Deux importants discours de François

... décryptés sans complaisance par un jésuite américain repris par Sandro Magister: ceux adressés aux mouvements sociaux, à Rome en octobre 2014, et en Bolivie le mois dernier. Et la catéchèse de rentrée, sur les "divorcés remariés".

>>> Sur le site du Vatican:
¤ Le discours de Santa Cruz, le 9 juillet dernier
¤ Le discours à Rome le 28 octobre 2014
¤ La catéchèse du 5 août 2015

François et les médias. Deux cas d'école

Settimo Cielo
6 août 2015
(ma traduction)
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Reprenant le 5 Août les Audiences générales du mercredi, et consacrant sa catéchèse aux divorcés remariés, François n'a fait que répéter presque mot pour mot ce à quoi Jean-Paul II les exhortait déjà en 1981, dans le document "Familiaris consortio" faisant suite au Synode de l'année précédente lui aussi dédié à la famille:

Jean-Paul II en 1981:

"Qu'ils ne se sentent pas séparés de l'Eglise, car ils peuvent et même ils doivent, comme baptisés, participer à sa vie. On les invitera à écouter la Parole de Dieu, à assister au Sacrifice de la messe, à persévérer dans la prière, à apporter leur contribution aux oeuvres de charité et aux initiatives de la communauté en faveur de la justice, à élever leurs enfants dans la foi chrétienne.." (§84 )



François en 2015:

"Ces personnes ne sont pas du tout excommuniées, et ne devraient jamais être traitées comme telles: elles font toujours partie de l'Eglise. Elles vivent et développent toujours plus leur appartenance au Christ et à l'Eglise avec la prière, avec l'écoute de la Parole de Dieu, avec l'assiduité à la liturgie, avec l'éducation chrétienne des enfants, avec l'amour et le service des pauvres, l'engagement pour la justice et la paix ".



Les seules variantes étaient, de la part de François, le changement d'un mot et le silence sur un point particulier.
Au lieu de "pas séparés" de l'Église, François dit que les divorcés remariés "ne sont pas excommuniés."
Et tandis que Jean-Paul II poursuivait en répétant pour eux le non à la communion eucharistique, François a gardé le silence à ce sujet.

Selon l'exégèse minutieuse de l'audience qu'a faite l'avocat et bioéthicien catholique argentin José Durand Mendioroz, François s'en est parfaitement tenu à l'enseignement constant de l'Église romaine.

Mais il a suffi du mot et du silence en question pour faire une étincelle dans le circuit des médias. Autrement dit, donner naissance et répandre la pseudo nouvelle que François a levé l'excommunication pour les divorcés remariés et les a admis à la communion sacramentelle.

Il revient à l'"herméneutique" réclamée avec insistance par François concernant ses paroles, la tâche de comprendre s'il s'est agi d'un effet calculé ou non.

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On peut dire en revanche avec quelque certitude que la résonance que le pape attendait d'un autre récent discours - celui qu'il a adressé en Bolivie le 9 Juillet aux "mouvements populaires" - a fait défaut dans le circuit des médias.
Que François y tenait beaucoup, on peut le deviner à sa longueur inhabituelle. Mais surtout à l'empreinte personnelle de sa rédaction.

Dans une analyse ample et perspicace publiée le 24 Juillet sur “The Catholic World Report” , le jésuite James V. Schall, professeur de philosophie politique à l'Université de Georgetown à Washington, décrit ainsi les caractéristiques de ce discours:

"Quoi que l'on dise des autres discours du pape en Bolivie, celui de Santa Cruz est du Bergoglio à l'état pur. Il contient sa vision du monde et de tout ce qui ne va pas, en lui. Le Pape nous dit ce qu'il pense, sans demander nos opinions. Parce que ses conclusions, il les a déjà tirées. C'est ce que j'appelerais un discours intégralement apocalyptique et utopique. Il décrit à la fois à quel point la réalité est terrible, et combien elle pourrait devenir idyllique. Il n'y a pas la moindre place pour un juste milieu , pour l'idée que le monde puisse continuer à aller de l'avant comme il l'a fait depuis des millénaires. C'est une exhortation de deuxième commandement ("Tu aimeras ton prochain") et non de premier commandement ("cherchez d'abord le royaume de Dieu"). Il est plus proche de Joachim de Fiore (1) que de saint Augustin d'Hippone".

(...)

"Pour autant que je puisse en juger, dans ce discours spécifique, nous ne trouvons presque aucune trace de l'attention chrétienne pour la vertu personnelle, le salut, le péché, le sacrifice, la souffrance, la repentir, la vie éternelle, ni pour une pérenne vallée larmes. Péchés et maux sont transformés en questions sociales ou écologiques qui nécessitent des remèdes politiques et structurels".


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L'analyse de P. Schall se développe ensuite en examinant les différents points du discours du pape, et il est plus articulé et équilibré qu'il n'apparaît dans cette tranchante introduction.
Mais quoi qu'il en soit, il fait référence à un discours qui, une fois prononcé, n'a pas eu d'histoire dans l'opinion publique. Mis de côté. Au contraire du sort réservé au discours de François dans la précédente et première rencontre avec les "mouvements populaires", qui s'est tenue à Rome le 28 Octobre 2014, convoquée par le pape lui-même, à travers le Conseil pontifical pour la justice et la paix.

Là aussi, à écouter et applaudir François, il y avait le président "cocalero" de la Bolivie, Evo Morales, et des dizaines de groupes "altermondialiste", identifiés par le pape comme l'avant-garde d'un futur de l'humanité alternatif à l'empire transnational de l'argent et qui "transcende" les "processus logiques de la démocratie formelle." (2)

Mais c'était le premier épisode de l'histoire. Il y avait une nouvelle. Et le discours avait ici et là des moments enflammés. Le deuxième épisode a été une réplique décolorée. Avec un parterre au profil encore plus insaisissable. Trop peu pour un "manifeste" de la papauté, comme l'a qualifié le P. Schall .

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NDT:

(1) cf. AG de Benoît XVI du 10 mars 2010 sur saint Bonaventure et la controverse avec Joachim de Flore

(2) Allusion aux propos de François, le 28 octobre 2014:

Il est impossible d’imaginer un avenir pour la société sans la participation, en tant qu’acteurs, des grandes majorités et ce rôle d’acteur transcende les processus logiques de la démocratie formelle.