"Je suis disposé à réciter le credo"

Dans le prolongement de l'interrogation-provocation de Newsweek "Le Pape est-il catholique?", Roberto de Mattei, analysant le voyage à Cuba, dit l'inquiétude que lui inspire l'incroyable (mais peu médiatisée!) réponse du Pape à la question d'un journaliste dans l'avion entre Santiago et Wahington (27/9/2015, mise à jour ultérieure)

 

La conversation entre le Pape et les journalistes le 22 septembre dernier dans l'avion qui l'emmenait de Santiago de Cuba à Washington figure à ce jour sur le site du Vatican en italien (version originale), mais n'a pas encore été traduite en français.
Je m'étais basée sur des transcriptions officieuses en anglais (CNA) et en italien (Tornielli) pour citer les passages les plus saillants (Ce qu'a dit le Pape dans l'avion de Cuba aux USA).
Il y a une traduction en français, très fidèle, si on se réfère à la vidéo ci-dessous) sur Zenit.
J'en extrais cet échange proprement stupéfiant, et pourtant passé sous silence tant par les médias laïcistes (comme leur discours était écrit d'avance, ils ne se sont pas vraiment donnés la peine d'entrer dans les détails, et ils sont passés à côté de quelque chose d'énorme! [(*)]) que par ceux catholiques - chose plus étonnante, mais pas tant que cela, si on pense au caractère dérangeant de la réponse papale et à la situation de déni où ils se sont eux-mêmes enfermés.

Question de Gianguido Vecchi (Corriere della Sera): Sainteté, vos dénonciations sur l’iniquité du système économique mondial, le risque d’autodestruction de la planète, le trafic des armes… dérangent, car elles touchent à des intérêts très forts. À la veille de ce voyage, certains secteurs de la société américaine – et c’est repris par de grands médias – se demandent si le pape est catholique… On avait déjà entendu parler du « pape communiste »… Qu’en pensez-vous ?

Pape François — Un cardinal ami m’a raconté qu’une dame est allée le voir, très préoccupée : très catholique, un peu rigide, la dame, mais bonne, bonne : catholique (!!!)… Et elle lui a demandé s’il était vrai que, dans la Bible, on parlait d’un antéchrist. Et il lui a expliqué. « C’est aussi dans l’Apocalypse, non ? » et puis, s’il était vrai qu’on parlait d’un antipape, parce que l’antéchrist, l’antipape… « Mais pourquoi me posez-vous cette question ? a demandé le cardinal. — Mais parce que je suis sûre que le pape François est l’antipape. — Et pourquoi ? lui demande-t-il, pourquoi avez-vous cette idée ? — Eh bien ! parce qu’il ne porte pas les chaussures rouges ! » Tel quel, historique!… Les raisons de penser que quelqu’un est communiste, n’est pas communiste…
Je suis certain que je n’ai rien dit de plus que ce qui est dans la doctrine sociale de l’Église. Sur l’autre vol, une de vos collègues, je ne sais pas si elle est ici, qu’elle me corrige – m’a dit, quand je suis allé parler aux Mouvements populaires, elle m’a dit : « Vous avez tendu la main à ce mouvement populaire – c’était plus ou moins cela. Mais l’Église, est-ce qu’elle vous suivra, vous ? » Et moi, j’ai dit : « L’Église, c’est moi qui la suis. » Et sur ce point, je crois ne pas me tromper, je crois n’avoir rien dit qui ne soit dans la doctrine sociale de l’Église. On peut expliquer les choses. Une explication a peut-être donné une impression d’être un tout petit peu plus « à gauche », mais ce serait une erreur d’explication. Non. Ma doctrine, sur tout cela, dans l’encylique Laudato si’, sur l’impérialisme économique et tout cela, est celle de la doctrine sociale de l’Église. Et s’il est nécessaire que je récite le « Credo », je suis disposé à le faire !

François à Cuba:
Entretien avec Roberto de Mattei

www.corrispondenzaromana.it
Ma traduction

* * *

Une rencontre avec Fidel Castro, mais pas de rencontre avec les dissidents cubains. C'est autour de ces deux éléments que tourne l'analyse de Roberto de Mattei, - historien, président de la Fondation Lépante, collaborateur de nombreux sites internationaux sur les thématiques catholiques - sur le voyage de François à Cuba et aux États-Unis, dans un entretien avec Intelligonews.


- La sensation diffuse, si l'on se fonde aussi sur la couverture de Newsweek, est que lors de son voyage entre Cuba et les États-Unis, le Pape a dû expliquer sa catholicité. Pourquoi, selon vous?

« Le fait que l'un des principaux hebdomadaires internationaux, Newsweek, ait été jusqu'à mettre en doute la catholicité du pape, me semble inquiétant. Indépendamment de la réaction du pape, ce fait en lui-même me semble extraordinairement inquiétant».

- Mais pourquoi a-t-il dû dire d'un côté "je ne suis pas communiste", répondant aux critiques des républicains américains, et de l'autre "je ne suis pas l'anti-pape" répondant aux critiques des catholiques conservateurs? Qu'y a-t-il derrière tout cela?

