Pontificat: ce que veulent les progressistes
Tout simplement changer la théologie de l'Eglise... Très intéressante analyse d'Andrea Gagliarducci dans sa rubrique hebdomadaire "Monday Vatican"
Il commence à se poser sérieusement des questions...
>>> Article relié: Suite des manoeuvres présynodales
François: une église qui a 200 ans de retard
Andrea Gagliarducci
27 juillet 2015
www.mondayvatican.com/vatican/pope-francis-a-church-200-years-out-of-date
(ma traduction)
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Durant les dernières années de sa vie, Benny Lai, doyen des vaticanistes italiens répétait toujours : "Ce n'est plus mon Vatican".
Lai - accrédité depuis 1946 - regrettait surtout le sens des symboles, l'importance des gestes, la profondeur théologique. Benny Lai n'était pas croyant. Mais il avait saisi le cœur du problème à la racine de la décadence du Vatican. Sous François ce problème a grandi et se dirige vers un point de rupture. Mais en fait, il existait déjà durant les pontificats précédents.
La différence est que les pontificats précédents l'avaient endigué. L'idée d'une Eglise dépourvue de théologie est soutenue par les médias depuis un certain temps déjà. Mais le Vatican a su tout concentrer à nouveau sur l'Evangile, puisque la théologie restait toujours le principal critère sur lequel reposait toute activité. Toutefois, allant jusqu'au bout de leur agenda, les partisans de François ont pour objectif principal de changer la théologie de l'Église.
Cet objectif devient clair quand on lit les discours prononcés au “shadow synod” ("synode de l'ombre", cf. benoit-et-moi.fr/2015-I/actualite/manoeuvres-pre-synodales), qui a eu lieu le 25 mai à l'Université pontificale grégorienne. C'était une rencontre de membres et consultants des conférences épiscopales françaises, suisses et allemandes. La réunion était à huis clos, mais plusieurs représentants des médias ont été invités à condition qu'ils acceptent de ne rien écrire sur les discussions, et de ne pas mentionner les noms des participants.
Le but final de cette rencontre semblait être la production d'un document théologique concernant le prochain Synode sur le mariage et la famille devant être publié pendant le voyage de François aux États-Unis. Cependant, finalement, la publication du document a été avancée. La Conférence des évêques allemands a publié les textes des interventions et un résumé de la discussion qui avait suivi sur son site Internet en allemand, français et italien (cf. www.dbk.de/fileadmin/redaktion/diverse_downloads/dossiers_2015/2015-05-25_Dokumentation_Studientag_zur_Bischofssynode_FR_DE_IT).
Les textes révèlent à quoi va ressembler la discussion au prochain Synode. Mais plus important encore, ils nous permettent de comprendre quel genre de direction les participants veulent donner à l'Eglise.
Au cours du Synode de 2014, un facteur a fait dérailler le rapport intermédiaire controversé qui était fortement déséquilibré sur des questions telles que la reconnaissance des unions de même sexe et l'accès à la communion pour les catholiques divorcés remariés. Ce facteur était en particulier - mais pas exclusivement - le manque de références bibliques et théologiques dans les paragraphes importants.
Le rapport final du Synode incluait néanmoins les questions controversées, grâce à la décision de François d'intégrer également les paragraphes qui n'avaient pas reçu le consensus du Synode (càd une majorité des deux-tiers de l'assemblée). Mais il contenait aussi de nombreuses références bibliques et théologiques, les seuls passages qui avaient gagné un consensus presque unanime.
Le document de travail pour le Synode de 2015 comprend à nouveau les questions controversées. Les paragraphes qui ont reçu le moins de votes au Synode de 2014 sont de retour dans leur intégralité dans ce document. En outre, ces paragraphes sont une fois de plus le point de départ pour ceux dont les tentatives d'apporter des changements ont échoué lors du dernier Synode.
Quel est leur but final?
En examinant de près les textes allemands, suisses et français du "Synode de l'ombre", nous pouvons voir qu'ils poussent vers une révolution théologique.
Plus précisément, ils sont à la recherche d'un chemin pour passer d'une théologie fondée sur l'Ecriture et sur la nécessité de chercher le salut sur la base de la Parole de Dieu, à une théologie qui prend en compte les imperfections humaines. En somme, leur motivation est: puisque ce que l'Évangile demande est un idéal que les hommes ne sont pas toujours en mesure d'atteindre, changeons l'idéal.
