A propos du "mariage" homosexuel aux Etats-Unis

Quelques remarquables réflexions d'un jeune écrivain camerounais, François Ossama, auteur d'un ouvrage "Le Synode sur la famille. Une contribution au débat".


François Ossama est un jeune auteur camerounais. On trouvera sur son blog (www.francoisossama.org ) quelques éléments biographiques.
Son dernier ouvrage publié s’intitule Le Synode sur la famille. Une contribution au débat (voir ici : editionsmengue.com)
Il m’envoie cette remarquable réflexion sur un fait récent d’actualité, la reconnaissance par la Cour Suprême des Etats-Unis du «mariage gay», que je me fais un plaisir de publier.
En complément, une interview qu’il a donnée à l'hebdomadaire catholique d'information de la Conférence épiscopale nationale du Cameroun (CENC), "l'Effort camerounais", N° 607 (1543) du 24 juin dernier sur le Synode. Il y présente ce dernier ouvrage, revient sur le Synode extraordinaire d’octobre 2014 et éclaire les enjeux de celui de cette année: interview-effort-camerounais.pdf [102 KB]

Le "mariage" homosexuel adopté aux États-Unis
Réflexions sur une décision majeure

François Ossama (*)
------

La Cour suprême des États-Unis a adopté à une courte majorité de 5 voix contre 4 de ses juges la reconnaissance du mariage homosexuel sur tout le territoire américain. Cette décision n’est pas sans enjeux majeurs pour le monde, les États-Unis étant la première puissance mondiale, non pas uniquement militaire, mais également culturelle. Cette puissance culturelle, s’affirmant par les moyens considérables de communication sociale et les produits culturels, les met en capacité d’influencer à l’échelle universelle, de manière décisive, les opinions publiques sur l’homosexualité, et notamment les jeunes. La décision de la Cour suprême américaine accroit sans doute la pression sur les États qui refusent cette évolution sociétale. Il va sans dire qu’au niveau du système des Nations unies, où la bataille pour la légalisation universelle de l’homosexualité fait rage depuis plusieurs années, l’évolution du droit américain aura un effet au moins psychologique important. Ce d’autant plus que les revendications des associations homosexuelles sont portées par l’actuel Exécutif américain et sont soutenues par de puissants moyens de pression. En légalisant le mariage gay aux États-Unis, la Cour suprême a ainsi donné une plus grande marge politique à l’Exécutif américain pour, grâce à cette « légitimité intérieure », pousser davantage l’agenda de reconnaissance du mariage homosexuel à l’échelle mondiale.

Au-delà des commentaires d’actualité, l’adoption du mariage entre les personnes de même sexe aux États-Unis suscite trois éléments de réflexion.

Premièrement, par cette décision, les États-Unis rejoignent la vingtaine de pays qui ont légalisé le mariage homosexuel. Cependant, il faut noter une nuance importante par rapport à ces autres pays. Contrairement à l’Irlande, à la France ou à l’Espagne où le mariage entre les personnes de même sexe a été adopté par voies respectivement référendaire et législative (Parlement), le mariage gay est imposé aux 50 états américains par une jurisprudence de la Cour Suprême, statuant en dernier ressort sur des requêtes des associations homosexuelles. Même si au final les effets juridiques sont les mêmes quelle que soit la méthode, le « procédé judiciaire » américain est inédit et questionne le fonctionnement et l’objet ou le rôle des structures sociopolitiques que se sont données les peuples dans les démocraties dites modernes. En effet, neuf personnes, juges de la Cour suprême, ont eu le pouvoir et la légitimité de redéfinir le mariage, une institution naturelle qui est aussi l’une des plus vieilles institutions humaines (soulignons à ce sujet qu’en mai dernier ce vote avait été repoussé une première fois, le juge Kennedy qui, hésitant sur son choix s’est posé pendant plusieurs mois en arbitre de la décision de la Cour suprême, expliquait alors son hésitation par le fait qu’il était troublé que neuf personnes puissent décider de ce qu’est le mariage, une institution millénaire). On observe d’ailleurs, dans le même ordre d’idées, qu’en France par exemple, la justice, à travers des décisions rendues ces dernières semaines, est, de fait, en train de reconnaître la Gestion pour autrui (GPA) et la Procréation médicalement assistée (PMA) pour les couples homosexuels, alors que la loi française interdit ces pratiques.

