"Dieu ou rien": réflexions du card. Müller (I)

... à l'occasion de la parution en allemand du livre best-seller du card. Sarah

 

A l’occasion de la parution en allemand du livre du cardinal Sarah Gott oder nichts (Dieu ou rien), le cardinal Müller a publié un très long texte qui est reproduit sur le site du Vatican - lui conférant ainsi un caractère "officiel".
Isabelle s’est chargée de la traduction, en exclusivité pour <benoit-et-mo>i.
Comme le texte est vraiment très long, elle l’a fractionné.
Voici la première partie

Dieu ou rien.
Réflexions sur le livre du cardinal Robert Sarah

Par le cardinal Gerhard Müller
www.vatican.va
Traduction par Isabelle


Pour commencer, je voudrais remercier le cardinal Robert Sarah du témoignage de foi qu’il livre dans son ouvrage « Dieu ou rien. Entretien sur la foi », publié cette année. En même temps, je félicite le monde germanophone de la possibilité qui lui est offerte de prendre connaissance, dans sa langue maternelle, de la richesse de la pensée d’un grand théologien et homme de profonde spiritualité.

L’homme devant l’alternative cruciale
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L’entretien sur la foi du cardinal Sarah avec Nicolas Diat, spécialiste réputé du Concile Vatican II, porte pour titre « Dieu ou rien. Entretien sur la foi ». C’est dire qu’il ne s’agit pas de l’un ou l’autre thème particulier intéressant, il ne s’agit pas non plus de faire connaître les idées fétiches d’un écrivain ou d’un acteur politique. Le Cardinal a plutôt en vue l’homme comme tel, l’homme tout entier, plus précisément dans sa relation à Dieu, origine et fin de toute la création dans l’amour, qui est Dieu dans sa vie et son être.

Devant la finitude de notre brève existence sur cette terre, devant l’impossibilité que s’accomplisse ici-bas la justice pour les pauvres, les humiliés, les souffrants innocents, ceux qui sont morts trop tôt, les millions de victimes des guerres et de la violence, il n’y a, pour le dire en un mot, que cette unique alternative. Si Dieu existe, s’il est vivant et agissant, alors tout a, malgré tout, un sens ; alors justice sera faite, à la fin, à tous ceux qui s’en remettent entièrement à Dieu; alors, le dernier mot, la parole qui jamais ne se taira, prononcée sur toute la création est l’amour et la vie éternelle et pas la haine, ni la mort, ni le néant, ni la fin absolue. « Car la création doit être libérée de la servitude de la corruption pour entrer dans la liberté de la gloire des enfants de Dieu » (Romains 8, 21). Avec Dieu, tous les facteurs positifs de notre existence, dans la parenthèse du créé, sont multipliés par l’amour et l’infini.

Par Dieu tout est éternellement in, sans Dieu tout est définitivement out.

En dix groupes de questions, le cardinal aborde, d’un point de vue théologique et spirituel, la situation de l’Eglise catholique dans le monde d’aujourd’hui et, par-delà son diagnostic, propose une thérapie à l’homme postmoderne désorienté. La foi en Jésus-Christ, fils de Dieu et sauveur du monde.

Profil spirituel et théologique du cardinal Sarah
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Le pape Jean-Paul II déjà avait reconnu la spiritualité profonde de celui qui était alors archevêque de Conakry, en Guinée, un petit état africain très marqué par l’islam, où les catholiques sont minoritaires; il avait estimé à sa juste valeur sa compétence théologique en le faisant venir en 2001 à la curie romaine. Le pape Benoît XVI l’admit, en 2010, dans le Sacré Collège cardinalice qui assiste directement le pape dans le gouvernement de l’Eglise universelle. L’estime que lui porte le pape François s’est manifestée lorsque celui qui fut longtemps Président du Conseil Pontifical pour la Justice et la Paix, « Cor Unum », fut nommé Préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements. Alors que son travail pour Cor unum l’a confronté largement aux défis de la misère et de la pauvreté, son nouveau champ d’occupation concerne une autre tâche fondamentale de l’Eglise : la liturgie, l’office divin et les sacrements.

