Divorcés-remariés: Pourquoi tant d'acharnement?
Une réflexion de François H. En niant un seul dogme, les kaspériens remettent en cause toute l'autorité de la Révélation
>>> Précédent article de François H sur mon site: Une Eglise obsedée par le mariage et la famille?
>>> Et, du même: Divorcés remariés: de quoi est-il question?
La communion aux divorcés-remariés : pourquoi tant d’acharnement ?
François H
15 octobre 2015
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Comme cela était malheureusement prévisible, le second synode sur la famille a de nouveau focalisé son attention sur la question de l’accès des divorcés-remariés à la sainte communion, parfois jusqu’à des extrémités ou le ridicule le dispute à l’ignoble (1). Les défenseurs de la doctrine traditionnelle l’ont dit, ils l’ont répété de toutes les manières possibles et imaginables, il s’agit d’une question déjà tranchée par le Magistère de l’Eglise et d’un enseignement irréformable : rien n’y a fait. Alors même que les propositions du cardinal Kasper, sans même parler de celles plus caricaturales encore d’un Mgr Bonny ou d’un Mgr Vesco (ndr : évêque d’Oran), ont prouvé leur inconsistance théologique par leur absence totale de fondements scripturaires ou traditionnels, qui les rendent insoutenable dès lors que l’on se place du point de vue de la Révélation et de la foi, ces propositions sont remises en avant avec une constance ou plutôt avec un acharnement qui ne peut inspirer que la plus profonde perplexité.
Une question se pose en effet : mais pourquoi tant d’obstination à avancer des propositions qui contredisent l’enseignement du Christ et de son Eglise, alors que malgré des souffrances qui peuvent certes être réelle, le problème pastoral que posent les divorcés-remariés semble très circonscrit ?
Je hasarderai ici une réponse : ce n’est pas malgré leur incompatibilité avec l’enseignement de l’Eglise mais à cause de cette incompatibilité que les thèses des novateurs sont proposées et reproposées avec tant d’acharnement.
On aurait tort de sous-estimer l’intelligence du cardinal Kasper. Celui-ci a étudié l’enseignement de l’Eglise. Il connaît l’Ecriture sainte, les décrets des conciles, les encycliques des papes. Qu’il les ait lus probablement avec le regard biaisé d’une certaine théologie allemande qui a depuis longtemps substitué aux critères de la science théologique ceux d’une philosophie religieuse teintée d’idéalisme historiciste (2) n’y change rien : le cardinal Kasper connaît ces textes. Il ne peut pas ignorer ce que Notre-Seigneur a déclaré quant à l’indissolubilité du mariage ; ce que saint Paul a enseigné sur le mariage comme sacrement de l’union du Christ et de son Eglise. Il ne peut pas davantage ignorer que le concile de Trente a défini l’indissolubilité du mariage et l’a ainsi proposée comme enseignement irréformable ; ni de l’autre côté ce que saint Paul déclare quant aux communions sacrilèges et ce que l’Eglise enseigne sur la nécessité d’être en état de grâce pour recevoir la sainte communion. Ce serait lui faire insulte et mépriser toute forme de vraisemblance.
Alors pourquoi s’acharne-t-il à maintenir une thèse manifestement contraire à la foi catholique ?
Précisément : parce qu’elle est contraire à la foi catholique. Le cardinal Kasper sait pertinemment que le premier concile du Vatican a déclaré que pour avoir la foi catholique, il faut « croire d'une foi divine et catholique tout ce qui est contenu dans les saintes Ecritures et dans la tradition, et tout ce qui est proposé par l'Eglise comme vérité divinement révélée » (Constitution Dei Filius, chap. III). En effet, le même concile enseigne que la foi est la vertu surnaturelle par laquelle nous croyons vraies les choses révélées à cause de l’autorité de Dieu qui nous les révèle et ne peut ni se tromper ni nous tromper (ibid.). En d’autres termes, la vertu de foi, fondée sur l’autorité de Dieu révélant, exige l’adhésion de l’intelligence et du cœur à tous les dogmes enseignés par l’Eglise comme faisant partie de la Révélation. D’où il suit que pour perdre la foi catholique, c’est-à-dire la foi surnaturelle, il suffit de nier avec pertinacité un seul dogme. En effet, celui qui nie ainsi un dogme ne nie pas seulement pour ainsi dire le contenu propre de ce dogme, mais, plus profondément, l’autorité divine qui fonde toute la Révélation : celui qui nie un dogme de foi catholique nie en réalité tous les dogmes, c’est toute la Révélation qu’il rejette : en effet, s’il peut continuer à croire les autres vérités révélées, il n’y adhère plus en vertu de l’autorité surnaturelle de Dieu, mais par une simple foi humaine, par une foi qui ne sauve pas. C’est la raison des fameux anathema sit qui introduisent les canons de conciles comme Trente ou Vatican I.
