Mgr Negri écrit aux catholiques

Il est probable que le livre qui sort ces jours-ci en Italie ne sera jamais traduit en français, mais les problèmes qu'il aborde de façon très "biffienne", et qui sont évoqués ici n'en sont pas moins intéressants pour nous, en ce qu'ils sont révélateurs de l'inquiétude qui grandit dans un certaine frange de l'Eglise

>>> Luigi Negri, Il cammino della Chiesa. Fondamenti, storia & problemi, Editions Ares 2015

 

Bien entendu, la situation de l'Eglise qui est décrite ici est bien antérieure à l'avènement de François, dont le nom n'est du reste pas cité (il y a juste une allusion au "magistère récent des Papes", une formulation générique prudente...), et il n'est pas question de lui en imputer la seule responsabilité.
Mais c'est bien aujourd'hui que Mgr Negri lance son cri d'alarme, et on imagine mal qu'il aurait pu écrire ce livre sous Benoît XVI...
On peut en effet douter que le Pape actuel souhaite redresser la barre: son attitude ambigüe vis-à-vis des médias, sa préférence pour une Eglise "moins interventioniste", son choix assumé de confier directement aux épiscopats locaux le dialogue avec le monde ("La politique, c'est votre affaire", avait-il lancé aux évêques italiens le 23 mai 2013 cf. benoit-et-moi.fr/2013-II/articles/un-pape-moins-interventioniste), indiquent clairement que ce n'est pas sous son Pontificat que les catholiques retrouveront la conscience (et la fierté) de leur identité face à un "monde", justement, qui ne souhaite qu'une chose: réduire l'Eglise au silence, faisant d'elle une simple ONG caritative, uniquement préoccupée de l'accueil des "migrants", de la préservation de l'environnement et de la lutte contre la mafia.

Un livre tonitruant de Mgr Negri:
"L'identité de l'Eglise a été éclipsée"

www.riminiduepuntozero.it
8 août 2015
(Ma traduction)

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L'identité ecclésiale est de plus en plus dépendante du consensus de la mentalité dominante. Une crise culturelle grave, également responsable du caractère socialement et politiquement subalterne des catholiques dans le laïcat de droite et de gauche.
Mgr Luigi Negri a écrit un livre perturbateur mais aussi plein d'espoir. Il relit deux mille ans d'histoire de l'Eglise et les défis posés au catholicisme par la pensée moderne et post-moderne. Parce que, dit-il sans ambages, les catholiques sont victimes d'un nouveau dualisme entre foi et culture, faibles et vulnérables face à l'idéologie anti-chrétienne dominante, et il faut repartir des fondements.

Un livre écrit par Mgr Luigi Negri est publié ces jours-ci aux éditions Arès, donnant un coup de fouet à l'Eglise pour lui faire regarder en face «ses contradictions et ses trahisons» et la «crise de la conscience de sa propre identité».
L'identité de l'Eglise a été éclipsée, dit l'évêque, «c'est comme si l'identité ecclésiale dépendait de facteurs aussi secondaires qu'inefficaces, comme un certain consensus de la mentalité dominante, derrière laquelle courent de nombreux ecclésiastique, ou un certain bien-être psychologique et affectif au sein de nos communautés ecclésiales qui, comme le disait avec finesse Benoît XVI, risquent de devenir des centres de «psychanalyse sur mesure ('fai da te')».
Et encore: «Une Eglise qui ne se présente pas comme un point profond, réel, de contradiction à l'idéologie dominante, est une Eglise qui ne révèle pas toute la capacité salvifique de la foi dans le Christ».
Ce qui prévaut, insiste Negri, c'est «une sorte d'auto-redimensionnement de l'Eglise en termes de réduction privée et intimiste», l'Eglise est la victime d'une «crise culturelle grave, ample, très complexe, qui morcelle la présence chrétienne en mouvements ecclésiaux et laïcs qui s'opposent idéologiquement, qui tendent à s'exclure mutuellement, et qui au moment culminant de l'expression sociopolitique finissent par être subalternes dans le laïcat de droite ou de gauche» .

Il s'agit d'une histoire de l'Eglise écrite pour le grand public, et en plus de 300 pages, elle passe en revue les fondements (ce qu'est l'Eglise, la subjectivité chrétienne, la valeur de la tradition, l'urgence éducative, etc.), puis en synthèse, deux millénaires, c'est-à-dire la présence de l'Église de l'antiquité à la période post-moderne, plus quelques approfodissements (aussi pour corriger quelques interprétations anti-catholiques, une préoccupation qui depuis longtemps accompagne Luigi Negri) sur ce que Negri appelle les «problèmes» de l'histoire de l'Eglise: les croisades, Galileo Galilei, la Révolution française, le Syllabus, les papes Pie (XI et XII) face au totalitarisme. Tout cela non pas pour un étalage d'érudition, mais souligne l'évêque, pour aider à vivre en tant que chrétiens aujourd'hui.
Il est préfacé par le cardinal Walter Brandmüller, que Jean-Paul II a appelé à la présidence du Comité pontifical des sciences historiques, dont il est aujourd'hui le président émérite. Et le cardinal assure qu'avec ce livre, Negri «offre au public un chef-d'oeuvre».

