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Fête de l'Ascension

L'homélie de Benoît XVI au Mont Cassin, le 24 mai 2009 (14/5/2015)

Ce jour-là, le Saint-Père se rendait en un endroit qui lui était particulèrement cher: au Mont-Cassin (cf. benoit-et-moi.fr/2009-II), sur les lieux où saint Benoît fonda une abbaye, et édicta la règle bénédictine - et qui furent aussi le théâtre de bombardements et de combats meurtriers durant la Seconde guerre mondiale. Cinq cimetières militaires - allemand, français, italien, un du Commonwealth et un polonais - s'élèvent dans le secteur, et c'est ce dernier que le Pape avait visité au terme d'une journée intense passée à Cassino, y récitant une prière qu'il avait composée; cf. benoit-et-moi.fr/2009-II.

Arrivé presque au terme de ma visite d'aujourd'hui, il m'est particulièrement agréable de m'arrêter en ce lieu sacré, dans cette Abbaye, quatre fois détruite et reconstruite, la dernière fois après les bombardements de la seconde guerre mondiale il y a 65 ans. « Succisa virescit » : ces mots écrits sur ses nouvelles armoiries en indiquent bien l'histoire. Monte Cassino, chêne séculaire planté par Saint Benoît, a été « élagué» par la violence de la guerre, mais elle est renée plus vigoureuse.
Plus d'une fois, j'ai eu moi-même l'occasion de jouir de l'hospitalité des moines, et dans cette Abbaye j'ai passé des instants inoubliables de calme et de prière.

(Homélie, lors des vêpres, à l'Abbaye de Monte Cassino, dimanche 24 mai, ma traduction)

Le matin, lors de la messe à Cassino, il avait prononcé une homélie qui m'avait frappée par la façon dont le théologien et le Pasteur étaient en lui intimement associés: après une première partie, où le théologien commentait et expliquait avec un grand souci pédagogique les "images" et les mots du chapitre 1 du livre des Actes des Apôtres relatant l'Ascension de Jésus, le Pasteur prenait le relais, ancrant fortement l'Ecriture Sainte dans le contexte particulier de cette terre doublement chargée d'histoire, et faisant allusion aux blesssures bien actuelles du chômage, et des attaques contre la famille. Concluant, comme le voulait l'endroit, par une allusion au « quaerere Deum » propre à la spiritualité bénédictine, où l'on trouve un écho du discours prononcé à Paris, aux Bernardins, huit mois plus tôt.

Ma traduction d'alors:

Chers frères et soeurs !

« Vous recevrez la force de l'Esprit Saint qui descendra sur vous, et vous me serez témoins à Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie et jusqu'aux frontières de la terre » (Act 1, 8).
Avec ces mots, Jésus prend congé des Apôtres, comme nous l'avons écouté dans la première Lecture. Tout de suite après l'auteur du texte sacré ajoute que « pendant qu'ils le regardaient, il fut élevé en haut et un nuage vint le soustraire à leurs yeux » (Act 1, 9).
C'est le mystère de l'Ascension, que nous célébrons solennellement aujourd'hui.
Mais que veulent nous communiquer la Bible et la liturgie en nous disant que Jésus « fut élevé en haut » ? On comprend le sens de cette expression, non pas à partir d'un unique texte, ni même d'un unique livre du Nouveau Testament, mais dans l'écoute attentive de toute l'Écriture Sainte. L'emploi du verbe « élever » est en effets d'origine vétérotestamentaire, et se réfère à l'installation en majesté. L'Ascension de Christ signifie donc, en premier lieu, l'installation du Fils de l'homme crucifié et ressuscité dans la majesté de Dieu sur le monde.

