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Une lettre du cardinal Ratzinger sur la liturgie

En 1999, le cardinal Joseph Ratzinger répondait à une lettre d'un religieux clarétin, le Père Matias Augé au sujet de la liturgie. Commentaire d’un prêtre espagnol traditionaliste, traduit par Carlota.

On trouvera ici (benoit-et-moi.fr/2010-III) ma traduction de l'échange, et des précisions sur ses circonstances. La version originale se trouve sur le blog du Père Augé: liturgia-opus-trinitatis.over-blog.it.

A noter que c'est Andrea Tornielli ancienne version qui en octobre 2010 avait attiré mon attention sur cette correspondance dans un article intitulé « J. Ratzinger et la créativité sauvage », aujourd'hui indisponible, où il écrivait, entre autre (benoit-et-moi.fr/2010-III):

Il y a quelques jours a été publiée la correspondance entre le cardinal Joseph Ratzinger et le père Matias Augé CMF, qui eut lieu entre Novembre 1998 et Février 1999. Le religieux, professeur de liturgie à l'Institut Pontifical Liturgique Saint- Anselme, avait présenté quelques objections à une conférence tenue par le futur Benoît XVI. Sur le blog du père Augé, on trouve le texte intégral des deux lettres. Dans la réponse de Ratzinger, ce qui apparaît comme une "menace" pour l'unité du rite romain n'est pas "l'indult" (aujourd'hui on dirait le motu proprio qui a libéralisé l'usage de l'ancien missel), mais la "créativité sauvage". Mais j'ai aussi été frappé par l'invitation faite aux traditionalistes de s'ouvrir au Concile, dans un esprit de réconciliation, et l'espoir de Ratzinger, aujourd'hui Benoît XVI, de surmonter la fracture entre les deux missels.

La lettre du cardinal Ratzinger a fait récemment l'objet d'un intéressant commentaire d'un prêtre traditionaliste espagnol, Juan Manuel Rodríguez de la Rosa, sur le portail hispanique www.adelantelafe.com.
Traduction et précisions de Carlota.

L’auteur, Juan Manuel Rodríguez de la Rosa, est un prêtre espagnol né en Catalogne (Gérone) en 1956. Il a été ordonné en 2007 dans la cathédrale de Getafe (Siège d’un diocèse créé en 1991 et l’un des trois diocèses de l’archidiocèse de Madrid correspondant géographiquement à Communauté Autonome de Madrid). Il a en particulier réalisé de beaux documentaires (DVD) sur la symbolique de la messe traditionnelle (« Mysterium Fidei ») et sur l’intérêt du port de la soutane (« Viva la sotana »), notamment en matière d’évangélisation (et ré-évangélisation !).

(Carlota)

Une intéressante lettre inédite du cardinal Ratzinger.

La lettre, que celui qui était alors le Cardinal Ratzinger a écrite comme réponse à une lettre correspondante du liturgiste espagnol Matías Augé, CMF (1), est très intéressante. L’origine de l’échange était une conférence que le Cardinal avait prononcée à l’occasion du 10ème anniversaire du Motu Propio «Ecclesia Dei».

La lettre est datée du 18 février 1999, elle permet de très bien comprendre la préoccupation du Pape émérite, pendant son pontificat, en ce qui concerne la dignité de la liturgie. Nous nous rappelons tous son exemple dans le soin et la minutie des célébrations liturgiques.

Dans la lettre il rappelle au liturgiste espagnol que «jamais [l’Église] n’a aboli dans son histoire, avec un mandat juridique, une liturgie orthodoxe». C’est-à-dire que la Messe traditionnelle est pleinement en vigueur, comme cela a été maintenu dans le Motu Propio «Summorum Pontificum».

Le dernier paragraphe de la lettre est particulièrement intéressant :

Je ne voudrais pas entrer dans tous les détails de votre lettre, bien qu’il ne serait pas difficile de répondre aux différentes critiques de mes arguments (2).
Cependant, je considère très important ce qui concerne l’unité du Rite Romain.
Cette unité n’est pas menacée aujourd’hui par les petites communautés qui font usage de l’indult (ndt terme du droit canon pour dérogation, du verbe latin indulgere, être indulgent) et sont fréquemment traités comme des lépreux, comme des personnes qui font quelque chose d’irrévérencieux, voire plus encore, d’immoral ; non, si l’unité du Rite Romain est menacée c’est pas la créativité liturgique sauvage, fréquemment encouragée par des liturgistes (par exemple, en Allemagne, on fait la publicité du projet « Missel 2000 », en disant que le Missel de Paul VI serait déjà dépassé).
Je répète ce que j’ai dit lors de mon interversion: que la différence entre le Missel de 1962 et la messe fidèlement célébrée selon le Missel de Paul VI est beaucoup plus petite que la différence entre les différentes applications dénommées «créatives » du Missel de Paul VI.
Dans cette situation, la présence du Missel précédent peut se transformer en un rempart contre les altérations liturgiques lamentablement fréquentes, et être de cette façon un soutien à la réforme authentique.
S’opposer à l’usage de l’Indult de 1984 (1988) au nom de l’unité du Rite Romain est, selon mon expérience une attitude très éloignée de la réalité.
Par ailleurs, je regrette quelque peu que vous n’ayez pas perçu, lors de mon intervention, l’invitation adressé aux « traditionalistes » à s’ouvrir au Concile, à venir à la rencontre de la réconciliation, dans l’espoir de surmonter, avec le temps, la brèche entre les deux Missels.

