Cette lumière éteinte

Très belle et très émouvante réflexion d'un historien et essayiste catholique italien (intransigeant) Massimo Viglione


>>> Du même auteur sur ce site:
¤ Il est temps de regarder la réalité en face (Réflexion sur le Synode, 8/10/2014)
¤ Bienvenue au retour de l'indignation (20/10/2014)

>>> Voir aussi: Une lumière allumée à Mater Ecclesiae

J'ai parlé ces jours-ci de la lumière allumée à Mater Ecclesiae, et de celle désormais éteinte au troisième étage du Palais Apostolique, Place saint Pierre (cf. Une lumière allumée à Mater Ecclesiae).
Cette même (absence de) lumière inspire à Massimo Viglione, sur le site <Riscossa Cristiana>, une splendide réflexion que je partage largement... avec quelques réserves.
Ses critiques, venant d'un catholique intransigeant, sont formulées avec une sincérité telle qu'on ne peut pas totalement les rejeter, mais je ne peux pas non plus les partager.
Par exemple, j'ai consacré de nombreuses pages à l'oecuménisme selon Benoît XVI (tinyurl.com/p9aj7hq), et Massimo Viglione est à l'évidence injuste avec lui. Je renvoie mes lecteurs à cet article du Père Scalese, en 2010, intitulé: L'OECUMÉNISME SOUS LE SIGNE DE LA TRADITION.

Mais ne venant pas d'un nostalgique de Benoît XVI (et encore moins de Jean Paul II), ce qui les aurait rendu suspects aux yeux de certains , ses propos n'en ont que plus de force.

La lumière éteinte à la fenêtre

20 août 2015
Massimo Viglione
www.riscossacristiana.it
Traduction par Anna

Le fait d'être catholique, et catholique "traditionaliste" - aujourd'hui il faut spécifier quel genre de catholique on est, à moins de mentir à nous-mêmes et à notre prochain, vu la crise dramatique que l'Église vit depuis plus de cinquante ans et qui entraîne inévitablement la division interne de son peuple, une division de plus en plus radicale et enracinée, à la mesure de l'aggravation de la crise elle-même - ainsi que le fait de vivre à Rome, et de connaître l'histoire et de présumer comprendre quelque chose en politique, m'ont toujours fait éprouver un sentiment aussi profond qu'instantané de force intérieure, chaque fois que ma promenade du soir me conduisait Place Saint Pierre et me faisait voir la lumière du bureau du pape, bien que ce même sentiment fût toujours entaché par la douleur - pas du tout instantanée celle-là - mélangée à de la colère à cause des nombreuses erreurs dont les pontifes précédents ont été responsables dans les dernières décennies (juste pour en citer une et rendre l'idée: la folie œcuméniste - folie tant théologique que liturgique, tant doctrinale qu'historique et politique - dont nous commençons en ces jours à cueillir les fruits empoisonnés par la trahison du clergé face à l'invasion de notre terre).

Bien que fortement critique des deux pontifes de mes promenades du soir des années 90 et des treize premières de ce siècle, surtout envers le premier des deux, le simple fait d'arriver sur la place centre du monde et de l'histoire humaine et de voir, même très tard dans la nuit, la lumière, avait malgré tout une signification forte: la lumière… est là. Toujours, en dépit de tout.

Comme je l'ai dit, on pouvait avoir plein de raisons pour critiquer les nombreux fruits de ce travail nocturne. La lumière toutefois… était là. En dehors des questions strictement théologiques, doctrinales, liturgiques, etc., c'était un sentiment qui émanait du cœur: dans la nuit très profonde et de plus en plus tragiquement obscure de nos jours, en dépit de tout, la lumière de l'humanité, bien que trop souvent aquiesçante à ces ténèbres, était allumée. Cette fenêtre éclairée, en dépit de tout, représentait quelque chose. En dépit de tout, elle renvoyait à Quelqu'un.

Quiconque, qu'il fût catholique ou non, romain ou non, arrivait sur la Place, voyait cette lumière allumée dans cette pièce, qui reste, quoi qu'il arrive, le centre d'espérance, de foi, de Vérité sur cette terre.

Depuis deux ans et demi, celui qui arrive dans la Place Saint Pierre ne voit plus, jamais, en aucune circonstance, cette lumière allumée. Il voit le noir dans cette fenêtre et dans cette pièce, ainsi qu'à toutes les autres fenêtres et dans toutes les pièces du palais pontifical.

La lumière s'est éteinte, car l'Évêque de Rome a choisi, comme chacun le sait, de vivre dans une pension, dénommée Sainte Marthe, à l'intérieur des murs vaticans.

Que le lecteur ne juge pas exagéré ce que je vais dire. Qu'il ait plutôt le courage moral, intellectuel et surtout spirituel de comprendre et de s'avouer à lui-même qu'il comprend. Qu'il comprend quoi? Qu'il comprend que pour un catholique romain (même s'il n'est pas de Rome, mais romain de foi apostolique) le fait d'arriver Place Saint Pierre et de voir toujours, pendant des semaines, des mois, des années, toujours, toujours, toujours, la lumière éteinte, est en quelque sorte la version séculière de ce que l'on ressent en entrant dans une église d'aujourd'hui et en y trouvant une autre lumière éteinte.

