Benoît XVI, que reste-t-il?

Un très beau billet d'Andrea Gagliarducci, écrit sans doute pour le deuxième anniversaire de la renonciation

Ce texte permet de mieux comprendre le sens de ses billets hebdomadaires, notamment le denier, ici: Pontificat: ce que veulent les progressistes

Benoît XVI, que reste-t-il?

par Andrea Gagliarducci
Sur "La Vigna del Signore"
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Deux ans après, l'héritage de Benoît XVI est encore vivant. Il transparaît dans les discours, dans les idées de réforme, et même dans l'action d'un pape aussi différent de lui que François. Deux ans ont passé, et il semble qu'une éternité soit passée. Mais, à bien y regarder, tout porte l'empreinte du travail extraordinaire accompli par le Pape émérite. Seulement qu'il n'est pas reconnu.

Rien de plus facile, quand le travail est fait avec humilité et amour, avec un soin extraordinaire pour les choses de l'Église, et en même temps avec de grandes bases théologiques. Après tout, c'est ce qu'avaient demandé les cardinaux à Joseph Ratzinger quand ils avaient décidé de l'élire comme successeur de Pierre. Après le grand Pontificat de Jean-Paul II, il fallait une personnalité qui non seulement ne déparât pas par rapport au pape polonais, mais qui eût les épaules larges et la capacité de tenir la barre de la barque de Pierre. Ce fut le choix d'un candidat qui favorisât l'unité de l'Eglise. L'espérance et la conduite sûre. La prédication de l'Evangile, l'explication de la doctrine. Et la foi vécue.
Parce qu'en Benoît XVI, la vie et la théologie sont intimement liés, et il ne peut y avoir l'une sans l'autre. Sa réflexion sur le «néo-paganisme» des chrétiens qui se disent tels, mais qui finalement ont perdu la référence à l'Evangile, se trouve dans un de ses premiers essais, inspiré directement des confessions qu'il écoute sans relâche dans la paroisse du Très Précieux Sang, où Il est envoyé comme vicaire pour sa première affectation. Et toute sa réflexion théologique vient directement de sa confrontation avec les hommes et les femmes de l'époque où il vit. C'est une théologie en conversation, que celle de Benoît XVI. Une théologie qui pourtant est fondée sur une foi claire, adulte, sans fondamentalisme. Une foi fondée sur la raison. Une foi qui n'est pas ballottée de gauche à droite.
La vérité est le fondement de la mission, a déclaré Benoît XVI dans un message envoyé à l'Université Pontificale Urbanienne en Octobre dernier, quand son nom a été donné au grand Amphi. Et il avait souligné que, dans ce dialogue constant entre les religions, dans cette idée que nous devons nous unir comme une force pour la paix, «la question de la vérité, celle qui dès l'origine a animé les chrétiens plus que tout le reste, est mise ici entre parenthèses».
Ce sont là les bases qui ont créé Benoît XVI. On le considérait comme un pape de transition. A bien y regarder, il a changé l'Eglise, de manière suave. Il a donné une base institutionnelle à de nombreuses réformes qui ont été faites, de celle de la finance à celle du code pénal du Vatican. Il a donné un nouvel élan au dialogue interreligieux, en déplaçant l'attention sur la question de la raison, et non sur les questions de la foi, toujours controversés. Aussi parce que la foi est une. Ce n'est pas un hasard si le cardinal Gehrard Müller, le successeur de Joseph Ratzinger à la tête de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, a identifié dans les discours sur la démondanisation que Benoît XVI a prononcés en Allemagne en 2011, les idées de base de la réforme poursuivie par François.

Il y a beaucoup de parfum de Benoît dans cette Eglise. Même dans l'esprit missionnaire de François, il y a toujours l'exigence de parler de Dieu. Et Benoît XVI le ressent aussi, qui a dit à ses élèves du Ratzinger Schuelerkreis de consacrer la prochaine rencontre à «Comment parler de Dieu dans le monde contemporain».
Face à l'impressionnant effet François, qui est également observé dans le boom des publications sur lui, il y a toujours un besoin de parler de Dieu au fond de soi. Il est vrai que les présences aux Angélus, aux audiences générales, ont augmenté, et que les chiffres sont «comme des bombes» (? bombastici), selon les mots d'une personne qui travaille à la Préfecture. Mais il est également vrai que peut-être il manque l'étape suivante. Dans quelle mesure le fidèle qui s'est rapproché, frappé par un slogan du pape, une activité particulière de l'Église dans le domaine social, réussit-il ensuite ensuite à vivre vraiment la présence de Dieu? Dans quelle mesure une Église avec une bonne image est-elle vraiment capable d'évangéliser?
C'est l'éternel dilemme de l'Eglise-institution, partagée entre l'évangélisation et la nécessité d'une bonne communication. La seconde semble avoir prévalu sur la première. Mais Benoît XVI pointait plutôt sur l'évangélisation. Une évangélisation qui ne repose pas sur les préceptes, mais la foi vivante des personnes. Sa plus grande communication reste les trois volumes sur la vie de Jésus. Des livres qui racontent combien Benoît XVI voulait une foi nourrie par la raison, combien est rationnelle la vie de Jésus lui-même.
Peut-être est-ce cela, son grand héritage: une Eglise détachée des modes, capable de voler avec la force de la raison à la recherche de la vérité.