Il y a cependant un sens plus profond, qui n'est pas perceptible immédiatement.
Dans la page des Actes des Apôtres, il est dit d'abord que Jésus « fut élevé en haut » (v. 9), et après il est ajouté « il a été enlevé » (v. 11).
L'évènement est décrit non pas comme un voyage vers le haut, mais plutôt comme une action de la puissance de Dieu, qui introduit Jésus dans l'espace de la proximité divine.
La présence du nuage qui « le soustrait à leurs yeux » (v. 9),rappelle d'anciennes images de la théologie vétérotestamentaire, et insère le récit de l'Ascension dans l'histoire de Dieu avec Israël, du nuage du Sinaï et au-dessus de la tente de l'alliance du désert, jusqu'au nuage lumineux sur la montagne de la Transfiguration.
Présenter le Seigneur enveloppé dans le nuage évoque en définitive le même mystère que celui exprimé par le symbolisme d'« être assis à la droite de Dieu ». Avec le Christ monté au ciel, l'être humain est entré de façon inouïe et nouvelle dans l'intimité de Dieu ; l'homme trouve maintenant pour toujours place en Dieu. Le « ciel » n'indique pas un lieu au-dessus des étoiles, mais quelque chose de bien plus audacieux et sublime : il indique le Christ lui-même, la Personne divine qui accueille pleinement et pour toujours l'humanité, Celui dans lequel Dieu et l'homme sont pour toujours unis inséparablement. Et nous nous approchons au ciel, et même, nous entrons dans le ciel, dans la mesure où nous nous approchons de Jésus et entrons en communion avec Lui. C'est pourquoi cette solennité de l'Ascension nous invite à une communion profonde avec Jésus mort et ressuscité, présent de façon invisible dans la vie de chacun de nous.

Dans cette perspective, nous comprenons pourquoi l'évangéliste Luc affirme qu'après l'Ascension, les disciples retournèrent à Jérusalem « remplis de joie » (Luc 24, 52).
La cause de leur joie est dans le fait que ce qui était arrivé n'avait pas été en vérité un détachement, une absence permanente du Seigneur : au contraire ils avaient maintenant la certitude que le Crucifié - ressuscité était vivant, et qu'en Lui les portes de la vie éternelle s'ouvraient pour toujours à l'humanité. En d'autres termes, son Ascension ne comportait pas l'absence temporaire du monde, mais plutôt inaugurait la nouvelle forme de sa présence, définitive et inaliénable, en vertu de sa participation à la puissance royale de Dieu.
C'est à eux, les disciples, rendus audacieux par la puissance de l'Esprit Saint, qu'il reviendra d'en rendre la présence perceptible, par le témoignage, la prédication et l'engagement missionnaire.
La solennité de l'Ascension du Seigneur devrait nous combler nous aussi de sérénité et d'enthousiasme, comme cela se produisit pour les Apôtres qui répartirent « pleins de joie », du Mont des Oliviers. Comme eux, nous aussi, en accueillant l'invitation des « deux hommes vêtus de blanc » (Act 1,10-11) nous ne devons pas rester à fixer le ciel, mais, guidés par l'Esprit Saint, nous devons aller partout et proclamer l'annonce salvifique de la mort et de la résurrection du Christ.
Ses propres paroles, par lesquelles s'achève l'Évangile selon Saint Matthieu nous accompagnent et nous réconfortent: « Et voilà que je suis avec vous tous les jours, jusqu'à la fin du monde » (Mt 28,19).

Chers frères et soeurs, le caractère historique du mystère de la résurrection et de l'ascension du Christ nous aide à reconnaître et à comprendre la condition transcendante et eschatologique de l'Église, qui n'est pas née et ne vit pas pour suppléer à l'absence de son Seigneur « disparu », mais trouve plutôt sa raison d'être et sa mission dans la présence invisible de Jésus opérant avec la puissance de son Esprit.
En d'autres termes, nous pourrions dire que l'Église n'accomplit pas la fonction de préparer le retour d'un Jésus « absent », mais, au contraire, elle vit et agit pour en proclamer la « présence glorieuse » de manière historique et existentielle. Depuis le jour de l'Ascension, chaque communauté chrétienne avance dans son itinéraire terrestre vers l'accomplissement des promesses messianiques, alimentées par la parole de Dieu et nourrie du Corps et du Sang de son Seigneur. C'est la condition de l'Église - comme le rappelle le Concile Vatican II - tandis qu' « elle poursuit son pèlerinage parmi les persécutions du monde et les consolations de Dieu, en annonçant la passion, la mort du Seigneur jusqu'à qu'Il vienne » (Lumen gentium, 8).

