François en guerre avec le Vatican

C'est le diagnostic de Damian Thompson après le discours radical sur la synodalité prononcé par le Pape samedi dernier pour le 50e anniversaire de l'institution des synodes

>>> Discours pour le cinquantenaire de l’introduction des Synodes (en italien, à ce jour)

 

Il est important de noter que cette analyse, faite "à chaud" est du fait d'un catholique qu'on ne peut certes pas qualifier de "progressiste", mais pas non plus de "tradi" rétrograde, encore moins de bergogliophobe primaire. Son regard est donc plutôt équilibré.

Le Pape François est maintenant vraiment en guerre avec le Vatican.
S'il l'emporte, l'Église Catholique peut s'effondrer

Damian Thompson
blogs.new.spectator.co.uk/
18 octobre 2015
Traduction par Anna

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Le Pape a prononcé hier un discours à un Synode sur la Famille profondément divisé où il a confirmé ses projets de décentralisation de l'Église Catholique, donnant plus de liberté aux conférence épiscopales locales pour élaborer leurs propres solutions aux problèmes du divorce et de l'homosexualité.


C'est le cauchemar des cardinaux catholiques conservateurs y compris – ce n'est pas une surprise - ceux du Vatican. Ils croyaient avoir une majorité suffisante au Synode pour empêcher la levée de l'interdiction à la réception de la communion par les divorcés remariés, ou quelque assouplissement dans l’attitude de l'Église envers les couples gay.

Mais dans le discours-programme d'hier, prononcé alors que le synode entre dans sa dernière semaine, François leur a annoncé que la décentralisation sera imposée par le haut.

Se référant délibérément à lui-même comme l'"Évêque de Rome", pour souligner sa solidarité avec les évêques locaux du monde entier (par opposition à la Curie Romaine, c'est à dire "le Vatican"), il a invoqué le pouvoir du Souverain Pontife de passer outre les simples cardinaux. "Le parcours du synode culmine dans l'écoute de l'Évêque de Rome, appelé à parler avec autorité comme Pasteur et Maître de tous les Chrétiens", a-t-il dit. C'est un langage plus autoritaire que celui que je me souviens avoir été utilisé par Benoît XVI en tant que pape. Cela signifie: C'est moi qui décide. À la fin, vous m'écoutez, et non le contraire.

Une affirmation a en particulier horrifié les conservateurs. François leur a dit que "le sens de la foi empêche une séparation rigide entre l'Église qui enseigne et l'Église qui apprend, car le troupeau possède son propre "sens" pour discerner les nouvelles voies que le Seigneur révèle à l'Eglise…". Ce qui revient à dire qu'il nous faudra attendre jusqu'à ce que le Pape donne la réponse finale au synode l'an prochain.

C'est un développement si étonnant qu’il mérite une analyse plus complète une fois le synode terminé. J'allais dire "dès que les choses se seront calmées", mais je ne m'attends pas à ce que les choses se calment dans un futur proche, au moins jusqu'à après le prochain conclave, dont beaucoup de catholiques conservateurs souhaitent qu’il ait lieu le plus tôt possible.

Voici pourquoi je crois que la décentralisation de François ne marchera pas.

1. C'est le synode où l'Église africaine a montré sa force. Et elle est très conservatrice. Le Cardinal Robert Sarah, de Guinée, a déclaré que le lobby gay est une menace pour la Chrétienté autant que l'ISIS. Sarah est Préfet de la Congrégation pour le Culte Divin et donc un des premiers cardinaux de la Curie. Mais dans son "intervention" il a voulu nous faire comprendre qu'il parlait au nom de 200 millions de catholiques africains. S'il les représente effectivement, c'est une question d'opinion, mais je doute que beaucoup d'entre eux seraient e, désaccord avec la diabolisation (littérale) de l'homosexualité de la part du cardinal. Nota Bene: Sarah et les autre cardinaux africains ne disent pas "Nous n'accepterons jamais la communion pour les divorcés remariés, etc., mais dans la mesure où vous nous laissez tranquilles, les diocèses occidentaux peuvent faire ce qu'il leur plaît". Ils affirment que les interdictions existantes doivent s'appliquer à toute l'Église Catholique. Sarah considère comme hérétique la proposition du cardinal Kasper de permettre aux évêques locaux (c'est à dire, en pratique, aux prêtres locaux et probablement aux divorcés eux-mêmes) de décider s'ils peuvent recevoir le sacrement.

