Où est passée la "joie de l'Evangile"?
Le dernier billet d’Andrea Gagliarducci témoigne d’une perplexité croissante. Traduction Anna (7/7/2015)
Je pourrais presque faire un copié-collé du précédent « Monday Vatican » d’Andrea Gagliarducci (cf. benoit-et-moi.fr/2015-I/actualite/leglise-de-franois-et-lagenda-laique).
Cette fois, les "petits groupes" derrière les murs du Vatican, sont ceux qui font pression pour que l'Eglise se "protestantise", et adopte l"agenda du cardinal Kasper & Cie.
Le parcours d’Andrea Gagliarducci est un peu semblable à celui de Giuseppe Rusconi : il continue à être loyal envers le Pape, qu’il défausse des responsabilités, mais il voit clair dans ce qui se passe à Rome, et il est de plus en plus perplexe, pour ne pas dire inquiet.
La "Joie de l'Évangile" est la solution mais certains progressistes ne le comprennent pas
6 juillet 2015
www.mondayvatican.com
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Chaque étape du prochain voyage du Pape François en Equateur, en Bolivie et au Paraguay sera caractérisée par le mot espagnol "alegria". C'est le même thème annoncé par "Evangelii Gaudium" (La Joie de l'Évangile), l'Exhortation Apostolique que le Pape François a indiqué comme étant le point de référence de son pontificat.
La joie d'annoncer l'Évangile n'est toutefois pas ce qui est mis en avant par les forces à l'œuvre pour construire la narration de son pontificat, et qui essayent de pousser l'Église à faire un bond en avant que personne ne veut réellement. Ces individus insistent que la marche à suivre pour l'Église est celle de la repentance continue, accompagnée d'une réforme qui évite de traiter le nœud des problèmes, et qui est décrite comme simplement structurelle, alors qu'elle ne l'est pas. De nombreuses questions doctrinales sont en jeu dans cette réforme, et la vraie identité de l'Église l'est aussi.
Il doit être clair que ce n'est pas un combat entre conservateurs et progressistes. Les positions sont plus nuancées.
Il y a de nombreux réformateurs dans l'Église catholique, le "Vatican caché", qui ont travaillé et travaillent toujours inlassablement à réformer l'Église tout en préservant la pure tradition doctrinale de l'Église.
De l'autre côté, certains progressistes font pression dans le sens d'une réforme profonde qui renverserait les enseignements de l'Église, plus qu'elle n’améliorerait la façon d'être de l'Église dans le monde. Ces dernier se battent contre les traditionalistes et les progressistes, dans la tentative de donner une nouvelle forme à l'Église. À quoi devrait ressembler cette nouvelle forme?
Le Cardinal Walter Kasper, champion de la réforme de la discipline du mariage, a récemment soulevé la question dans un article de six pages publié dans la revue allemande "Stimmen der Zeit". Dans l'article, Kasper a répété qu'il faut accorder aux divorcés remariés la possibilité de recevoir la Communion après un parcours pénitentiel. Et il a souligné qu' "à l'occasion de la commémoration des 95 thèses de Luther - l'événement qui a donné le coup d’envoi de la Réforme il y a 500 ans - les Chrétiens Catholiques et Évangéliques peuvent justement accueillir la première des thèses de Luther, que toute la vie d'un Chrétien doit être une pénitence."
La référence à Luther est révélatrice, car elle indique presque parfaitement la voie vers la protestantisation de l'Église Catholique.
En fait, les bases théologiques sur lesquelles le Cardinal Kasper fonde son raisonnement sont dangereuses. Il se réfère au Concile Vatican II et souligne que le mariage est interprété comme une image sacramentelle du lien entre le Christ et l'Église ("une idée magnifique et convaincante"), mais il ajoute ensuite, "dans son pèlerinage sur la terre, l'Église ne se réalise elle-même – c’est-à-dire une Église sainte - que par fragments", dans le sens que "l'Église est sainte, mais elle est aussi une Église de pécheurs, qui peut parfois être présentée comme une prostituée infidèle, et qui est toujours appelée à suivre un chemin de conversion, de renouveau et de réforme."
