"Ainsi je changerai l'Eglise"

Dans un entretien téléphonique, le Pape aurait confié à Scalfari que les divorcés doivent tous accéder à la communion. Traduction de l'édito scalfarien de ce dimanche sur La Reppublica

 
A la fin des parcours plus rapides ou plus lents, tous les divorcés qui le demandent seront admis.

C'est le vrai coup d'envoi de la phase 3 du Synode, avec un relais non-officiel mais apparemment privilégié par le Successeur de Pierre pour faire passer ses idées de façon informelle.
Il est très (vraiment TRÈS) difficile de gober que le vieil homme a tout inventé, comme ne manqueront pas de nous le seriner les papistes irrécupérables, d'autant plus que Scalfari donne des détails qui sonnent vrais. Et n'oublions pas que le premier entretien du même Scalfari avec le pape a fait des aller et retour sur l'OR, avant de faire l'objet d'un livre cosigné par les deux, qui a même été traduit en français aux éditions Bayard sous le titre (qui ne doit rien au hasard!) "Ainsi je changerai l'Eglise". Un titre-programme, annonçant une intention qui semble se confirmer.
En l'absence d'un démenti OFFICIEL ferme et définitif du Saint-Siège via le Père Lombardi, ou le pape lui-même, nous serons bien obligés d'admettre que ce sont bien ses idées qui sont exprimées là. N'en déplaise - je le répète - à ceux qui s'obstinent à prétendre qu'il n'y aura aucune atteinte à la doctrine.

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La chronique hebdomadaire de Scalfari du 1er Novembre dans le journal qu'il a fondé commence par des considérations sur les affaires italiennes: le scandale Mafia Capitale, les déboires du maire de Rome démissionnaire (et lâché par son ami le Pape!) Ignazio Marino;
Et voici le morceau de choix, avec un sens théâtral consommé, Scalfari le réserve pour la fin.
In cauda venenum, une fois de plus....

 

(www.repubblica.it, ma traduction):
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Je vais maintenant essayer, si je le peux, de voler plus haut que ces choses misérables, et je vais parler à nouveau de François et du Synode sur la famille désormais conclu, auquel fera suite dans quelques semaines, le jubilé dédié à la miséricorde. Le Synode et la famille font partie de la miséricorde et du pardon. Il y a une phrase que le pape a prononcée et a soulignée en l'écrivant dans le texte de son discours de clôture et dans son audience générale du 28 octobre dernier. Ce jour-là, François a eu la grande bonté de me téléphoner à 18 heures et nous avons conversé pendant environ quinze minutes. Je vous laisse imaginer mon bonheur d'incroyant privilégié de l'amitié de François. La phrase est celle-là:
«Dieu veut que tous les hommes soient sauvés».

Le pape a également rappelé dans ces deux dernières sorties quelques indications essentielles du Concile, que je cite:
«L'interdépendance croissante des peuples, la recherche humaine d'un sens à la vie, à la souffrance, à la mort, les questions qui accompagnent toujours notre chemin, l'origine commune et un destin commun de l'humanité: l'unité de la famille; le regard bienveillant et attentif de l'Église sur les autres religions: l'Eglise ne rejette rien de ce qu'il y a en elles de beau et de vrai, L'Eglise regarde ou estime les croyants de toutes les autres religions, appréciant leur engagement spirituel et moral».

Il n'est pas nécessaire de trop se tourmenter pour comprendre le sens de ces citations: c'est la réaffirmation du Dieu unique qu'aucune religion ne possède dans son intégralité, et auquel toutes arrivent à travers les différentes voies, les différentes liturgies et les différents Écritures qui parsèment l'histoire de chacune d'elles. Même des diverses confessions de la religion chrétienne, et même au sein de l'Église catholique.