Les participants au "shadow synod" ont cherché à donner à cette logique un fondement théologique, tout en reconnaissant que la théologie avait fait défaut lors du "blitz" du dernier Synode. Le rapport intermédiaire a été profondément modifié par les consultants de François avant de revenir au Cardinal Petr Erdo, Rapporteur Général du Synode.
Cette théologie est basée sur le présupposé que la réalité de l'être humain est déterminée par ce que les êtres humains disent sur eux-mêmes, c'est-à-dire leurs expériences. Est-ce la bonne voie?
Cette question sous-tend chacune des interventions du "shadow synod". Tous ont un point de vue commun: un "non" clair à une "théologie simplement abstraite," une position qui était déjà indiquée dans les lignes directrices et le questionnaire du Synode de 2015, sous le thème "une forme de pastorale distincte de la doctrine".
Un coup d'œil sur quelques-uns des textes nous aide à mieux comprendre.
Anne-Marie Pellettier, une théologienne française qui a également été lauréate du Prix Ratzinger de théologie, estimait que "la tradition catholique sur l'indissolubilité est en fait basée sur une interprétation disciplinaire" de Matthieu 19 ("Moïse vous a permis de répudier vos femmes parce que vos coeurs étaient durs"), mais ce texte a "un contenu kérygmatique", qui est que "le lien conjugal, dans les termes où Jésus l'exprime, est strictement lié à la vocation de ceux qui, par le baptême, seront immergés dans la mort et la résurrection du Christ". La théologienne française soulignait que certains des défis d'aujourd'hui viennent du fait que "l'Eglise catholique n'a jamais cessé de défendre fermement le principe de l'indissolubilité", tandis que les moeurs l'ont largement rejeté. En fait, concluait-elle, "la vie conjugale a plus d'obstacles que ceux qui sont admis par la théologie du mariage".
Une impulsion pour un renouveau de la théologie du mariage était avancée par Eberhard Schockenhoff, une des personnes les plus influentes dans l'Eglise allemande. Il est derrière tous les présupposés sociologiques qui ont influencé la théologie allemande, largement imprégnée par l'association de gauche "Nous sommes Eglise" .
Schockenhoff a offert une réflexion matérialiste, qui tournait autour des difficultés de la vie moderne, et il a généreusement saupoudré sa thèse de citations du psychanalyste Erich Fromm et du sociologue marxiste Theodor Adorno.
Dans ses remarques, Schockenhoff a souligné qu'il faut "admettre que l'amour peut finir", parce que l'"irrévocabilité du choix de se marier est basé sur ce que veut l'amour", alors que l'indissolubilité est "une requête que les conjoints prennent soin l'un de l'autre aussi longtemps qu'ils ont confiance dans leur amour". En fin de compte, dit-il, la conscience personnelle détient la primauté, avec toutes les nuances de la vérité.
Quelle est donc la vérité à laquelle nous devons nous efforcer? Une contribution sur le thème "théologie narrative", ou mieux "théologie de la biographie", par le théologien jésuite Alain Thomasset suggérait que la vérité n'est pas unique, mais multiple.
"L'interprétation de la doctrine concernant les 'actions intrinsèquement mauvaises' est apparemment l'un des principaux obstacles à la pastorale de la famille, car elle détermine le rejet de la contraception artificielle, des relations sexuelles entre personnes divorcées et remariées, et aussi des couples homosexuels stables" dit-il.
Cette doctrine, affirme Thomasset, "semble être incompréhensible pour de nombreuses personnes et pastoralement contre-productive" et donc, il faut plus de discernement sur un certain nombre de situations, parce que "les références éthiques objectives fournies par l'Eglise sont juste un seul élément (important, mais pas unique) dans le discernement moral qui doit opérer au sein de la conscience personnelle".
Sur la base de ces présupposés, Thomasset propose une interprétation des actions humaines "dans le contexte de la tradition catholique", impliquant les conséquences suiivantes:
. que les relations sexuelles entre personnes remariées n'entraînent plus la culpabilité morale, ce qui "ouvrirait l'accès aux sacrements de la réconciliation et de l'Eucharistie";
. "que les relations sexuelles avec usage de la contraception non abortive chez un couple marié" ne soient plus considérées comme un péché objectif;
. et qu'une réduction du mal objectif de relations sexuelles dans les couples homosexuels stables soit concédée, de sorte qu'en termes de leur activité sexuelle, "leur responsabilité morale objective puisse être diminuée ou même supprimée".