La signification de cette congrégation pour l’Eglise comme communauté de la foi et du culte rendu à Dieu se traduit par exemple dans la description que donne de la liturgie le décret que lui consacre Vatican II : la « liturgia », et particulièrement la sainte Eucharistie est, entre la « martyria » et la « diakonia » (soit la doctrine de la foi, la prédication, la pastorale et le service de la charité), source et sommet de toute la vie et de l’action de l’Eglise. (cf. SC 10)

Dans la liturgie, la foi s’exprime comme réponse immédiate à la révélation du Dieu trinitaire, qui dans sa parole devenue chair, son fils Jésus-Christ, signifie, pour tout homme, le chemin, la vérité et la vie. La Congrégation pour le culte divin a pour objet une tâche essentielle de l’Eglise comme sacrement universel du salut du monde. Il n’y pas là de mise en scène extérieure de rites et de symboles, où l’homme joue avec lui-même, tourne sur lui-même, s’honore et s’adore lui-même, sans jamais se dépasser dans la véritable transcendance de Dieu. Dans la liturgie se produit, par la grâce, l’élévation de l’homme. Car la liturgie est le contraire d’un périple égocentrique, plein d’apitoiement sur soi. Elle est élévation du cœur vers Dieu, à qui seul reviennent l’adoration et la gloire. L’hommage que les chrétiens rendent à Dieu n’a pas pour modèle les cultes et mythes païens où l’homme flatte servilement les dieux ou s’oppose à eux à la manière de Prométhée, mais le Christ, en qui Dieu et l’homme se rencontrent.
« La gloire de Dieu c’est l’homme vivant (dans la grâce) ; et la vie de l’homme c’est la vision de Dieu », selon la formule de saint Irénée au IIme siècle (Adv. Haer. IV, 20, 7 : Gloria enim Dei vivens homo, vita autem hominis visio Dei). Celui qui est adoré, glorifié et aimé c’est le Dieu trinitaire qui, dans la personne du Verbe, a pris notre chair, qui, en Jésus-Christ, dans sa véritable nature humaine, dans son histoire humaine, dans sa mort en sacrifice pour nous sur la croix et dans sa vraie résurrection d’entre les morts, a vaincu la mort et l’éloignement d’avec Dieu. Et ce même Jésus–Christ est le Seigneur élevé dans la gloire, qui vient à nous, les hommes, historiquement, corporellement et communautairement dans l’Eglise et ses sacrements, dans une vraie rencontre de personne à personne.

On ne peut en vérité surestimer la responsabilité confiée au cardinal Sarah par le pape François. Il suffit de penser à ce que Joseph Ratzinger a offert à l’Eglise comme son testament, dans le premier paru des 16 volumes programmés de ses œuvres complètes : dans une époque qui se caractérise par la sécularisation, rampante ou tapageuse, de la chrétienté occidentale et par une déchristianisation agressive de la société, la juste compréhension de la liturgie et sa digne célébration devient la question où se joue le destin du christianisme dans le monde d’aujourd’hui et de demain.

Pour remplir cette mission, il faut bien plus qu’une étude spécialisée de la science liturgique au sens étroit du mot. L’horizon spirituel d’un cardinal préfet de la Congrégation pour le culte divin doit avoir pénétré, dans leur esprit même, les présupposés et les conditions philosophiques, théologiques, dogmatiques, culturels et politiques de l’existence chrétienne à l’époque moderne et post-moderne. Seul un diagnostic approfondi de la structure spirituelle et culturelle du monde globalisé peut permettre d’élaborer une thérapie qui triomphe du nihilisme - ce dénominateur commun de toutes les attentes et aspirations d’un monde sans Dieu -, et mettre à nouveau en lumière la foi en Dieu comme fondement et finalité des hommes. L’absence de sens liturgique de l’homme moderne, que Romano Guardini déplorait déjà en 1948, au « Mainzer Katholikentag », et la « Crise de l’idée sacramentelle » dans une conscience refermée sur l’immanence, constatée par Joseph Ratzinger, trouvent leur cause dans le système moniste du naturalisme. Celui-ci en effet nie la référence transcendantale de homme, dans son esprit et sa liberté, au mystère de Dieu ; par suite logique, il enferme l’homme à l’intérieur d’un monde unidimensionnel et ne permet pas de le reconnaître comme auditeur d’une parole qui, surnaturelle-ment, révèle Dieu dans le monde, l’Histoire et l’esprit de l’homme.

Sources et traits particuliers de l’identité chrétienne du cardinal
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Robert Sarah est né le 15 juin 1945 à Ourous, un modeste village d’agriculteurs. A l’époque, la Guinée était encore une colonie française. L’utilisation mécanique des outils pédagogiques français, provenant de la métropole, montre à quel point ce colonialisme pouvait être borné : ainsi les enfants de Guinée apprenaient-ils qu’ils étaient, comme Français, descendants des Gaulois. Le colonialisme, le racisme, au même titre que l’impérialisme, militaire ou culturel, ont été et sont encore des flétrissures sur le blason de l’Histoire humaine et, d’un point de vue théologique (*), des formes de la manifestation du péché originel, qui ne peuvent être pardonnées que par l’amour toujours plus grand de Dieu.

