est à notre tour". Ce ne sont que de pauvres, petits fruits perdus dans l'Afrique profonde qui montrent de quelle nature sont les racines de l'arbre planté par le père Manelli en 1970 dans le solide terrain de la foi catholique.

L'empreinte de ces sœurs et frères qui acceptent le martyre pour que la vie fleurisse, c'est la sienne. Depuis des années, cet homme vit dans la souffrance comme son père spirituel le Saint (Padre) Pio da Pietrelcina. Il y a quelque temps, lorsque les médecins ne savaient pas quoi faire pour le guérir du mal qui le tourmentait, un prêtre qui le connaît bien m'a dit: "Les docteurs sont en train de tout essayer, mais ils n'y parviennent pas parce que ils ne peuvent pas comprendre que cet homme offre ses propres souffrances pour le bien de l'Église. Il a choisi de porter sur son corps les plaies du Corps Mystique". Il ne sert à rien de trop théologiser. Il suffit de rester cinq minutes avec le père Stefano pour comprendre combien la souffrance lui est intime, combien il la désire tout en la craignant, et combien il en offre les bénéfices et les bénédictions qui en découlent.

Il y a deux ans je l'ai rencontré au sanctuaire du Zuccarello de Nembro, près de Bergame, pour la messe en suffrage de sa mère. Il était assis dans la sacristie, plié sur sa chaise, et avait de la peine juste à écouter celui qui le saluait. "Comment allez-vous père Stefano?" Il a levé les bras autant qu'il le pouvait et a murmuré: "On est comme ça, sur la croix". Avec Mario Parmaro je venais d'écrire un livre sur le padre Pio, mais ce n'est qu'en face de ce fils spirituel à lui que j'ai finalement senti un brin de la véritable compassion pour la souffrance que j'avais si indignement décrit avec les mots.

Je l'ai revu il y a trois mois, peu avant que la bombe de la mise sous tutelle n'éclate. Il était inquiet, mais plus pour la situation de l'Église que pour celle de sa fondation. "Désormais, seul le Cœur Immaculé de Marie peut nous sauver. Nous sommes dans le temps des "quatre T": toutes ténèbres (tutte tenebre)". "Que pouvons-nous faire, père?" "Nous devons nous préparer, prier et continuer la bataille. Et puis", a-t-il ajouté avec son sourire mi-vieux et mi-enfant "il y a les quatre T de la lumière: tous Franciscain de l'Immaculée (tutti Francescani dell'Immacolata)".

Nous étions à Sassoferrato, au séminaire de l'ordre. Un édifice énorme, vidé des vocations par les frères mineurs conventuels et rempli par les franciscains de l'Immaculée. Un édifice dans lequel ces frères, qui saluent chacun avec ce magnifique "Ave Maria", vivent côte à côte avec dame pauvreté. Dans leurs maisons, c'est la pauvreté véritable, non pas celle exhibée aux photographes ni celle prêchée aux autres. Elle est pratiquée en propre, et on la respire, littéralement, dès qu'on passe la porte de n'importe lequel de leurs couvents. Non pas dans les églises, car là tout doit être le plus magnifique possible pour le Seigneur, comme le voulait le Père François. Dans leurs maisons ne peut habiter que celui qui décide et accepte d'être vraiment pauvre.

La renonciation à tout, mais vraiment tout ce que le monde peut offrir d'à peine confortable, vous prend à la gorge: il vous étouffe ou bien il vous sanctifie. "Si j'avais voulu me soigner les ongles et avoir l'eau chaude tous les jours" a expliqué une sœur de 22 ans à ma femme "je serais restée chez moi". Ma fille Chiara, dans un mois de mission ne s'est jamais regardée dans la glace, elle en avait une toute petite juste pour vérifier de ne pas avoir attrapé les poux. La seule glace consentie aux sœurs franciscaines est l'image de la Sainte Vierge. Celui qui recherche l'oléographie et le pittoresque et pense aux couvents du tourisme spirituel qui sont à la mode aujourd'hui, qu'il évite soigneusement les maisons et les couvents de l'Immaculée. Il prendrait pour de l'incurie et de l'abandon la sainte indifférence que ces frères et sœurs éprouvent pour les choses du monde.

On ne comprendrait pas pourquoi des hommes et des femmes du 21ème siècle peuvent vivre dans une condition que tout chrétien respectable nommerait misère. Car c'est bien la marque des endroits dans lesquels les franciscains de l'Immaculée vivent, prient et se sanctifient. Après avoir vu la lumière qui brille dans les yeux d'un de ces frères ou sœurs, regardez leurs pieds et remarquez leur état. Si les yeux sont de ceux qui voient le Paradis, les pieds sont de ceux qui vivent plantés dans la misère du monde et l'embrassent. C'est ce qui m'est arrivé il y a quelque temps avec le père Apollonio, le bras droit du père Stefano. Après une heure passée à nous promener sur l'asphalte discutant des choses les plus élevées, le regard m'est tombé sur les ongles de ses pieds, pleines d'hématomes provoqués par le gel pâti pendant l'hiver. J'ai alors regardé mes chaussures, et j'en ai eu de la honte. Mais j'ai surtout eu de la peine pour mon regard, qui n'a certainement pas la joie de celui du père Alessandro.

Ce ne sont que des petits faits, des choses de rien, qui disent toutefois, à celui qui a bon œil et des yeux bons, bien plus que tant de travaux de sociologie. Et aussi plus que tant de visites apostoliques menées par courrier électronique, envoyant des questionnaires à remplir et les recevant en retour, tout en restant dans son propre bureau au lieu d'aller sur place et en personne. Si le visiteur qui a donné le feu vert au "commissariamento", comme l'indique le nom de son office, s'il avait visité les maisons des franciscains au lieu de se fier aux formidables merveilles informatiques, il se serait peut-être rendu compte que la rancœur de certains frères ne résiste pas à l'amour filial qui entoure la figure du père Stefano. "Tiens, tu finis le café " a dit le père au jeune frère qui lui avait apporté quelque chose à boire, lorsque je l'ai rencontré il y a deux mois. Et, tout comme le faisait mon père avec moi quand j'étais enfant, et comme je le faisais avec mes enfants quand ils étaient petits et comme j'aimerais le faire maintenant que la plus petite va en mission au Nigéria, il lui a passé la tasse de café de laquelle il venait lui-même de boire.

Que dire d'autre? Que finalement, ce jour-là, le père Stefano s'est levé et est parti vers sa cellule, tenant tous les livres que je lui avais apportés en cadeau. Je ne l'avais jamais vu aussi grand, aussi imposant. Il savait peut-être déjà que le moment de l'épreuve allait venir.

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