Le théologien allemand, Eva Maria Faber, a ensuite asséné le coup final à une théologie fondée sur la vérité. Dans son discours, elle a souligné que la tradition catholique se concentre sur la façon dont les conjoints doivent vivre en commun, mais que cette approche ne tient pas compte des histoires individuelles et de l'individualité des époux, alors que dans le même temps "les promesses matrimoniales pointent vers un avenir imprévisible", et "la fragilité des mariages aujourd'hui est plus évidente parce que l'indissolubilité sociale du mariage n'existe plus, et il est donc plus difficile d'avoir un mariage réussi".
En fin de compte, les remarques du "shadow synod" n'abordent pas seulement l'impulsion vers une approche plus pastorale du mariage, mais sont principalement une tentative pour le détacher de l'enseignement traditionnel de l'Eglise, au motif qu'il est trop difficile à suivre. Finalement, ces positions ont suggéré une nécessité impérieuse de cadrer avec le monde, et de faire que l'Eglise s'adapte au monde, et d'autant plus en adoptant la langue (laïque) du monde (cf. www.mondayvatican.com/vatican/pope-francis-the-latin-american-angle).
Mais l'Église catholique a son propre vocabulaire qui est profond et précis, car il a été créé et développé au cours des siècles d'histoire, de tradition et d'étude. Les mots ne sont pas secondaires, tout comme les symboles ne le sont pas.
Il arrive que François le comprenne. Par exemple, la semaine dernière, lors d'une rencontre avec les maires des grandes villes qui se sont réunis au Vatican pour signer une déclaration contre l'esclavage et pour la défense de l'environnement, le pape a tenu à préciser que l'encyclique 'Laudato Si' "n'est pas une encyclique verte, mais une encyclique sociale", et il a expliqué qu'il est préférable de parler explicitement de la création de Dieu. De cette façon, il a corrigé certaines erreurs d'interprétation de l'encyclique, en particulier au sujet de son utilisation de la notion de "mère terre".
En fait, le désordre causé par son utilisation des termes est peut-être le vrai problème du pontificat de François. Après son exposé improvisé, il a été le premier signataire de la déclaration des Maires. La déclaration faisait explicitement référence aux Objectifs de Développement Durable de l' Organisation des Nations Unies, et elle adoptait la terminologie des Nations Unies.
Si dans les années 80, le "Vatican caché" pouvait insérer une référence au "développement humain intégral" ici et là dans divers documents des Nations Unies, de nos jours, le Saint-Siège embarque simplement le vocabulaire de l'ONU, et ce faisant, il adopte l'ensemble de ses positions controversées sur des questions comme le contrôle des naissances et l'avortement qui sont discrètement intégrées dans des expressions typiques de l'ONU comme "économie durable" et "droits sexuels et reproductifs".
Ce changement de vocabulaire n'est pas arrivé soudainement sous François. Pendant de nombreuses années il y a eu un très léger mouvement vers ce langage, bien que Benoît XVI ait essayé de l'endiguer en concentrant tout sur la notion de vérité - même pour la diplomatie vaticane. Benoît XVI est allé encore plus loin - au-delà de la discussion historico-critique commune à la théologie, interprétant et parfois manipulant les textes afin que la Bible puisse dire tout et son contraire. Avec ses trois livres sur Jésus de Nazareth, Benoît a montré une nouvelle voie, un débat théologique basé sur l'hypothèse de la véracité historique de l'Evangile.
Aujourd'hui, l'Eglise est revenue au débat antérieur, historico-critique, et ce n'est pas par hasard que les théologiens allemands, marginalisés durant les années 90 pour leurs positions audacieuses, sont de retour sur la scène. Avec ces théologiens sont également de retour sur la scène des questions telles que l'Église horizontale (non hiérarchique) et d'autres positions similaires des années 80 qui correspondaient à l'époque au Concile des médias, dont la définition est l'un des héritages les plus importants du pontificat de Benoît XVI.
Ce que nous observons en ce moment, c'est une Église plus laïque qui est au centre de la scène, une qui utilise des termes séculiers. Benny Lai avait compris que c'était le destin de l'Eglise, car une fois que l'Eglise perd la capacité de parler avec sa propre langue, elle se perd elle-même. Des réformes structurelles de la Curie et des finances ne suffisent pas, même si elles pourraient fonctionner, parce que ce qui est nécessaire sur le terrain, c'est une façon théologique de penser, et un idéal théologique à atteindre.
Comme le cardinal Carlo Maria Martini l'a dit, l'Église a 200 ans de retard. Mais pas de la manière que tout le monde pense .