Une lumière dans les ténèbres

C'est ainsi qu'Antonio Socci évoque Benoît XVI, parlant de la récente visite de Vittorio Messori à Mater Ecclesiae. Où il est aussi question de François, et du cardinal Sarah

>>> Image ci-contre: Une lumière allumée à Mater Ecclesiae

>>> Voir aussi:
¤ Un matin, dans l'ermitage du pape émérite (le récit de Messori)
¤ Benoît XVI et "Dieu ou rien"
¤ Ce que Benoît a écrit au Card. Sarah

 

Chasse aux sorcières au Vatican


www.antoniosocci.com
18 septembre 2015
(ma traduction)


Une rumeur circule sur un présumé affrontement entre le pape Bergoglio et Benoît XVI, mais je crois qu'il ne peut pas exister. Ne serait-ce qu'à cause du caractère des deux, le premier politico-jésuite, le second doux et gentil. Tous deux très attentifs à observer des formes respectueuses.
Il peut s'agir d'une plainte, au goût de critique voilée, de la part de Bergoglio, mais ici, au Vatican, même un léger frémissement est le signal d'une agitation profonde.
Il semble en effet que Bergoglio n'ait pas apprécié l'éloge public que Benoît XVI a fait du cardinal Robert Sarah, le prélat africain qui vient de publier en plusieurs langues le livre "Dieu ou rien."
Ratzinger a répondu courtoisement à l'envoi du livre avec cette note:

«J'ai lu "Dieu ou rien" avec grand profit spirituel, joie et gratitude. Votre témoignage de l'Église en Afrique, de votre souffrance au temps du marxisme, et d'une vie spirituelle dynamique, a une grande importance pour l'Eglise, qui est un peu fatiguée spirituellement en Occident. Tout ce que vous avez écrit sur la centralité de Dieu, la célébration de la liturgie, la vie morale des chrétiens est particulièrement important et profond. Votre réponse courageuse aux problèmes de la théorie du "genre" met en lumière dans un monde obnubilé une question anthropologique fondamentale»

Il n'y a pas un mot qui pourrait justifier le désappointement de Bergoglio. Et surtout, c'est justement François qui, en 2014, a appelé le Cardinal Sarah au Vatican comme préfet de la Congrégation pour le Culte Divin et la Discipline des Sacrements.
Mais tous ceux qui se signalent par leur autorité spirituelle font de l'ombre au pape Bergoglio et, à vrai dire, l'estime générale pour Sarah a grandi cette année, bien qu'il n'apprécie pas la recherche de la popularité et mène une vie réservée, aux traits fortement ascétiques (on connaît ses jeûnes pour son pays, très pauvre).

SARAH, HOMME DE DIEU
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Sarah se caractérise par la fidélité absolue à la doctrine catholique. Il répète que la vérité doit être témoignée et ne peut pas être soumise aux sondages d'opinion ou aux modes idéologiques.
Les mots de Ratzinger laissent eux aussi transparaître cette estime générale à son encontre, que du reste le pape émérite manifeste envers toute l'Église africaine dont il a salué le témoignage, tandis que celle d'Occident (majoritairement libérale) a été définie par lui comme «spirituellement fatiguée».
C'est justement cette Église africaine de Sarah qui se révèle un adversaire intrangisant des «révolutions» chères à Kasper et à Bergoglio dans les deux synodes sur la famille et l'Eucharistie.
C'est une opposition très inconfortable pour le 'cathoprogressissme' parce que, tandis que l'Eglise allemande de Kasper est une Eglise richissime en argent et pauvre en fidèles, celle de Sarah est une Eglise du Tiers-Monde, pauvre en biens, mais jeune et ardente en foi, qui a fleuri dans les dernières décennies, grâce aux grands voyages de Jean-Paul II et de Benoît XVI, et joyeusement fidèle à leur magistère.
Contrairement à l'Eglise latino-américaine, qui est à la débâcle (par hémorragie des fidèles) et qui est influencée par des idéologies laïcistes et marxisantes, l'Eglise africaine est une Eglise en croissance, qui n'est pas sous la coupe des idéologies.
Sarah est même un symbole de courage chrétien parce que comme évêque de Guinée, il s'est opposé ouvertement, en courant de grands risques, à la fois à la dictature communiste et à la dictature militaire. Une attitude d'opposition frontale dont il ne semble pas qu'elle ait été tenue par Bergoglio. Sarah rappelle par bien des aspects Karol Wojtyla.
Egalement - comme l'écrit Ratzinger - pour sa «réponse courageuse aux problèmes de la théorie du "genre", qui «met en lumière dans un monde obnubilé une question anthropologique fondamentale».
L'éloge ratzingerien à Sarah, pour «la centralité de Dieu» et «la célébration de la liturgie» est comme de la fumée dans les yeux pour les progressistes. Lesquels parlent des pauvres comme on en parle dans les salons, c'est-à-dire de manière idéologique. Tandis que Sarah, littéralement, vient de la pauvreté.
Quand Benoît XVI l'a nommé au Conseil pontifical "Cor Unum", il a motivé son choix ainsi: «Parce que je sais que vous, entre tous, vous avez l'expérience de la souffrance et connaissez le visage de la pauvreté. Vous serez le plus capable d'exprimer avec délicatesse et compassion la proximité de l'Eglise aux plus pauvres».
Donc l'éloge d'un tel homme de Dieu fait de l'ombre à l'actuel évêque de Rome.
Avant tout parce qu'il se superpose à la question toujours non résolue de l'étrange "renonciation" de Benoît XVI et de sa présence au Vatican comme "pape émérite", avec l'habit et la qualification de pape. Cas unique dans l'histoire de l'Eglise.
De plus en plus - avec le déclin du consensus dans les sondages sur Bergoglio - la nostalgie croît pour la douce sagesse du pape Benoît.