Finalement, affirme le Cardinal Kasper, puisque le mariage "est un mystère en relation au Christ et à son Église," ce mystère "ne peut pas s'accomplir pleinement dans cette vie, mais toujours seulement par fragments".
Ces propos peuvent en effet encourager à ne pas vivre une vie chrétienne pleine, comme s'il s'agissait d'un objectif trop difficile à atteindre, et en même temps ils semblent suggérer que l'Église a finalement laissé tomber l'évangélisation. Si le modèle est trop difficile à atteindre, s'il faut brader quelque chose, alors il n'y a rien de certain, aucun idéal à qui aspirer.
Que devrait alors faire l'Église? Devrait-elle essayer d'attirer autant de fidèles que possible, et renoncer à façonner le monde? Ou devrait-elle diffuser la joie de l'Évangile, offrant un modèle de vie digne d'être vécue?
Les évêques allemands ont apparemment choisi la première option. Les résultats dans leur vie ecclésiale ne sont pas encourageants. Un récent sondage, envoyé à Rome et publié avec les réponses au questionnaire du Synode, a conclu que les prêtres allemands ne se confessent jamais, et ne donnent pas trop d'importance aux sacrements (cf. chiesa.espresso.repubblica.it).
L'Église allemande est finalement satisfaite de ses propres œuvres, mais est pauvre en foi.
Le Cardinal Walter Brandmüller a apporté un éclairage sur cette question dans une récente interview donnée au "Rheinishe Post" - le journal du land de Rhénanie, d'où la vague de réforme sur la discipline du mariage est partie dans les années 90. Brandmüller a adressé de vives critiques aux évêques allemands car ils sont restés silencieux face à quelques développements sociétaux spécifiques.
"Les évêques n'ont-ils pas promis, au moment de leur ordination, de proclamer l'Évangile du Christ avec loyauté et de préserver le dépôt de la foi?" a demandé de façon provocatrice le Cardinal Brandmüller.
Il se référait probablement aux récents développements dans la réforme du droit du travail allemand par lequel les institutions catholiques vont renoncer à défendre leur identité catholique, et n'exigeront plus une conduite chrétienne, en termes de vie privée, de la part de ceux qui sont employés dans des institutions catholiques. Par ailleurs, dans le fond, de nombreux évêques allemands flirtent, pour le moins, avec les questions comme le mariage de même sexe, l'euthanasie, et l'avortement.
Benoît XVI avait soulevé la question de la foi à l'occasion de son voyage de 2011 en Allemagne.
Pendant ce voyage il avait mis en évidence que "toutefois, dans l'histoire concrète de l'Église, une tendance opposée s'est aussi manifestée, à savoir que l'Église devient auto-satisfaite, s'installe dans ce monde, devient auto-suffisante et s'adapte aux normes du monde". Et avait ajouté qu' "il n'est pas rare qu'elle donne une plus grande importance à l'organisation et à l'institutionnalisation qu'à sa vocation d'ouverture vers Dieu, sa vocation d'ouvrir le monde vers l'autre. "Une fois libérée des fardeaux matériels et politiques et des privilèges, l'Église peut aller vers le monde entier plus efficacement et d'une manière vraiment chrétienne, elle peut vraiment être ouverte au monde." (1)
La réflexion de Benoît XVI était fondée sur son expérience de confesseur au milieu des années 50, dans la paroisse du Très Précieux Sang, à Munich. Sur la base de cette expérience de confesseur, il avait écrit l'article "Les nouveaux Païens et l'Église" (2), et avait insisté sur le fait qu'il y a dans l'Église une nouvelle évolution: celle des Chrétiens, nés chrétiens, qui professent appartenir à la tradition chrétienne, mais vivent en réalité comme des païens.