La première expérience positive qui marqua toute la vie de Robert Sarah jusqu’au tréfonds de son existence morale et spirituelle, fut la rencontre avec les missionnaires spiritains. Sans aucune ambition politique, sans la moindre trace d’un quelconque sentiment de supériorité européen, les pères travaillaient de manière toujours humble et désintéressée, avec le dévouement total d’hommes de Dieu, se faisant les hérauts non des standards de vie européens mais de l’amour de Dieu, qui saisit tous les hommes et les unit en une famille.

L’eurocentrisme rétrécit l’horizon. Le théocentrisme en élargit les frontières. Le christocentrisme unit tous les hommes en Dieu.

Celui qui croit en Dieu est partout chez lui. Et, dans l’unique maison du Père, nous sommes tous frères et sœurs. Du point de vue de la création, nous sommes tous membres de la famille humaine. A la lumière de la révélation, la communauté de foi dans le Christ se manifeste comme la maison et le peuple de Dieu. L’amour de Dieu fonde la dignité de l’homme et donne l’espérance dans la souffrance et l’injustice ; il donne la force spirituelle de vaincre la haine et d’aimer jusqu’à son ennemi, c.-à-d. de le libérer de la prison que sont l’athéisme et l’hostilité à l’égard des hommes. L’amour du Créateur et du Rédempteur ouvre la perspective sur l’accomplissement de toute la création en Dieu lui-même. La vie éternelle n’est pas une prolongation pour un temps infini de celle d’ici-bas, avec seulement d’autres conditions extérieures. La vie éternelle est la connaissance de Dieu et de son Fils Jésus-Christ (Jean 17, 3). Dieu vit en nous et nous vivons en Dieu. « La mort n’est pas la fin, mais elle est, pour moi, le début de la vie », disait Diettrich Boenhoffer, peu avant son exécution - il n’avait que 39 ans - par les sicaires du prince de ce monde, que Jésus, dans l’Evangile de Jean, a appelé « menteur et homicide dès l’origine » (Jean 8, 44). Mensonge, meurtre et violence sont les traits caractéristiques des royaumes de l’auto-rédemption, bâtis par les hommes, qui veulent se mettre eux-mêmes à la place de Dieu. Le Royaume de Dieu, au contraire, signifie justice, amour et liberté dans l’Esprit-Saint. L’homme est orienté sur l’absolu. La vérité dans la liberté et la justice dans l’amour ne peuvent exister que là où Dieu est au-dessus de l’homme et en lui. Là où l’homme cherche à se rendre maître de l’absolu, il se transforme lui-même en une idole qui, en recherchant la domination totalitaire, uniformise les hommes par l’exercice du pouvoir politico-médiatique pour les réduire en esclavage.

Dans la Guinée émancipée de la tutelle coloniale française, le dictateur Sékou-Touré établit un sanglant pouvoir marxiste-léniniste. Celui-ci provoqua l’exode de deux millions de personnes ; des milliers d’autres furent sauvagement assassinées, torturées et humiliées. Le prédécesseur de notre cardinal à l’archevêché de Conakry, Mgr. Raymond-Marie Tchidimbo, et beaucoup d’autres chrétiens, furent brutalisés au nom d’une idéologie qui méprise la religion qu’elle considère comme l’opium du peuple et qui, au nom de la liberté, du progrès et de la science, tient pour juste et nécessaire toute violation, à l’encontre des chrétiens, de la liberté religieuse et des droits de homme. Après deux dictatures athées en un seul siècle sur le sol allemand et deux guerres mondiales, parties de l’Allemagne en l’espace de 25 ans, nous autres Allemands savons ce que signifie un monde sans Dieu, où les croyants, considérés comme dangereux, rebelles et moyenâgeux, ont été raillés, marginalisés et exclus de la vie publique. La vieille maxime libérale du XIXème siècle : « La religion appartient à la sphère privée », que se sont appropriée tous les totalitarismes politiques du XXème siècle, n’est rien d’autre qu’une forme extrême de violation des droits de l’homme. Car, au même titre que les agnostiques, les hommes qui ont la conviction que Dieu est l’amour, possèdent le droit (qui est un droit naturel de l’homme) de s’investir pour le bien commun, en professant justement leur doctrine et leurs exigences morales dans la vie publique. Ce qui distingue une véritable démocratie d’une ochlocratie ou d’une « démocratie populaire », c’est qu’elle se construit sur des droits de l’homme inviolables ; elle ne définit pas elle-même, en fonction d’intérêts idéologiques, ce qu’est l’homme et ne le livre pas à l’arbitraire de la masse, du parti ou de l’opinion dominants. Un Etat doit adopter une position de neutralité idéologique ; il ne peut devenir un instrument de contrainte qui transforme la vision du monde athéiste-naturaliste d’une partie de ses citoyens en une loi qui exclut des institutions officielles et publiques une autre partie. La neutralité idéologique de l’Etat est incompatible avec la déclaration du sécularisme comme vision du monde quasi officielle. La séparation obligatoire de l’Eglise et de l’Etat inclut le respect par l’Etat de la liberté et de l’autonomie de l’Eglise et des communautés religieuses et ne peut pas servir de prétexte à priver les croyants de leurs droits fondamentaux ni à en restreindre la portée. Elle ne peut pas non plus justifier la spoliation des biens de l’Eglise ou son exclusion de la sphère publique (Vat. II, Dignitatis humanae 4). L’Etat moderne démocratique doit observer la neutralité idéologique et favoriser l’engagement civil des communautés confessionnelles aussi. L’Etat doit être fondé sur le droit naturel, et non pas sur l’agnosticisme séculariste. Lorsque l’Etat confine les citoyens, au mépris de leur conviction religieuse, à l’intérieur de la sphère privée ou les force à faire le mal contre leur conscience, lorsqu’il refuse à l’Eglise toute action publique, il viole ce droit de l’homme que constitue la liberté religieuse et prive de fondement sa légitimation d’état de droit démocratique (D.H. 6).