*

Frères et soeurs de cette chère Communauté diocésaine, la solennité d'aujourd’hui nous exhorte à renforcer notre foi dans la présence réelle de Jésus dans l'histoire ; sans Lui, nous ne pouvons rien accomplir d'efficace dans notre vie et dans notre apostolat. C'est Lui, comme le rappelle l'apôtre Paul dans la seconde lecture, qui « a donné à quelques-uns d'être des apôtres, à d'autres d'être des prophètes, à d'autres encore d'être des évangélistes, à d'autres d'être des pasteurs et des maîtres pour accomplir le ministère afin d'édifier le corps de Christ » c'est-à-dire l'Église. Et cela pour arriver « à l'unité de la foi et de la connaissance du Fils de Dieu », la commune vocation de tous étant de former « un seul corps et un seul esprit, comme est une seule l'espérance à laquelle nous sommes appelés » (Ef 4,11-13,14).
C'est dans cette optique que se place ma visite d'aujourd'hui qui, comme l'a rappelé votre Pasteur (ndt : l’Abbé de Monte Cassino), a pour objectif de vous encourager « à construire, fonder et réédifier » constamment votre Communauté diocésaine sur le Christ. Comment ? Saint Benoît lui-même nous l'indique, qui recommande dans sa Règle de ne rien placer avant Christ : « Christo nihil omnino praeponere ».

Je rends donc grâce à Dieu pour le bien qu'il réalise dans votre Communauté, guidée par son pasteur, le Père Abbé Dom Pietro Vittorelli, que je salue avec affection et remercie pour les mots aimables qu'il m'a adressés en votre nom à tous. Avec lui, je salue la Communauté monastique, les Évêques, les prêtres, les religieux et religieuses présents. Je salue les Autorités civils et militaires, en premier lieu le Maire auquel je suis reconnaissant pour le discours de bienvenu, avec lequel il m'a accueilli à mon arrivée sur cette Place Miranda, qui à partir d'aujourd'hui portera mon nom, même si je n'en suis pas digne. Je salue les catéchistes, les opérateurs pastoraux, les jeunes et ceux qui, de différentes façons prennent soin de la diffusion de l'Évangile dans cette terre chargée d'histoire, qui a connu pendant la seconde guerre mondiale des instants de grande souffrance. Les nombreux cimetières qui entourent votre ville en sont les témoins silencieux, parmi lesquels je rappelle en particulier le polonais, l'allemand et celui du Commonwealth. Mon salut s'étend enfin à tous les habitants de Cassino et des centres voisins : à chacun, spécialement aux malades et aux souffrants, je transmet l'assurance de mon affection et de ma prière.

Chers frères et soeurs, nous entendons retentir dans notre célébration l'appel de Saint Benoît à garder le coeur fixé sur le Christ, à ne rien placer avant.
Cela ne nous distrait pas, au contraire, cela nous pousse encore plus à nous engager pour construire une société où la solidarité s'exprime dans des signes concrets. Mais comment?
La spiritualité bénédictine, que vous connaissez bien, propose un programme évangélique synthétisé dans la devise : ora et labora et lege, la prière, le travail, la lecture.

Avant tout la prière, qui est le plus bel héritage laissé par saint Benoît aux moines, mais aussi à votre Église particulière: à votre Clergé, en grande partie formé dans le Séminaire diocésain, abrité depuis des siècles par l'Abbaye de Monte Cassino, aux séminaristes, aux nombreuses personnes éduquées dans les écoles et dans les « foyers » bénédictins et dans vos paroisses, à vous tous qui vivez dans cette terre. En élevant le regard, de chaque pays et village du diocèse, vous pouvez admirer cet appel constant au ciel qu'est le monastère de Monte Cassino, vers lequel vous montez tous les ans en procession à la veille de la Pentecôte. La prière, à laquelle chaque matin la cloche de Saint Benoît avec son tintement grave, invite les moines, est le sentier silencieux qui nous mène directement dans le coeur de Dieu ; c'est la respiration de l'âme qui nous rend la paix parmi les tempêtes de la vie.
En outre, à l'école de Saint Benoît, les moines ont toujours cultivé un amour spécial pour la Parole de Dieu dans la lectio divina, devenue aujourd'hui patrimoine commun de beaucoup. Je sais que votre Église diocésaine, faisant siennes les indications de la Conférence Episcopale Italienne, consacre beaucoup de soin à l'approfondissement biblique, et a même inauguré un itinéraire d'étude des Saintes Écritures, consacré cette année à l'évangéliste Marc et qui se poursuivra dans les quatre prochaines années pour se conclure, plaise à Dieu, par un pèlerinage diocésain en Terre Sainte. Puisse l'écoute attentive de la Parole divine nourrir votre prière et vous rendre prophètes de vérité et d'amour dans un engagement généreux d'évangélisation et de promotion humaine.