Ce sont des choses que seuls les catholiques peuvent comprendre. Je ne vais donc pas dire de mots pour décrire cette sensation: celui qui peut la comprendre la comprendra, et celui qui ne veut pas ou ne peut pas la comprendre, ne la comprendra certeainement pas à travers ce que je pourrais en écrire, ni ne voudra jamais la comprendre et encore moins admettre avoir compris.

La lumière s'est éteinte au Vatican. Elle a fini au rez-de chaussée d'une pension, où l'on parle d'interviews de circonstance avec des journalistes anti-catholiques et relativistes connus, de coups de téléphone à des ogres affamés de sang humain, de climatiseurs et de questions sur Gaïa; de temps à autre on y affirme que nous devons être ouverts aux nouveautés doctrinales et morales qui vont advenir et qu'il ne faut pas importuner le conducteur avec des discours d'empreinte moralisatrice du genre "principes non négociables", voire réclamer la défense de nos frères massacrés dans les terres islamiques, et que nous devons pardonner toute chose indépendamment du vrai repentir et de la demande de pardon associée, pour nous rappeler ensuite que Dieu n'est pas catholique… Et on nous propose en même temps de revenir de 40-50 [ans] en arrière dans l'histoire, de défiler avec les Inti-Illimani (ndt: groupe de musique folklorique chilien fondé en 1967, "avec un net engagement avec les mouvements socio-politiques de gauche"!!) derrière une croix et un marteau. Mais mieux vaut ne pas recommencer avec la litanie inépuisable de la nouvelle église du rez-de chaussée… Elle ne sert pas à celui qui comprend, et ne servirait jamais - pour longue et incontestable qu'elle soit - à celui qui ne veut pas ou feint de ne pas comprendre.

Quand dans les années 90 et la première décennie de ce siècle je me promenais le soir à Saint Pierre, j'avait plein de raisons pour me mettre en colère ou m'attrister. Mais après je pouvais penser à Evangelium Vitae, à Veritatis Splendor, à la défense ardente de la vie humaine sacrée, à la défense, au moins doctrinale, de la centralité du Christ dans une Europe désormais apostate et dévastée, je pouvais penser au rempart des valeurs non négociables, au retour à la Messe de toujours dans l'Église et, en quelque sorte, à une sagesse de gouvernement, fondée sur les derniers restes de la millénaire gestion de l'Église, ce qui donnait encore du sens à cette fenêtre éclairée, bien qu'entachée par trop, trop de fléchissements face à un monde qu'on ne voulait pas admettre être jusqu'au bout ennemi du Christ et de l'homme et qui était courtisé avec les malentendus dangereux sur les droits humains et le dialogue avec ce néant systématique que sont l'hérésie et les fausses religions.

Mais aujourd'hui cette lumière n'est plus là, la fenêtre est fermée. Aujourd'hui, d'autres dansent leur danse macabre et infâme, qu'ils se nomment Maradiaga, Kasper, Marx, Galantino, Mogavero, Forte, Baldisseri, et beaucoup d'autres encore: ce sont ceux-là les danseurs des ténèbres, les haïsseurs de la Place Saint Pierre, les profiteurs de l'obscurité survenue, les traîtres de la fenêtre illuminée. Mais, il faut le dire, tous ces gens là ne sont pas venus du néant. Quelqu'un les a fait monter en haut, même quand la fenêtre était allumée et quelqu'un d'autre leur donne à présent le pouvoir.

Ce quelqu'un d'autre est celui qui a éteint la lumière et s'en est allé à l'auberge [du rez-de-chaussée], pour montrer qu'il se passe du luxe des palais de la Renaissance, tout en gardant bien en main le téléphone qui le relie au luxe de cette société infernale et à ses projecteurs de théâtre.

Mais nous, les fidèles catholiques romains qui ne pouvons rien sauf notre prière et notre témoignage, nous irons encore Place Saint Pierre le soir, et encore, et encore, dans l'inébranlable certitude que cette lumière sera à nouveau allumée et resplendira comme jamais auparavant. Ce jour-là, que nous soyons encore sur cette terre, ou que nous soyons déjà partis, ce jour-là, nous pourrons dire devant Dieu: je n'ai pas cessé d'aller Place Saint Pierre et je n'ai pas cessé d'attendre jusqu'à la fin Ta nouvelle lumière, dans une certitude intellectuelle et morale qui trouvait son fondement inébranlable dans Ta promesse: "Portae inferi non praevalebunt".

Seuls les fourbes et les sots, les hypocrites et les menteurs peuvent ne pas saisir la signification symbolique des lumières qui s'éteignent. Et des fenêtres qui restent fermées, avec leurs pièces vides.