"Les valeurs différentes de François"

Litote masquant (à peine!) les critiques de Riccardo Cascioli analysant les propos du Pape aux Etats-Unis

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Un reste de loyauté de Riccardo Cascioli à la papauté quel que soit le Pape, et sans doute aussi les contraintes liés à son lectorat et surtout à certains de ses collègues de la Bussola (notamment l'ultra bergoglien Massimo Introvigne), dont il est le directeur, lui imposent une réserve compréhensible, et expliquent le ton très mesuré qu'il s'impose. Mais la réprobation est bien réelle, et la critique d'autant plus significative qu'elle s'exprime (encore) de façon relativement neutre, en tout cas dépassionnée.

Les valeurs différentes de François

Riccardo Cascioli
26/09/2015
lanuovabq.it
Ma traduction

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Chacun va sans doute donner des jugements variées, mais sur une chose, il est difficile de ne pas être d'accord: le contenu et l'approche montrés par François dans la première partie de la visite aux États-Unis sont résolument originaux. Rencontrant le président Obama, devant le Congrès des États-Unis, et lors de l'intervention devant l'Assemblée générale des Nations Unies, il n'a pas choisi un argument de réflexion à partir duquel tirer un certain nombre d'applications pratiques (le présentateur de TV2000 - la chaîne de la CEI, ndt - lui-même, confessait ne pas réussir à trouver une clé de lecture pour le long discours à l'ONU). Il a en revanche aligné une série de problèmes pour lesquels il a indiqué une route à suivre et a appelé à un engagement ferme. Sur certains de ces problèmes, il y a sans doute eu une plus grande insistance, des arguments particulièrement chers au pape - l'immigration et l'environnement en premier lieu, y compris avec des nouveautés qui seront reprises (ici?) dans les prochains jours - mais il en a abordé beaucoup d'autres: la pauvreté, la liberté d'enseignement, la liberté religieuse, la paix, la justice, la vie, la famille.

A ce propos de ces dernières, il est intéressant de noter comment il les a traitées, évitant d'entrer dans des exemplifications qui auraient pu créer des réactions négatives.
Par exemple, parlant au Congrès de respect du droit à la vie, il s'est arrêté sur la demande d'abolition de la peine de mort. Sujet certes sensible aux États-Unis, où, pour des motifs historiques et culturels, une large proportion de catholiques y sont favorables, mais il a soigneusement évité de parler d'avortement, même s'il y a en ce moment au Congrès une véritable bataille sur les fonds destinés aux cliniques abortistes de Planned Parenthood après l'explosion du scandale de la vente d'organes de fœtus avortés. Et malgré que l'administration Obama soit le principal sponsor du droit universel à l'avortement. Même chose à l'ONU, même si ses agences sont les principaux responsables de la «colonisation idéologique» que François a dénoncée à plusieurs reprises, en référence à la définition de la famille.

À ce propos, le Pape a rappelé la centralité de la famille mais presque incidemment, sans jamais enfoncer le clou comme c'est arrivé en revanche sur d'autres questions.
A l'ONU, il a qualifié la famille de «cellule de base de tout développement social», il a rappelé que dans la nature il y a aussi la distinction entre l'homme et la femme, mais il n'a même pas prononcé le mot gender, ni fait aucune référence au fait que justement à l'ONU et à la Maison Blanche dominent les forces qui imposent une révolution anthropologique au monde entier.

Certes, il sera beaucoup plus explicite à la Rencontre mondiale des familles (?), mais il est clair que pour affronter les grands de ce monde sur ces questions très sensibles, la ligne choisie est celle du ton soft, de dire sans avoir l'air de le faire, et pointer davantage sur les gestes que sur les mots. Et il voudrait que les évêques américains eux aussi fassent de même. Il est intéressant de ce point de vue de lire conjointement les deux discours adressés respectivement au président Obama et aux évêques.

Depuis quelque temps, il y a un dur affrontement entre la Maison Blanche et l'Eglise catholique américaine sur la question de la liberté religieuse, à cause de la tentative d'Obama d'imposer l'avortement et la contraception sans respecter l'objection de conscience (voir la réforme des soins de santé). C'est un conflit qui est déjà allé au tribunal et il est en plein dans l'actualité (il est significatif que dans un «hors-programme» le pape ait rendu visite aux sœurs qui ont poursuivi Obama). Eh bien, dans son discours au président, François a bien abordé la question de la liberté religieuse, mais sans trop s'y arrêter; mais ensuite il a admonesté les évêques, les exhortant à ne pas faire de la croix un «signe de lutte mondaine». Là encore, il n'est pas entré dans les détails, mais tout le monde a compris le message: même s'il les avait remerciés pour leur engagement en faveur de la vie et de la famille, il les a également invités à plusieurs reprises à la modalités du dialogue, et il a également dit que la tâche du pasteur n'est pas de «prêcher des doctrines complexes, mais l'annonce joyeuse du Christ, mort et ressuscité pour nous».

C'est là un passage-clé qui peut se prêter à des interprétations différentes. Toutefois, il est tout à fait improbable qu'en parlant de «doctrines complexes» il faisait référence au dogme de la Trinité ou de la virginité de Marie, questions qui ne sont pas faciles à expliquer. On pense plus spontanément qu'il s'agit de la répétition d'un jugement donné à plusieurs reprises au cours des années de son pontificat, à savoir la nécessité de se concentrer sur l'annonce simple du Christ et non sur les conséquences morales, sur les valeurs. Ce n'est pas pour rien que le terme «principes non négociables» a disparu dans ce pontificat.

Reste toutefois que dans les discours au Congrès et à l'ONU, le pape a semble-t-il contredit cette mise en garde: aucune référence au Jésus-Christ ou aux Ecritures, mais de nombreuses questions «politiques», de nombreuses conséquences morales. D'un autre signe, cependant: les pauvres, les immigrants, l'environnement. Peut-être un moyen plus facile pour s'ouvrir la route dans le cœur des gens et aussi des leaders politiques. Peut-être.
Mais certainement «l'annonce joyeuse du Christ, est mort et ressuscité pour nous» est une question qui mérite des explications supplémentaires.