Là où la conscience ne se sent plus responsable devant une instance supérieure au monde ou, plus précisément, devant le Dieu personnel qui juge le bien et le mal et définit le vrai et le faux, alors, selon l’expression de Fedor Dostoievski, « tout est permis ». Ce dont le poète russe n’a donné qu’une formulation théorique, nous savons, nous autres, hommes du XXme siècle ce que cela signifie en pratique.

En ce temps de persécution dans sa chère patrie réside une deuxième source profonde de la spiritualité du cardinal Sarah. La reconnaissance du Christ, le crucifié. J’ai déjà parlé de l’expérience de l’humilité et de la disponibilité inconditionnelle au sacrifice des missionnaires français : ils ont semé dans son cœur le Dieu qui nous aime, nous les hommes, de manière inconditionnelle. Il y a maintenant, au sein de la persécution, là où humainement n’existe aucune issue, l’expérience de la croix du Christ, qui procure une espérance contre toute espérance. Le calvaire est le point culminant d’où nous contemplons, avec les yeux du Fils de Dieu sur la croix, l’humanité, le monde, l’Histoire et toute la création et les jugeons avec la démesure de l’amour de Dieu qui pardonne et réconcilie. Stat crux, dum volvitur orbis : la croix demeure debout même si le monde entier s’écroule et menace de sombrer dans le chaos.

Et pourtant, dans la foi révélée, qui vient de Dieu, nous n’avons pas affaire à une contre-idéologie. Dans la foi, le Christ lui-même vient nous rencontrer. Celui qui, homme véritable, a porté notre vie terrestre et notre souffrance dans son propre corps, dans son âme humaine et dans sa conscience humaine et les a offerts en sacrifice au Père qui est aux Cieux, c’est lui qui est ressuscité d’entre les morts. « Il est le vrai Dieu et la vie éternelle « (1Jean 5, 20). Et la communauté de ses disciples, l’Eglise, le reconnaît comme le vrai Dieu, le Fils du Père, notre rédempteur à tous et le grand-prêtre et médiateur de l’alliance nouvelle et éternelle.

Des pères, Robert Sarah apprit – et cela fut une autre expérience fondatrice - ce qu’est réellement la mission, c’est à dire l’annonce et l’introduction de chaque homme, qui, dans la foi, dit « oui » à Dieu, dans le mystère de l’amour divin du Père, du Fils et du Saint-Esprit. La mission chrétienne est le contraire du prosélytisme : celui-ci ne fait que persuader et contraindre à adopter sa propre mentalité et sa propre culture au lieu de susciter la rencontre avec le vrai Dieu dans la parole et le sacrement. Le prosélytisme instrumentalise l’autre pour la confirmation du « moi ». La mission témoigne, devant les frères, de l’amour de Dieu pour chaque homme en particulier.