«Le mal que chacun voit est vu trop tard», dirait Giovanni Papini, et Mgr Negri est parmi les rares qui le savent. Son effort semble donc à parler clair pour réveiller ceux qui dorment, conscient que les chrétiens (depuis les apôtres) ont le sommeil facile bien que les paroles de Jésus causeraient «l'insomnie éternelle à un scribe» (Papini).
Negri n'est pas angoissé par les menaces sur l'Eglise et répète ce que Jésus a dit à Pierre: «…et portae inferi non praevalebunt» . Mais il est préoccupé par l'abstraction (ainsi qu'il la définit) qui sacrifie la foi des chrétiens et les livre à la Doxa .

Pour ceux qui sont tentés par la «réduction psychologiste, intimiste et spiritualiste» de la foi, Negri déroule devant l'intelligence et le cœur la catégorie des «jugements», et Dieu sait pour combien cela va résonner comme quelque chose de lunaire. «Le jugement est la confrontation inévitable entre ses propres raisons de vie et la réalité, c'est pour cela qu'un homme qui ne juge pas n'est pas un homme. La rationalité, en effet, s'exprime dans la capacité de juger, autrement dit d'adapter son propre intellect à la réalité afin de la connaître et d'entrer en elle dans un esprit positif et constructif» , dit Mgr Negri.
Le meilleur de la pensée catholique (De Lubac, Guardini, Newman ...) efficacement résumé pour les lecteurs, les catholiques et les autres, qui - Negri le sait - ne sont plus imprégnés par cet humus. Le monde post-moderne, explique-t-il, «pullule d'opinions» et certaines sont plus 'opinions' que les autres, Ce sont celles qui, étant essentiellement des formulations idéologiques, sont considérées par les médias, bras armé de la pensée unique, comme les expressions les plus appropriées. Parlons de pluralisme équivoque ou, si l'on préfère, du relativisme "scepticisant"».
Le visage soft de la pensée unique dominante est «le totalitarisme du média politiquement correct» .

Comment est l'Eglise devant les défis posés par le monde? «Elle est certainement face à l'une des plus graves crises de son histoire récente. D'un côté, il est évident que surtout le grand magistère récent des papes a donné à la réalité ecclésiale une conscience lucide de sa propre identité, et donc de sa mission dans le monde, mais, de l'autre, c'est comme si une maladie subtile minait l'organisme ecclésial et le rendait particulièrement faible et vulnérable à l'idéologie anti-chrétienne dominante».
Et puisque le thème central est la relation entre la foi et la culture, Negri ne cache pas «que ce qui est grave dans l'Eglise d'aujourd'hui, c'est une faiblesse substantielle, sinon une ambiguïté, des structures de formation ecclésiastiques responsables de la formation du clergé et d'une saine intelligentsia catholique qui devrait être expression de la culture catholique et, en fonction de celle-ci, tendue au dialogue avec les différentes positions qui se dessinent dans la société». Mgr Negri souligne que «le peuple catholique, quand il est bien guidé, répond de manière intelligente et généreuse, mais à ce peuple manquent des guides généreux et efficaces. Le clergé, au lieu d'être le guide de ce peuple et de le conduire aux formes actuelles de présence et de création culturelle, sociale et politique, reste à l'arrière, risquant d'être source d'équivoques, et de relativisme quand ce n'est pas de scepticisme. Le peuple, donc, pénalisé dans son désir d'être éduqué, perd le sens de son identité et de sa mission» .

Negri met aussi en garde contre «des équivoques et des perversions intellectuelle et pastorales», fruits de «la séparation abstraite entre doctrine et pastorale» et ne néglige pas «les folies du gender», tentative de «donner un coup final à la tradition de l'Eglise, à la morale naturelle et aux droits de la personne qui ne peuvent certes pas être considérées comme l'expression de leur instinctivité».

Arrivés à ce point, vous comprendrez peut-être mieux l'opération historique menée par Negri: connaître le comportement de l'Eglise au cours des siècles «pour savoir relever les défis qui nous font face» assumant un point de vue original et non aligné: «La présence des chrétiens a été une présence décisive parce que, dès l'antiquité, elle a introduit dans l'histoire, non pas par son propre mérite, mais par la grâce dont elle a été investie, un regard qui a su valoriser, corriger et créer culture et société, selon une perspective vraiment humaine. Une histoire, donc, dont non seulement il ne faut pas avoir honte, mais dont nous devons être fiers. Favoriser cette prise de conscience peut certainement aider à surmonter le dualisme entre foi et culture à nouveau présent dans l'Eglise».

Claudio Monti