« Il y a eu le voyage à Cuba, parce que, dans chaque voyage, ce qui a plus d'impact dans l'opinion publique, ce ne sont pas tant les discours que les images qui sont véhiculées. Il y a eu au moins deux épisodes qui ont particulièrement impressionné. Le premier est la rencontre de François avec Fidel Castro; un événement à mon avis, extrêmement préoccupant, parce que Fidel Castro n'est pas un leader post-communiste comme il y en a tant en Europe, mais c'est un dictateur - bien que désormais au repos - qui a toujours revendiqué son appartenance à la famille communiste. Il a été un dictateur sanguinaire que le pape a rencontré sans exprimer aucune critique et aucune réserve à son encontre. Ajoutons à cela le fait que Raul Castro, dans son discours, a répété qu'une des priorités du régime consiste a préserver le socialisme; ainsi la Cuba actuelle est une expression du socialisme réel».

- Et le deuxième élément?

« Il est représenté par le fait que lors de sa visite le pape a ignoré les dissidents cubains. Ce n'est pas par hasard qu'il y a eu beaucoup de questions des journalistes; franchement, cela m'a paru un peu naïf de dire "je n'ai aps de nouvelles d'arrestations". Tout le monde, au contraire, sait que par exemple la dissidente Marta Beatriz Roque a été empêchée de se rendre à la Nonciature et qu'il y a eu de nombreuses arrestations. Deux éléments qui, je crois, ont pesé sur le voyage à Cuba. Du reste, ce type de questions, directes, brutales, adressées au pape par les journalistes américains parmi lesquels il y a une plus grande ouverture et une plus grande liberté d'expression que chez les vaticanistes européens est significatif (ndt: mais la question la plus provocatrice a été posée par Gianguido Vecchi, le vaticaniste du Corriere delle sera): François y a répondu, bien que je ne pense pas qu'il l'ait fait de manière satisfaisante. Mon impression d'ensemble de ce voyage est qu'il est éminemment politique, plutôt qu'un voyage pastoral».

- Pouquoi l'appelez-vous un voyage politique?

« Cela signifie que le pape, avant de le faire comme chef de l'Eglise, agit en tant que leader politique, et pour autant que le pape ait condamné les idéologies, l'action politique de tout chef d'Etat ou homme politique - même quand il se présente comme un pragmatique - est toujours une expression d'une idéologie, que ce soit directement ou indirectement. De ce point de vue, l'empreinte politique du péronisme marque profondément le voyage à Cuba et aux États-Unis. En ce sens, je crois qu'on peut parler de voyage politique: dans les rencontres, dans les discours, la priorité est accordée aux questions de caractère politique et social plus que strictement religieux, et la solution est donnée dans une optique que nous pourrions qualifier - au sens large - de péroniste».

- Et sur l'anti-pape?

« Cela m'a semblé une provocation, tout comme la couverture de Newsweek, où l'on se demande si le pape est encore catholique, est une provocation. Si on est pape, on ne peut être que catholique et on ne peut pas être anti-pape, mais la réaction de François quand il dit "si vous voulez, je vous récite le Credo", ne répond pas aux problèmes que la question, bien que provocatrice, soulève implicitement».

- Existe-t-il un pape "perçu"? Selon vous, quel est-il?

« Qu'il y ait un pape perçu ne fait aucun doute. Mais la perception qu'en donne le monde politico-médiatique est différente de celle du peuple catholique. Selon les données officielles de la Préfecture Pontificale, il se produirait - par rapport au pontificat de Benoît XVI - un effondrement exponentiel de la présence aux audiences à Saint-Pierre, alors que le consensus des médias semble augmenter. C'est un phénomène paradoxal pour un pape qui dit s'adresser au monde des périphéries; en réalité, comme on le voit aussi dans ce voyage, il reçoit l'hommage de ce monde des puissants dans le domaine de la politique, des médias, de l'establishment culturel, alors que le consensus qu'il reçoit de la base du peuple catholique semble s'effriter. Sous cet aspect, la question que se pose Newsweek est provocatrice, et pourtant on peut y lire une certaine satisfaction du monde séculariste pour cette disparition d'une identité profondément catholique et en même temps, elle exprime l'insatisfaction de la base du peuple catholique pro-vie et pro-famille américain. Nous verrons si lors de sa visite aux États-Unis (l'interview a été réalisée juste avant, ndt), le pape dira des paroles rassurantes à ce monde ou si les éléments d'insatisfaction augmenteront. Nous ne pourrons l'évaluer qu'à la fin».

Mise à jour

[*] Je précise ma pensée, comme on me l'a suggéré: c'est en effet énorme (et non pas "grandiose" comme je l'avais écrit improprement dans un premier temps) que le Pape en personne doive proposer de réciter le credo pour justifier qu'il est catholique: une situation impensable sous les pontificats précédents, au moins récents, et qui prouve que nous connaissons des temps et des situations totalement anormaux!