Cette réflexion de ses premières années avait mȗri dans une plus large réflexion théologique qui avait conduit d'abord Joseph Ratzinger et ensuite Benoît XVI à développer un modèle de communion qu'il avait transposé dans le gouvernement de la Curie. La "méthode Ratzinger" dans la Congrégation pour la Doctrine de la Foi était connue comme une méthode basée sur le dialogue et l'harmonie, mais ferme dans les principes de l'enseignement catholique.
C'est le modèle qui a caractérisé l'Église de Jean-Paul II et de Benoît XVI. Devenu Pape, Benoît XVI s'attaqua à affronter les problèmes, à commencer par la joie de propager l'Évangile (la nouvelle évangélisation) qui a pénétré tout concept théologique ou règle ecclésiale ainsi que toute question de gouvernement.
Le Pape François a repris (??) ce point de vue, comme en témoigne son rappel continu aux Chrétiens de ne pas hésiter à annoncer l'Évangile, et d'être remplis de joie.
Par contre, ceux qui ont assuré l'élection du Pape François, préoccupés qu'ils sont de leur propre agenda, n'ont pas repris cette question. Leur agenda est celui d'un "pastoralisme" détaché de la doctrine. Ce pastoralisme, qui doit être entendu comme une nouvelle forme de soutien pastoral, s'inspire du concept de pénitence, suivi de la miséricorde de Dieu. Ce n'est pas une "miséricorde bon marché", a écrit le Cardinal Kasper. Cette miséricorde justifie toutefois toutes les erreurs et peut finir par produire des Chrétiens timides, car ils n'ont plus un idéal vers lequel tendre, mais juste un objectif auquel s'approcher à travers diverses approximations.
Ce débat ne concerne pas que le Synode, mais porte sur le modèle d'Église. Actuellement, les "progressistes" montrent une certaine malveillance à l'égard du modèle d'Église élaboré par les pontificats passés, qui adhérait à des principes et requérait un vrai saut de qualité. Leur approche est fondée sur l'Église-en-pénitence avec des structures fonctionnelles capables de bâtir la crédibilité dans le but de gagner de nombreux fidèles. Mais leur approche vise à attirer des fidèles par une forme de communication plus proche du marketing que de l'évangélisation.
Il y a divers signaux de cette "malveillance progressiste". Le Cardinal Joao Braz de Aviz, préfet de la Congrégation pour les Instituts de la Vie Consacrée, a donné une interview au Brésil et n'a pas hésité avant de dire que sa foi avait connu une crise lorsque Benoît XVI avait révoqué de la Congrégation son collaborateur, l'Archevêque Joseph William Tobin, ancien Secrétaire de la Congrégation. Le Cardinal a insisté que cette "rétrogradation" était survenue suite à des accusations contre l'Archevêque Tobin d'être proche des religieuses américaines LCWR, alors sous investigations, et que le Cardinal savait être "fausses"; et toutefois, il ne pouvait pas croire que le Pape mentait.
Le Cardinal Oscar Rodriguez Maradiaga, Coordinateur du Conseil des Cardinaux chargé de formuler les propositions de réforme de la Curie, insiste sur le fait que le Pape François a initié une nouvelle saison dans l'Église, car le Pape ne condamne pas, mais marche avec le peuple.
Les évêques allemands, français et suisses ont également tenu une rencontre semi-secrète avec l'intention non divulguée de s'emparer du débat au prochain Synode des Évêques, car ils sont conscients que leur moment est venu, tandis que de nombreux autres évêques résistent en défense la tradition catholique.
Ce ne sont que des exemples de déclarations du côté progressiste. Leurs positions visent toutes, finalement, à un modèle séculier d'Église, crédible au monde, plutôt qu'à une Église capable de dire la vérité et d'aller à contre-courant. De toute façon, un modèle séculier d'Église, à l'écoute du jugement du monde sans tendre vers une Vérité finale est une église qui manque de caractère prophétique.
Bien que François ait toujours insisté sur le fait que l'Église n'est pas une ONG, le fait de poursuivre cet agenda séculier dans le dos ( ??) du Pape François conduit en effet à une Église structurée comme une ONG.