Ces évolutions du droit, faites par voies référendaire, législative ou judiciaire (ce qui est plus problématique) posent la question de savoir jusqu’où les majorités politiques, bien qu’ayant une légitimité démocratique, peuvent-elles aller dans la modification radicale, par des lois qu’elles adoptent, des institutions socio-anthropologiques comme le mariage qui fondent l’organisation sociale depuis des millénaires. Ce questionnement ne concerne d’ailleurs pas seulement le mariage homosexuel, mais aussi l’avortement et l’euthanasie qui sont aujourd’hui légalisés dans plusieurs États. La loi positive (faite par les hommes), peut-elle sans risques sur l’ordre social s’affranchir de la loi naturelle qui, parce qu’elle n’est pas établie par les majorités et qu’elle est consubstantielle à notre humanité, offre une base stable pour construire un espace de coexistence commune en régulant l’expression des libertés individuelles dans cet espace ? Il convient de rappeler qu’aux États-Unis, la décision des juges, alors qu’elle redéfinit le mariage pour tous les citoyens américains, s’est en réalité fondée sur les requêtes des associations homosexuelles. Se pose par conséquent la question suivante : en s’affranchissant de la loi naturelle, la loi positive n’est-elle pas réduite à la satisfaction de l’intérêt de groupes spécifiques dès lors que ceux-ci disposent de leviers de pressions importants dans la société? Dans ce cas, puisque ces lois, contrairement à ce que l’on veut prétendre, s’imposent à tous, quel espace de liberté est laissé à ceux qui s’opposent à des choix moraux et anthropologiques rendus légitimes (le cas du maire qui est contraint de célébrer un mariage homosexuel étant flagrant ; de même qu’aux États-Unis des états qui refusaient le mariage gay sont aujourd’hui contraints de le reconnaître) ?

Deuxièmement (et on verra ici le comment de l’évolution actuelle vers la normalisation de l’homosexualité), on notera que l’argumentaire motivant la décision de la Cour suprême américaine est le même utilisé dans le mariage pour tous en France : il met en scène un discours bien-pensant construit à partir d’un usage individualiste, matérialiste et existentialiste des concepts de liberté, d’égalité, d’amour, comme si toute l’économie de l’homme se réalisait dans ces concepts sans intégrer le sens religieux de l’homme. En même temps, cet argumentaire a pu convaincre un grand nombre parce qu’il a réalisé une subtile jonction entre les droits civiques (des Noirs et des femmes) et les revendications des homosexuels, de sorte que, concrètement, en défendant le « mariage pour tous », on croit se situer en continuité avec la défense des droits des Noirs et ceux des femmes, ou dans le cadre général de la lutte pour les droits de l’homme. D’un point de vue intellectuel, une telle stratégie, activement promue par les médias et politiquement mise en œuvre depuis les années soixante (aussi bien d’ailleurs par des régimes de gauche que ceux de droite), est très difficile à contrer, puisque ceux qui font la promotion de l’agenda de déconstruction moral qu’elle porte peuvent opportunément présenter leurs contradicteurs comme des obscurantistes opposés aux droits de l’homme, alors qu’eux-mêmes seraient des modernistes, des progressistes. Une telle manipulation gagne facilement les jeunes : en Irlande, ils ont voté à près de 80% pour le mariage homosexuel.

C’est donc dans l’utilisation manipulatrice (motivée idéologiquement) des concepts de liberté, d’égalité, de tolérance, d’amour qu’il faut trouver la raison de l’affirmation sociale et juridique des dérives anthropologiques comme celle qui vient de se produire aux États-Unis. C’est pourquoi, dans mon livre sur le Synode, j’alerte sur le risque d’extension à l’Église de cette manipulation sémantique à des fins idéologique, à travers une utilisation dévoyée de la notion de miséricorde qui plongerait l’Église dans un relativisme spirituel destructeur pour la foi car, prétextant exprimer la miséricorde de notre Seigneur, on en arriverait à vider cette foi de toute de toute exigence intrinsèque, morale et spirituelle, aussi bien personnelle que sociale, et donc de toute référence au bien et au mal.