Tout cela, le cardinal Kasper le sait très bien ; il n’est tout simplement pas possible qu’il l’ignore.
Or on sait aussi que le même cardinal Kasper, ancien assistant de Hans Küng à l’université de Tubingen, a professé un certain nombre de thèses dont c’est peu dire qu’elles s’écartent radicalement de l’enseignement de l’Eglise, voire parfois du plus simple christianisme (3). On peut citer par exemple la négation de la transcendance et de l’immuabilité de Dieu (4), le rejet des miracles relatés dans l’Evangile (5), et plus largement la relativisation de tout le dogme christologique (6). Quoiqu’on ne puisse exclure, certes, que le cardinal soit revenu avec le temps à des positions moins directement contraires à la foi, on ne peut pas davantage exclure, dans la mesure où l’on ne sait pas que Walter Kasper se soit rétracté, qu’il ait en ait conservé tout ou partie, bien qu’avec davantage de discrétion.
En un mot, il n’est pas du tout invraisemblable que l’idée de nier directement un enseignement irréformable, un enseignement de foi, ne l’émeuve pas outre mesure. Bien plus : il n’est pas non plus invraisemblable, puisqu’il y a bien longtemps qu’il a montré le peu de cas qu’il fait de l’enseignement du Christ et de son Eglise, qu’il cherche en réalité le moyen non pas d’imposer une opinion particulière sur un point périphérique, mais de faire sauter l’ensemble d’un enseignement qu’il rejette de longue date.
Depuis que l’on sait qu’un groupe de prélats, sous les pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI, ne rougissait pas de se considérer comme une « mafia » prête à tout pour imposer ses vues novatrices à l’Eglise universelle, il me semble que cette hypothèse bénéficie d’une certaine crédibilité. Le cardinal Kasper et les autres têtes pensantes des novateurs ne peuvent tout simplement pas l’ignorer : leurs propositions conduiront, si on les adopte, à réviser un enseignement irréformable, donc à balayer tout uniment l’infaillibilité de l’Eglise. Le choix des divorcés-remariés ne me semble pas relever du hasard. Le sujet a l’avantage d’être compassionnel, de pouvoir faire passer les tenants de la Tradition pour des cœurs durs, insensibles, sans miséricorde ; d’un autre côté, il semble ne concerner directement qu’un nombre très réduit de fidèles – les divorcés-remariés pratiquants et désireux de recevoir la sainte communion – ce qui permet de rassurer les éventuels conservateurs inquiets en leur disant que de toute manière, cette réforme ne les concerne pas et ne changera rien à leur vie chrétienne. En somme, la question a le triple avantage de relativiser ou nier un ou plusieurs points de foi (l’indissolubilité du mariage, la nécessité du ferme propos, la nécessité de l’état de grâce pour communier), d’avoir une forte dimension compassionnelle et de rester en même temps pour ainsi dire périphérique ; les deux derniers points permettant de faire passer le premier qui est le grand, le véritable enjeu pour des novateurs qu’il ne faut pas prendre pour des ignorants ou pour des imbéciles.
En effet, si par impossible le synode ou le pape, qui ne pose probablement pas la question dans les mêmes termes qu’eux, en venaient à approuver leurs propositions, ce ne serait pas seulement, comme on l’a vu, la doctrine sur quelques points particuliers de l’enseignement de l’Eglise qui serait niée, mais l’infaillibilité de l’Eglise et l’autorité de la Révélation. Ce n’est pas seulement que réformer la doctrine sur ce point précis créerait un précédent fâcheux : c’est en réalité que par le fait même, tous les dogmes de la foi, toute l’autorité de l’Eglise, toute la Révélation seraient réduits à néant. On pourrait conserver encore tel ou tel article de foi, pour des raisons pastorales ; en fait, on aurait déjà renversé de fond en comble toute la foi catholique, et on ne tiendrait plus telle ou telle vérité que d’une manière accidentelle, ou du moins toute naturelle. De même on pourra faire passer tout d’abord le changement pour une réforme purement disciplinaire : il n’en restera pas moins qu’on aura, de fait, déjà nié toute la foi catholique et anéanti dans la vie de l’Eglise l’autorité de la Révélation ; en sorte que de l’Ecriture ou de la Tradition il ne restera qu’une pieuse écorce dont on couvrira des développements radicalement hétérogènes à l’enseignement du Christ (7).