Ce genre de structure crée des problèmes. Dans les couloirs du Vatican on dit que les prêtres ont perdu toute ambition de devenir évêques, parce que les évêques peuvent être piégés par une multitude de raisons. Une des propositions plus récentes de la Commission Pontificale pour la Protection des Mineurs est qu'une section ad hoc du Tribunal Apostolique juge les évêques coupables d'abus d'office, dans les cas de pédophilie.
Cette décision pourrait donner à penser que les évêques pourraient être rendus coupables des erreurs de leurs prêtres, bien que la responsabilité d'un crime soit toujours personnelle, et que l'Église ait toujours affirmé qu'elle n'est pas une entreprise et que le Pape n'est pas l'employeur de ses prêtres.
Pour finir, toutes les réformes de l'Église en jeu en ce moment – les directives pour combattre les abus sexuels du clergé, la réforme de la curie, la réforme de la discipline pastorale pour les divorcés et remariés - portent sur une fonction, plus que sur l'évangélisation. La joie de l'Évangile est laissée de côté et remplacée par la notion d'une Église qui est peut-être plus crédible aux yeux du monde séculier, mais au prix d'être prophétique.
Voici la raison pour laquelle Benoît XVI - qui a reçu deux doctorats honoris causa à la fin de la semaine dernière - a voulu que ses anciens élèves, lors de leur rencontre annuelle, débattent cette année sur le sujet "Comment parler de Dieu dans le monde contemporain". Il comprend en effet que l'actuelle réforme fonctionnelle - qui cache en réalité une réforme doctrinale - manque de joie.
Le Pape Benoît XVI avait anticipé ce point en 1969 lorsqu'il écrivit: "De la crise d'aujourd'hui, émergera une Église qui aura perdu beaucoup. (L'Église) deviendra petite et devra recommencer des débuts. Elle ne pourra plus vivre dans les édifices construits en des temps de prospérité. Comme ses fidèles diminueront, beaucoup de ses privilèges sociaux seront perdus. Elle sera une Église plus spirituelle, qui n'entreprendra aucune mission politique, flirtant alternativement avec la gauche et la droite. Elle sera pauvre, et sera une Église des pauvres. Ce sera un long processus mais, lorsque tout aura été surmonté, un plus grand pouvoir viendra d'une Église plus spirituelle et plus simplifiée. À ce moment les hommes découvriront comment vivre dans un monde de solitude indescriptible et, ayant perdu de vue Dieu, ils deviendront conscients de leur pauvreté. Alors, et seulement alors, ils regarderont ce petit troupeau de croyants comme quelque chose de tout nouveau, et le découvriront comme un espoir pour eux-mêmes, la réponse qu'ils avaient toujours secrètement recherchée." (3)
C'est l'Église dans laquelle nous vivons aujourd'hui.
Où ira l'Église du Pape François? Sera-t-elle capable de revenir à la joie de l'Évangile? Ou bien va-t-elle continuer de rechercher une réforme des structures et des disciplines d'où toute joie sera absente?
NDT
(1) Rencontre avec les catholiques engagés dans l'église et la société à Fribourg, le 25 septembre 2011 (benoit-et-moi.fr/ete2011..)
(2) Voir à ce sujet : « Les nouveaux païens » : un article écrit par le jeune prêtre Joseph Ratzinger (benoit-et-moi.fr/2014-II-1/benoit/les-nouveaux-paens)
L’article avait été publié en 1958 dans la revue catholique Hochland sous le titre "Die neuen Heiden und die Kïrche" - Les nouveaux païens dans l’Église.
La Revue espagnole Alfa y Omega dans son numéro 792 du 28 juin 2012 proposait à ses lecteurs de larges extraits de ce texte, traduits à l'époque par Carlota.
Un texte plus complet en version originale est encore disponible sur le site autrichien kath.net/.
(3) Propos du cardinal Ratzinger dans une conférence parmi une série de 5 données à la radio bavaroise (Bayerische Rundfunk) en 1969. Voir ici: benoit-et-moi.fr/2014-II/benoit/les-propheties-rationnelles-de-j-ratzinger)