François en parle dans la conclusion du synode des évêques du monde entier:
«Le premier devoir de l'Eglise n'est pas de distribuer des condamnations ou des anathèmes, mais d'exalter la miséricorde. Dans ce Synode, nous avons vu que ce qui semble normal pour un évêque d'un continent peut s'avérer étrange, presque comme un scandale, pour l'évêque d'une autre continent; ce qui pour certains est liberté de conscience, pour d'autres peut être source de confusion. Enfin l'intime transformation des authentiques valeurs culturelles a lieu à travers leur intégration dans le christianisme et l'enracinement du christianisme dans les diverses cultures humaines».

Je me demande s'il y a eu un Pape qui a parlé de façon si explicite et en même temps si prophétique de la vie réelle, avec la multiplicité des ethnies, des lieux, des temps où l'humanité naît, vit, meurt dans une société en constante mutation et pourtant espèce unique dans la multitude des choses créées. Quelques papes sont parvenus à ces intuitions; François dans ce discours de clôture du Synode, en a rappelé les plus récents qui l'ont précédé, saisissant les points de continuité de l'Église que Vatican II a mis en place et conclu: Jean XXIII, qui en fut le promoteur, puis Paul VI, Wojtyla et Ratzinger (ndt: !! on sent que ces deux deniers noms, qu'il est bien obligé de citer s'il ne veut pas être accusé de modifier les propos du pape, lui écorchent la bouche). François a un sens politique très aigu; il affirme des vérités révolutionnaires, mais avec la diplomatie nécessaire pour transformer les diversités en l'harmonie d'un travail commun. Tout en maintenant que c'est la foi qui cimente tout le monde, et avec la foi, l'Esprit Saint qui la répand. Selon François, également chez les non-croyants qui font de toute façon partie de la famille humaine.

Dans la même conversation téléphonique de mercredi dernier, il s'est dit très intéressé par l'article que je lui avais consacrée il y a deux dimanches. Il m'a demandé ce que je pensais des conclusions du Synode sur la famille. J'ai répondu - comme je l'ai écrit - que le compromis que le Synode avait atteint, ne me semblait pas tenir compte des changements advenus dans la famille au cours des cinquante dernières années, de sorte que mettre l'accent sur une reprise de la famille traditionnelle était un objectif totalement impensable. J'ai ajouté que l'Eglise ouverte par lui est confrontée à une famille tout aussi ouverte dans le bon comme dans le mauvais, et c'est celle-là qui est devant l'Église.

«C'est vrai - a répondu François -, c'est une vérité et du reste la famille qui est le fondement de toute société est en constante évolution, de même que tout change autour de nous. Nous ne devons pas penser que la famille n'existe plus, elle existera toujours parce que notre espèce est une espèce sociale, et la famille est le pilier de la sociabilité, mais il ne nous échappe pas que la famille actuelle, ouverte comme vous le dites, contient certains points positifs et d'autres négatifs. Et comment ces diversités se manifestent-elles? Les points négatifs sont l'antipathie ou même la haine entre les nouveaux conjoints et ceux d'avant, s'il y a eu un divorce; le faible sentiment de fraternité surtout chez les enfants dont les parents sont partiellement ou totalement différents; un contenu différent de la paternité qui oscille entre l'indifférence réciproque ou l'amitié réciproque. L'Eglise doit oeuvrer afin que les éléments positifs l'emportent sur les négatifs. C'est possible, et c'est ce que nous ferons. L'avis différent des évêques fait partie de la modernité de l'Eglise et des différentes sociétés dans lesquelles elle opère, mais l'objectif est commun et en ce qui concerne l'admission des divorcés aux sacrements, il (?) confirme que ce principe a été accepté par le Synode. C'est cela qui est le résultat de fond, les évaluations de fait sont confiées aux confesseurs mais à la fin des parcours plus rapides ou plus lents, tous les divorcés qui le demandent seront admis».

Tel fut le contenu de notre appel téléphonique. Avec une autre information de François, qui m'a dit: en mars, je vais écrire un long essai sur l'Eglise et ses objectifs missionnaires.
Puis, par téléphone, nous nous sommes embrassés.