Non, ce n’est pas la Messe traditionnelle qui est un danger pour l’unité du Rite Romain, et en cela, le Pape émérite est resté constant, dans son Motu Proprio « Summorum Pontificum » en statuant que le Rite Romain s’exprime sous deux Formes, l’ordinaire et l’extraordinaire. Le véritable danger pour l’unité du Rite Romain c’est la liturgie « créative ». Toutes ces Messes qui ont des qualificatifs curieux qui s’identifient à un lieu, ou à une coutume, ou à des gens déterminées, d’où sortent-elles ?

Si le cardinal Ratzinger a dit que la différence entre la Messe traditionnelle (Messe de 1962) et la Messe nouvelle fidèlement célébrée (Paul VI) est beaucoup plus petite que celle qui existe entre les différentes messes « créatives », alors qu’en est-il de la Messe « flamenca » (ndt messe gitane) ou de la Messe « castellano-manchega » (ndt de cette province du sud de la Castille si cher, notamment, à don Quichotte) ? Ces messes sont fidèlement célébrées selon le Missel du bienheureux Paul VI, - et dans ce cas, elles auraient peu de différences avec la Messe traditionnelle. Y a-t-il une différence entre ce que l’on appelle la Messe « flamenca » et la Messe traditionnelle ?

Comment savoir ce qu’est une Messe nouvelle fidèlement célébrée et une Messe « créative » ? Comment les distinguer ? Et le plus important, où regarder pour en recevoir l’enseignement ?

Une curiosité, ami lecteur. Quand il [cardinal Ratzinger] parle de la Messe traditionnelle, il ne dit pas « fidèlement célébrée », il le donne pour acquis. (3).

Père Juan Manuel Rodríguez de la Rosa.

NDT

(1) Le Père Matías Augé Benet est un prêtre espagnol, né en 1936, en Catalogne mais qui vit depuis de très longues années à Rome. Il est mentionné comme cmf pour « Cordis Mariae Filius », fils du cœur de Marie, car il appartient à la congrégation des « Fils du Cœur Immaculé de Marie » ou Missionnaires clarétains, une congrégation fondée en Espagne et plus précisément à Vic en Catalogne (province de Barcelone) en 1849 par Antoine-Marie Claret (1807-1870), pour l'évangélisation universelle

(2) Sur le site catalan des religions, subventionné notamment par des fonds publics de la Généralité, et à prendre avec les habituelles précautions d’usage, je lis un article de 2013 où le P. Augé est présenté comme un consultant auprès de la Congrégation pour le Culte divin, et où il déclare : « Revenir à la liturgie antérieure a provoqué des réactions extrémistes ».
Il dit aussi : avoir demandé au nouveau Pape (donc François) une remise en question de la libéralisation du missel préconciliaire (donc missel 1962) ; avoir un grand respect pour Joseph Ratzinger avec qui il a parlé de nombreuses fois sur ces sujets, mais il croit que récupérer la liturgie antérieure au Concile Vatican II a été une erreur : « cela suppose à la longue le danger de créer deux églises ». […] Les traditionnalistes « en ont fait une bannière », « ils disent que la nouvelle liturgie n’a pas de substance » et «on l’utilise contre Vatican II ». […]

(3) On peut aussi ajouter a contrario de la théorie du P. Augé, que depuis les années 1960, bien des changements ont eu lieu dans le monde. Même en Europe et dans des pays qui avaient peu de diversités linguistiques, le nomadisme professionnel (et avec lui des fidèles n’ayant pas comme langue maternelle la langue majoritaire du pays) s’est considérablement accru entraînant la présence de fidèles aux multiples origines dans les diocèses. Et que dire de l’Afrique où l’abandon du latin, a créé des séparations entre les communautés catholiques relativement récentes de fidèles unis à l’époque de la présence européenne, qui se sont ensuite séparés en fonction de leurs origines et de leurs langues différentes même au sein d’un même pays et d’une même région, bien avant le motu proprio Ecclesia Dei de 1988 ! Il est toujours très curieux de voir comment certains renversent la réalité des choses à leur profit en attribuant leur faute à leurs adversaires…et en voulant administrer des remèdes qui accentuent encore plus les maux. Dans ce domaine comme dans d’autres, nihil novum sub sole.

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