2. Les Pères Synodaux les plus libéraux, sentant que le Pape François utilisera la carte maîtresse papale en leur faveur, ont tous endossé une version du plan Kasper, et peuvent bientôt permettre aux prêtres de le mettre en pratique. L'Archevêque Blaise Cupich de Chicago (désigné par François et qui sera bientôt cardinal) a donné une conférence de presse vendredi où il a dit ce qui suit au sujet des divorcés et remariés civilement: "[Les gens doivent] parvenir à une décision en bonne conscience… La conscience est inviolable et nous devons la respecter en prenant des décisions et c'est ce que j'ai toujours fait". S'il entend par cela que les catholiques divorcés peuvent décider par eux-mêmes "en bonne conscience" au sujet de la réception du sacrement, cela le met en contradiction avec le Cardinal Timothy Dolan de New York, un des signataires d'une lettre, signée aussi par d'autres hauts cardinaux du Vatican, avertissant le Pape que ce synode pourrait faire éclater l'Église. De toutes les routes vers le schisme, la plus rapide est de se quereller publiquement sur la Sainte Communion.

3. De nombreux catholiques conservateurs ne font plus confiance au Pape François, et le nombre de ceux qui n'ont pas confiance en lui s'est énormément accru depuis le début en octobre dernier du processus synodal, qu'il a selon moi très mal géré. Les prêtres et les catholiques laïques qui initialement aimaient l'homme, ne serait-ce que pour son style liturgique, et qui pensaient qu'il était fondamentalement conservateur malgré ses commentaires inopinés du genre "qui suis-je pour juger?", croient maintenant qu'il menace l'unité de l'Eglise. Certains libéraux conviennent que la désunion est inévitable mais pensent que l'Esprit Saint l'a déjà prise en compte: les Africains finiront par partager leurs propres élans compatissants vers les Catholiques qui ont été forcés par le tumulte de la vie moderne à contourner l'enseignement de l'église en matière de comportement sexuel. En d’autres termes, ils espèrent en un miracle. Entre-temps, ils sont devenus les nouveau ultramontains.

4. Ce que le Pape entend quand il parle de "synodalité" n'est pas complètement clair, mais il est certain que cela n'implique pas le renforcement de la curie. En rejetant une lettre des préfets de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, de la Congrégation pour le Culte Divin et du Secrétariat pour l'Économie, il s'est distancié du Vatican. Il peut ne pas avoir décampé pour Avignon, mais son refus de vivre dans les appartements papaux semble de jour en jour plus significatif. Il a entrepris un combat avec le Vatican, et c'est quelque chose que les papes font à leurs risques et périls. Les Cardinaux Müller, Sarah et Pell (et d'autres cardinaux importants trop nerveuxeux pour signer la lettre) considèrent la curie comme la gardienne du Magistère, le dépôt de la foi. C'était pour préserver ce dépôt que Saint Jean-Paul II a centralisé l'église. Les conservateurs interprètent le discours de dimanche de François comme un manifeste pour renverser le processus et, à un niveau plus profond, marginaliser l'héritage de Jean-Paul II qui contient un enseignement difficilement conciliable avec l'agenda de l'actuel pape. D'après eux, François s'attaque au plus grand pape de l'histoire moderne, qui, maintenant qu'il est canonisé, est reconnu comme une présence surnaturelle dans la vie de l'église. Il peut même essayer de changer la nature même de la papauté, et ce pendant que son prédécesseur est encore vivant, lequel doit de demander si Dieu voulait vraiment qu'il démissionne.

Il y a d'autres choses à dire sur l'effet que la tentative de révolution de François a sur les divisions séculières et religieuses qui s'amplifient, en dehors de l'église, partout dans le monde. Mais c'est pour une autre fois. Ma dernière remarque est que si le Pape veut apporter des changements profonds à la pratique pastorale, et même à la doctrine, il y a des façons plus intelligentes pour y parvenir que de tenir un synode catastrophiquement divisé laissant ensuite entendre que de toute façon il a l'intention de faire à sa manière.