Comme jeune catholique, Robert Sarah apprit aussi à connaître et à aimer la sainte Messe, communion avec Jésus dans l’amour et la vérité. La mission et la croix, mais aussi, justement, la liturgie, sont les sources de la vie spirituelle du cardinal Sarah. Lorsque je participe à la sainte Messe, dans la foi, avec la nécessaire et profonde crainte de Dieu, Jésus me prend avec toute ma vie, mes travaux, mes soucis et mes souffrances dans son sacrifice sur la croix, où il s’est lui-même livré au Père pour le salut du monde, afin que nous puissions vivre, maintenant et pour l’éternité, en Dieu, de Dieu et pour Dieu. La communion sacramentelle nous introduit dans la communion de vie spirituelle avec le Christ, si nous la recevons en état de grâce sanctifiante - la grâce baptismale que nous avons conservée au fil de la vie ou renouvelée dans le sacrement de pénitence - et si nous aimons Dieu par-dessus tout et le prochain comme nous-mêmes. Elle est unité avec Jésus-Christ dans sa véritable humanité et divinité.

Marqué ainsi par une foi profonde grâce à la médiation et au bon exemple de véritables serviteurs du Seigneur naît, au plus intime du jeune Robert Sarah, la pensée et le désir de devenir lui-même prêtre pour servir le Seigneur. Son père et sa mère étaient de bons catholiques, quasiment de première génération, parents liés à leur fils unique par un amour chaleureux. Mais il était pour eux encore inimaginable qu’un Noir pût devenir prêtre. Naturellement, ils savaient bien, en théorie, que, devant Dieu, tous les hommes sont égaux et que l’amour que Dieu porte à chacun n’enlève rien à l’individu mais le confirme dans ce qu’il est pour ainsi l’introduire dans l’Eglise comme dans la famille de Dieu. Mais malgré cela, ils vivaient encore dans la conviction que le christianisme était en réalité une religion d’Européens. Mais l’horizon universel de la foi catholique libère de tout ce que l’on a pu superposer d’accessoire à l’Evangile du Christ. Dieu seul peut appeler les hommes à son service particulier et confier à certains plus de grâce et de talent, sans manquer à sa justice. Car la justice de Dieu consiste à distribuer à chacun des charismes différents, afin que tous contribuent, en travaillant ensemble avec les divers dons reçus, au bien de l’ensemble. La diversité des hommes révèle ainsi la justice de Dieu envers tous, parce que la multiplicité des missions, des perfections et des charismes rend possible une plus grande communauté. Ainsi l’Eglise ne découle-t-elle pas des relations à Dieu individuelles de chaque personne, comme si elle en était une conséquence secondaire. Dieu a créé les hommes comme des êtres communautaires ; Il n’a pas voulu les racheter séparément les uns des autres, mais faire d’eux une communauté qui, dans le Christ, actualise et rend présent le salut (Vat. II, Lumen Gentium 9). L’Eglise est la maison et le peuple de Dieu, le corps du Christ et le temple de l’Esprit-Saint. A chacun, les dons de l’Esprit sont distribués pour qu’ils soient utiles aux autres et qu’ainsi s’édifie, dans l’amour, le corps entier du Christ, l’Eglise (1 Cor. 12, 7 ; Eph. 4, 16).

Ainsi les parents de Robert Sarah se soumirent-ils, par amour pour leur fils, à la volonté de Dieu ; ils acceptèrent de le voir servir comme prêtre le Royaume de Dieu, précisément dans l’état de vie du célibat pour le Royaume des Cieux (Mt 19, 12 ; 1 Cor 7, 32). Seul l’homme spirituel comprend le célibat sacerdotal. Pour la pensée mondaine et sécularisée, c’est une relique d’une époque où les croyants misaient tout sur Dieu. Pour l’hédonisme ce n’est qu’un objet d’aversion. Il est constamment mal interprété et suspect, dénigré par ceux qui ne peuvent concevoir le sacerdoce catholique que dans les catégories mondaines d’un fonctionnaire du culte, d’un travailleur social ou d’un conseiller moral, revêtant à l’occasion des vêtements bizarres.

NDR:

(*) Ceci serait peut-être à nuancer, comme le souligne justement mon amie Monique, qui remarque que "c'est grâce à cette colonisation que Robert Sarah a atteint son haut degré de culture et qu'il a pu côtoyer des missionnaires qui lui ont transmis leur foi", ajoutant que "le Cardinal Sarah, dans son livre, ne condamne nulle part ni la colonisation française ni ses méthodes d'enseignement".
Elle se souvient à ce propos de la rédaction d'un élève de SIXIÈME, conservée par une personne qui était professeur de français dans un lycée de Haute-Volta (Burkina Faso) au milieu des années cinquante (voir ici: benoit-et-moi.fr/2014-I/actualites/lecole-de-la-reussite)

à suivre...