UNE LUMIÈRE DANS LES TÉNÈBRES
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Il faut dire qu'il mène sa vie retirée de prière et n'interfère jamais, en aucune façon, dans la vie de l'Église. Mais son autorité est telle que tous espionnent ses plus petits soupirs: ses admirateurs pour trouver des confirmations, ses ennemis pour le soupçonner de conspirer, rêvant peut-être de l'expulser du Vatican.
Déjà autour du Synode d'ctobre dernier, certains ont inventé des complots imaginaires mais ont dû reconnaître que Ratzinger n'avait participé à aucune "fronde".
Mais que l'on censure chaque position non conforme comme complot en dit long sur cette saison et ses phobies de la part des tifosi bergogliens.
Du reste, que le pape émérite puisse être - comment dire - sous observation, un fait curieux de ces jours derniers le suggère.
Le 9 Septembre, l'écrivain catholique le plus connu et le plus autorisé, Vittorio Messori, a rencontré Benoît XVI à la demande de ce dernier, dans son habitation du Vatican. Un dialogue cordial pour la vieille estime et l'amitié ancienne qui les lie (ils ont réalisé ensemble le livre d'entretiens "Rapporto sulla fede", qui fit date).
Avant-hier, sur un site catholique, “La Nuova Bussola quotidiana”, Messori en a donné la nouvelles. Mais on a l'impression qu'il aurait volontiers évité de parler de cette rencontre personnelle entre de vieux amis et qu'il a dû le faire pour prévenir - comme il le dit ironiquement - «ceux qui s'obstinent à penser à la rencontre obscure entre conspirateurs».
Les complotologues murmurent quand même, se souvenant que Messori, le 24 décembre de l'an dernier, a osé signer un commentaire critique sur François, dans le "Corriere della Sera" (cf. benoit-et-moi.fr/2014-II/actualites/franois-ce-que-dit-messori). Mais en réalité, Messori, avec respect et élégance, s'était limité à exprimer quelques motifs de préoccupation, en même temps qu'une certaine appréciation, mais il a quand même subi un bombardement de la part de l'establishment bergoglien.
En tout cas, cela n'a pas empêché Benoît XVI de l'inviter à converser avec lui et Messori - dans son compte-rendu - avertit qu'il n'a pas voulu «l'embarrasser avec des questions de journaliste indiscret, comme sa relation avec son successeur, ou les motifs "vrais" de sa renonciation».
Messori reste silencieux sur leur conversation. Il dit deux choses, cependant. La première:

«A sa demande, j'ai essayé de lui faire une synthèse de la situation ecclésiale, au moins comme je la ressens. A la fin, il a dit seulement "Je ne peux que prier"».

Compte-rendu laconique. En apparence, il dit peu. Mais en réalité, il fait beaucoup réflécir quelqu'un qui lit entre les lignes (pas une seule allusion à Bergoglio).

PONTIFE SUPRÊME
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Il y a ensuite un autre passage qui surprend (pour le choix des termes) et qui laisse songeur. Messori écrit:

«Comme je m'inclinai devant lui pour lui baiser la main (comme le veut une tradition que je respecte, surtout lorsqu'on tente de déclasser le rôle et la figure du Pontife Suprême), Sa Sainteté m'a mis une main sur la tête, pour une bénédiction...».

De plus en plus de gens aujourd'hui se tournent vers lui, de tous les partis, mais lui ne regarde que vers le ciel.
Pour sauver l'unité de l'Eglise Bergoglio, aujourd'hui, aurait un moyen génial: inviter Ratzinger au Synode (mais pour parler, sinon ce serait se servir de lui) (*).
Après tout, c'est justement Bergoglio qui a dit du pape Benoît, que «ce serait mieux qu'il voie des gens, sorte et participe à la vie de l'Église»

Ce serait mieux pour tout le monde.

Antonio Socci

Note de traduction

(*) C'est justement l'initiative qu'a prise le très remarquable site de Piero Laporta, en lançant une pétition en ligne : www.pierolaporta.it/s-s-benedetto-xvi-pontefice-em/

A Sa Sainteté Benedict XVI, Pontife Émérite
Nous Vous supplions d’assister aux travaux du Synode des Évêques sur la famille.


Visiblement, cette pétition, qui part d'un execellent principe, a recueilli peu de signatures à ce jour.
La qualité du site n'est évidemment pas en cause, et certainement pas davantage l'indifférence à l'opinion ou à l'attitude du pape émérite.
J'interprèterai les réticences par le sentiment d'inutilité de la démarche. Mais aussi par le respect énorme qu'il inspire: presque personne n'oserait lui dire ce qu'il doit faire.
Et il semble qu'il ait lui-même répondu à la requête de Piero Laporta (si tant est qu'il en ait été informé): "je peux seulement prier" a-t-il dit à Vittorio Messori.