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Pourquoi je reste dans l'Eglise

Hans Küng expose les raisons pour lesquelles on doit rester à l'intérieur de l'Eglise, même en cas de désaccords avec "l'institution", dans son livre "Etre chrétien", paru en 1974. Transcription de Monique

>>> Ci-contre: Hans Küng, Etre chrétien, ed. du Seuil. Première édition à Munich en 1974 sous le titre "Christsein"

Monique a déjà eu l'occasion de parler de ce pavé (ici: benoit-et-moi.fr/2013-III/..les-idees-de-hans-kueng-inspirent-elles-françois) que le cardinal Ratzinger avait étrillé sans ménagement dans un article publié dans la revue Communio, intitulé, non sans humour... "Le Christianisme sans peine" (ici: benoit-et-moi.fr/2013-II/..correction-fraternelle).

Dans ce qui suit, il semble répondre à une question que je posais hier (ou plutôt une affirmation que j'énonçais): cf. Arrêtez de parler de Schisme!
Je ne retire rien de ce que j'ai écrit, même après l'avoir lu ce passage du livre (pages 608 à 610) où il se donne évidemment le beau rôle, ou plus précisément, comme le dit Monique :

le rôle flatteur de celui qui peut faire progresser l'Eglise, de celui qui voit toutes les failles et peut la sortir de sa sclérose. Les "progressistes" se croient tous indispensables. C'est pourquoi ils restent dans l'Eglise... tout en affadissant la foi de leurs frères et en dégoûtant le public d'y entrer.

Pourquoi rester?

[...]
On peut citer les préoccupations qui représentent, aujourd'hui du moins, pour nombre de chrétiens, une raison suffisante de rester dans l'Eglise et pour nombre de ministres une raison suffisante de rester au service de l'Eglise.

- Ces hommes souhaitent lutter contre une tradition ecclésiale sclérosée qui rend l'existence chrétienne difficile, voire impossible. Mais ils ne souhaitent pas renoncer à vivre de la grande tradition chrétienne deux fois millénaire qui est la tradition de l'Eglise.

- Ces hommes désirent soumettre à la critique les institutions et structures de l'Eglise chaque fois que le bonheur des personnes leur est sacrifié. Mais ils ne désirent pas renoncer à cette partie indispensable des institutions et des structures, sans laquelle aucune communauté de foi ne peut vivre à la longue, sans laquelle trop de personnes se trouveraient affrontées sans recours à leurs problèmes les plus personnels.

- Ces hommes entendent s'opposer aux prétentions des autorités ecclésiastiques, dans la mesure où elles dirigent l'Eglise non d'après l'Evangile, mais d'après leurs propres conceptions. Mais ils n'entendent pas renoncer à l'autorité morale que l'Eglise peut exercer dans la société toutes les fois qu'elle agit réellement en tant qu'Eglise de Jésus-Christ.

Pourquoi donc rester?

Parce que, dans cette communauté de foi, il est malgré tout possible de souscrire, de manière à la fois critique et solidaire, à une histoire prodigieuse que l'on partage avec beaucoup d'autres.
Parce que, membre de cette communauté de foi, on est soi-même l'Eglise; parce que l'Eglise ne devrait pas être confondue avec l'appareil et ses administrateurs, et qu'on ne devrait pas abandonner à ceux-ci la formation de la communauté.
Parce que, en dépit de graves objections, on a trouvé dans cette communauté une patrie spirituelle qui offre une réponse aux grandes questions de l'origine et de la fin, de la raison d'être et de la finalité de l'homme et du monde, et qu'on n'entend pas plus lui tourner le dos qu'à la démocratie politique qui, dans son domaine, n'est pas moins trahie et défigurée que l'Eglise.

Bien entendu, il y a l'autre possibilité.
Ce ne sont pas toujours les mauvais chrétiens qui l'ont suivie.
On peut rompre avec l'Eglise à cause de ses reniements, au nom de valeurs supérieures, peut-être au nom d'une existence chrétienne authentique.[...] Tout chrétien engagé et informé pourrait assurément énumérer mille motifs en faveur de l'exode. Et pourtant, le sauve-qui-peut, considéré par certains comme un acte de sincérité, de courage, de protestation ou simplement comme un acte inéluctable dicté par la lassitude n'est-il pas, tout compte fait, un acte de découragement, une défaillance, une capitulation? [...] On s'est trop engagé soi-même en faveur du changement et du renouveau pour avoir jamais le droit de décevoir ceux qui se sont engagés en même temps que soi. On ne donnera pas cette satisfaction aux adversaires du renouveau, on ne causera pas cette peine à ses amis. On ne renoncera pas à l'efficience AU SEIN de l'Eglise.

Les autres solutions - une autre Eglise, aucune Eglise - ne sont pas convaincantes.
Les ruptures mènent à l'isolement de l'individu ou au contraire à une nouvelle institutionnalisation. [...] N'est-il pas plus exigeant et, en dépit de toutes les difficultés, plus exaltant et plus fructueux tout compte fait, de mener le combat pour un "christianisme à visage humain" au SEIN MÊME de cette Eglise humaine, concrète, où l'on sait du moins à qui l'on a affaire? N'y a-t-il pas dans ce choix une incitation constamment renouvelée à une attitude responsable, à la solidarité critique, à une persévérance tenace, à la liberté vécue, à la résistance dans la loyauté?
Aujourd'hui, alors que l'autorité, l'unité et la crédibilité de l'Eglise sont gravement ébranlées du fait des déficiences flagrantes de ses dirigeants, alors que l'Eglise apparaît de plus en plus faible, perdue, inquiète, on est plus enclin qu'aux périodes de triomphe à se reconnaître dans ce propos: «Nous aimons l'Eglise, telle qu'elle est et quelle qu'elle puisse être». Non comme une «mère», mais comme la famille des croyants. [...]
On doit et on peut rester dans l'Eglise parce que la cause de Jésus-Christ est convaincante et parce que, en dépit de toutes ses carences et au sein même de ses déficiences, la communauté ecclésiale est restée et doit rester au service de la cause de Jésus-Christ.

Encore une question: Küng écrirait-il la même chose aujourd'hui, sous le Pontificat de François?

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