Pourquoi tant d’insistance et tant d’obstination sur un point qui à première vue peut sembler secondaire ? Parce que les têtes pensantes du kaspérisme n’ont probablement pas en vue ce point précis, mais l’autorité d’une Révélation qu’ils rejettent depuis longtemps. Ce n’est pas une sollicitude pastorale mal comprise pour des fidèles en désarroi qui motive les partisans les plus décidés des nouveautés : c’est une volonté résolue d’établir, au lieu de l’Eglise catholique instituée par Jésus-Christ, cette « certaine sorte d’Eglise » dont rêverait un cardinal Danneels (8).
(1) On pense par exemple à cet exemple ahurissant relevé par Yves Daoudal: yvesdaoudal.hautetfort.com/archive/2015/10/15/insupportable-5700468.html
(2) disputationes.over-blog.com/2015/08/le-fond-inquietant-de-la-proposition-kasperienne.html
(3) www.dici.org/documents/annexe-la-nouvelle-pastorale-du-mariage-selon-le-cardinal-kasper/
(4) « Ce Dieu qui trône comme un être immuable au-dessus du monde et de l’histoire, est une provocation pour l’homme. Pour l’amour de l’homme il faut le nier, car il revendique pour lui-même la dignité et l’honneur qui sont dus à l’homme. […] Il faut se défendre contre un tel Dieu, non seulement pour l’amour de l’homme, mais aussi pour l’amour de Dieu. Celui-là n’est pas le vrai Dieu, mais une idole misérable. Un Dieu, en effet, qui n’est qu’à côté et au-dessus de l’histoire, qui n’est pas lui-même histoire, est un Dieu limité. Si l’on désigne un tel être comme Dieu, alors on doit, par amour pour l’Absolu, devenir athée. Un tel Dieu correspond à une vision fixiste du monde ; il est le garant des choses établies et l’ennemi des nouveautés. » (Gott in der Geschichte, 1967)
(5) « Les miracles touchant aux natures physiques s’avèrent justement comme des ajouts ultérieurs à la tradition originelle. » (Jesus der Christus, 7e édition, 1978)
(6) « D’après les évangiles synoptiques le Christ ne se désigne jamais lui-même comme fils de Dieu. Ceci montre indubitablement que l’affirmation de sa filiation divine est née de la foi de l’Eglise. » (ibid.) Les références complètes de ces citations se trouvent dans l’article de DICI donné en lien.
(7) C’est ainsi que le P. Garrigou-Lagrange O.P. envisageait les conséquences de l’erreur dite semi-rationaliste du théologien allemand Guenther, condamnée par le premier concile du Vatican ; mais l’on pourrait en dire autant des thèses du cardinal Kasper : « On voit dès lors l'erreur énorme dans laquelle est tombé Guenther, au XIXe siècle, lorsque, en s'inspirant de la philosophie de Kant et de celle de Hegel, il enseigna que les définitions de l'Église n'ont qu'une infaillibilité provisoire relative à l'état de la science et de la philosophie au moment de la définition. C'était là une erreur plus grave qu'une hérésie particulière, car elle portait, non seulement sur un ou plusieurs dogmes, mais sur tous, et conduisait finalement au rationalisme même, sous une de ses formes les plus inconsistantes. Il n'y avait plus aucune vérité immuable. Guenther dans son semi-rationalisme relativiste, en vint à nier, l'ordre des mystères surnaturels qu'il voulait réduire à l'ordre des vérités philosophiques. La théologie était réduite à des essais philosophiques toujours provisoires, essais enveloppés d'une écorce historique relative à Abraham, aux Prophètes, à Jésus et aux Apôtres. » (La synthèse thomiste, Desclée, 1950, Appendice, chapitre I)
(8) leblogdejeannesmits.blogspot.fr/2015/09/le-cardinal-danneels-et-la-mafia-de.html