Pourtant, pourrait-on répondre au moins succinctement à ce discours bien-pensant, si l’approche de l’homme n’était basée que sur les critères de liberté individuelle ou d’égalité, sans une articulation suffisante de ceux-ci avec l’ordre social, alors ces critères pourraient se trouver gravement en conflit avec le bien commun, affectant la coexistence harmonieuse dans le respect de la dignité de tous. Prenons un exemple concret. Le mariage homosexuel s’accompagne de la revendication d’une famille pour les couples homosexuels, famille constituée à partir de l’adoption des enfants. Mais ce faisant, ne cherche-t-on pas à satisfaire l’intérêt des adultes au détriment de celui de l’enfant ? En effet, que fait-on du droit de l’enfant à connaître, à se reconnaître et à grandir à côté d’un père et d’une mère, ce d’autant plus que, comme le soulignent de nombreux pédopsychiatres (malheureuse- ment peu «exaltés» par les moyens de communication sociale), l’enfant a besoin, pour sa construction psychoaffective, d’un rapport d’altérité (papa et maman) qui reproduit la réa- lité de son engendrement (un homme et une femme) ? Se dessine en tout cas ici une curieuse façon d’envisager les droits humains, comme si ceux-ci n’étaient, dans les faits, réservés qu’aux « plus forts ».

Par ailleurs, d’autres modèles conjugaux sans lien avec l’anthropologie naturelle pourraient prendre pour point de référence la légalisation du mariage entre les personnes de même sexe. Ce n’est plus une spéculation intellectuelle, mais une réalité, car on par exemple vu en Allemagne, il y a quelques mois, quelques députés écologistes proposer la dépénalisation de l’inceste entre adultes consentants, au nom de la liberté de choix. Sur quelles bases refuserait-on les demandes de types d’unions, y compris incestueuses, fondées uniquement, comme le mariage homosexuel, sur la revendication de l’amour, de la liberté et de l’égalité, sans intégrer le sens social et anthropologique de telles unions ?

La dernière réflexion vient du fait que sur les six juges de cette Cour qui se considèrent eux-mêmes comme des chrétiens, deux aient voté en faveur du mariage gay (ce qui a été évidemment déterminant compte tenu du fait qu’il n’y a que neuf juges). On peut en être troublé. Cela pose aujourd’hui la question de l’affirmation de l’identité chrétienne dans la sphère publique. De nombreux chrétiens refusent d’assumer leur foi dans leur milieu (familial, professionnel, etc.), comme si leur identité chrétienne ne devait pas avoir une expression pratique dans le monde et sa marche. On peut à nouveau poser ici la question de la responsabilité sociale du chrétien.
Le pape Benoît XVI, dans un discours aux Evêques du Portugal à Fatima en mai 2010, déplorait « ces milieux humains où le silence de la foi est plus grand et plus profond : les hommes politiques, les intellectuels, les professionnels de la communication qui professent et promeuvent une orientation culturelle unique, en méprisant la dimension religieuse et contemplative de la vie ». Il dénonça la présence dans ces milieux, « des croyants honteux de leur foi qui prêtent leur concours au sécularisme, qui fait obstacle à l’inspiration chrétienne ». « Combien, dans ces milieux, défendent avec courage une pensée catholique vigoureuse, fidèle au Magistère ? », s’interrogea-t-il.

Ces mots parlent d’eux-mêmes quant à l’attitude de nombreux fidèles, qui contrairement à leurs pères dans la foi, les premiers chrétiens, ne témoignent plus, ne veulent plus être un signe de contradiction (Lc 2,34) et ainsi, sont disposés à tout compromis avec le monde sécularisé même au détriment de leur foi. On constate donc malheureusement que de plus en plus de fidèles catholiques ont du mal à résister au discours bien-pensant évoqué plus haut, d’où l’urgence d’une plus grande diffusion de la philosophie et de l’anthropologie chrétiennes qui considèrent l’homme dans son intégralité, corps et âme, diffusion dans une forme et une pédagogie capables de faire face à ce discours bien-pensant. Il faut alors lire dans ces paroles de Benoît XVI un appel à tous à persévérer pour défendre dans nos milieux, la famille et la vie, lesquelles ne sont pas strictement des biens de la foi mais des biens de l’humanité entière.

Plusieurs membres du Congrès américain, dont certains témoignant de leur foi, ou d’autres reconnaissant simplement par leur raison et leur bonne volonté, la nécessité pour la société de défendre les valeurs familiales, ont appelé les élus à se saisir de la question. Puissent-ils préserver dans cette initiative, en se rappelant qu’elle aurait une portée au-delà de leur pays.

Après l’adoption du mariage homosexuel par voie référendaire en Irlande, le Cardinal Pietro Parolin, Secrétaire d’État du Saint-Siège, avait parlé d’un « jour triste pour l’humanité ». On peut reprendre cette expression du Cardinal, en parlant d’un jour encore plus triste pour l’humanité.

* * *

(*) Écrivain, auteur de l’ouvrage Le Synode sur la famille. Une contribution au débat.
francois.ossama@gmail.com