Un autre pivot de la spiritualité bénédictine est le travail. Humaniser le monde du travail est typique de l'âme du monachisme, et cela est aussi la force de votre Communauté qui cherche à rester aux côtés des nombreux travailleurs de la grande industrie présents à Cassino et dans les entreprises liées. Je sais combien est critique la situation de nombreux ouvriers. J'exprime ma solidarité à ceux qui vivent dans une précarité préoccupante, aux travailleurs en CDD ou même licenciés. Puisse la blessure du chômage qui afflige ce territoire induire les responsables de la chose publique, les entrepreneurs et ceux qui en ont la possibilité, à rechercher, avec la contribution de tous, des solutions valides à la crise de l'emploi, en créant de nouveaux postes de travail pour sauvegarder les familles.
À ce propos, comment ne pas rappeler que la famille a aujourd'hui un besoin urgent d'être mieux protégée, puisqu'elle est fortement attaquée dans les racines mêmes de son institution ?
Je pense ensuite aux jeunes qui ont du mal à trouver un travail digne qui leur permette de construire une famille. À eux, je voudrais dire : ne découragez pas vous, chers amis, l'Église ne vous abandonne pas ! Je sais que 25 jeunes de votre Diocèse ont participé aux dernières JMJ à Sydney : profitant de cette extraordinaire expérience spirituelle, soyez le levain évangélique parmi vos amis et ceux de votre âge; avec la force de l'Esprit Saint,soyez les nouveaux missionnaires en cette terre de Saint Benoît !

Enfin, l'attention au monde de la culture et de l'éducation, appartient à votre tradition même. Les célèbres Archives et la Bibliothèque de Monte Cassino rassemblent d'innombrables témoignages de l'engagement d'hommes et de femmes qui ont médité et ont recherché comment améliorer la vie spirituelle et matérielle de l'homme.
Dans vos Abbayes on touche de la main le « quaerere Deum », c'est-à-dire le fait que la culture européenne a été la recherche de Dieu et la disponibilité à son écoute. Et cela vaut aussi à notre époque. Je sais que vous agissez avec ce même esprit dans l'Université et dans les écoles, afin qu'elles deviennent des laboratoires de connaissance, de recherche, de passion pour le futur des nouvelles générations. Je sais aussi qu'en préparation à ma visite, vous avez organisé récemment une rencontre sur le thème de l'éducation pour solliciter en chacun la vive détermination à transmettre aux jeunes les valeurs inaliénables de notre patrimoine humain et chrétien. Dans l'actuel effort culturel pour créer un nouvel humanisme, fidèles à la tradition bénédictine vous entendez justement souligner l'attention à l'homme fragile, faible, aux personnes handicapées et aux immigrés. Et je suis reconnaissant que vous me donniez la possibilité d'inaugurer aujourd'hui la « Maison de la Charité », où se construit avec les faits une culture attentive à la vie.

Chers frères et soeurs ! Il n'est pas difficile de percevoir que votre Communauté, cette portion d'Église qui vit autour de Monte Cassino, est héritière et dépositaire de la mission, imprégnée de l'esprit de Saint Benoît, de proclamer que dans notre vie, rien ni personne ne doit enlever à Jésus la première place ; la mission de construire, au nom du Christ, une nouvelle humanité à l'enseigne de l'accueil et de l'aide aux plus faibles. Que votre saint Patriarche vous aide et vous accompagne, avec saint Scholastique sa soeur ; que les saints Patrons et surtout Marie, Mère de l'Église et Étoile de notre espérance, vous protègent.

Amen !

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