Amore Laetitia: la parole aux "simples"


Le curé madrilène de Carlota prête sa voix à son personnage (à peine) de fiction, la truculente Rafaela, qui s'est elle aussi plongée dans la lecture de l'exhortation apostolique (16/4/2016)

Ci-dessus, et plus bas: Perpetua, la servante du curé don Abbondio dans le roman de Manzoni, "I promessi Sposi"

Rafaela continue avec son catéchisme d’Astete (*)


14 avril 2016
Jorge González Guadalix
infocatolica.com/blog/cura.php
Traduction par Carlota


Cela commençait à m’étonner. En effet, d’habitude, quand il y a quelque chose de polémique ou quelque chose sur l’Église dont on parle à la télé, sous un prétexte quelconque, Rafaela prend son téléphone et m’appelle. Et là, apparemment rien du genre 'et comment vas-tu et tes neveux', pour ensuite poursuivre avec le traditionnel, 'au fait, je voulais te demander une petite chose'… Et c’est là que ça se complique.

J’attendais son appel dès samedi. C’est que nous nous connaissons plus encore que si elle était ma mère. Vendredi, « Amoris Laetitia » avait été présentée, la presse, la télévision, et ne parlons pas d’internet, donnant des ailes à l’affaire, et Rafaela, comme je m’en doutais, me téléphone, 'allo, curé, comment vas-tu'.

Depuis que son neveu lui a installé cet ordinateur connecté à internet, c’est une femme des plus informées. Elle me raconte qu’elle a même eu le courage de commencer à ingurgiter l’exhortation, et de la part d’une femme du peuple et de formation un peu juste, vous ne me refuserez pas de dire que c’est méritoire.

 

« D’abord - me dit-elle, après l’excuse de la santé et des choses habituelles -, pourquoi adresser le document à tous les fidèles, si après il n’y a personne qui le comprend. Parce qu’évidemment, moi je le lis et relis et c’est quasiment comme si c’était en latin, je reste tout aussi peu éclairée, et pourtant je peux presque te réciter le catéchisme d’Astete de mémoire. Crois-tu, curé, que les gens du commun comme moi, et je ne suis pas la plus bête du monde, comprendront ce que dit l’exhortation ?
- Eh bien, elle veut dire quelque chose… (c’est le prêtre qui parle).

« Non - insiste Raffaella - ils ne comprendront pas. Ces documents semblent avoir été écrits pour vous autres, et pour les quatre qui sont plus intelligents.
Et ce serait pas mal si tout le monde comprenait la même chose. Mais cela fait des jours que je lis ce qu’en disent les autres et là chacun comprend à sa manière. D’après la télévision, ceux qui vivent à la colle peuvent déjà communier. Les journaux le confirment plus encore. J’ai lu sur le site Internet où tu écris (infocatólica, ndt) qu’un évêque qui fait son autoritaire, il me semble aux Philippines, a dit qu’il ne fallait pas attendre : allez, tout le monde à la communion. Il y a des gens qui affirment qu’il n’en est rien, que tout continue comme toujours. D’autres disent, pas du tout, il faut ouvrir la main. Celui-là, qu’il y a miséricorde et ouverture, cet autre que, oui à la miséricorde, mais sans excès. Un autre encore qui dit que cela dépend, mais en vient un qui dit que cela ne dépend de rien et par contre l’affection oui, mais en ce qui concerne le sixième commandement (donc contre la luxure), c’est comme toujours.
Écoute, curé, au final j’en arrive à une conclusion. Moi Rafaela, et j’en ai parlé avec Joaquina et aussi avec la Marie, ce matin. Le catéchisme d’Astete se comprenait parfaitement. Coucher avec un homme qui n’était pas ton mari, c’était un péché mortel et point barre. Et maintenant, ce n’est pas que cela cesse d’être un péché, mais qu’il y ait au moins de la clarté. Maintenant c’est pire : parce que c’est ou ce n’est pas, ou c’est peut être, ou allez savoir, ou cela dépend du curé, ou des circonstances, ou de ce que tu voudras en comprendre, ou de ce que personnellement tu comprendras ou ne comprendras pas.
En résumé, ils viennent de nous faire cadeau d’un document, après je ne sais combien de réunions d’évêques à Rome, pour en arriver à la conclusion que cela dépend, mais je ne vois pas non plus clairement de quoi cela dépend. Pour une vieille bête comme moi, il n’y a pas besoin de prendre des gants. Alors, curé, le catéchisme d’Astete reste-t-il en vigueur ou peut-être est-il peu miséricordieux ?

- Rafaela, je t’ai écouté, à mon tour de parler.
« Oh, pardon, il me semble que mon mari m’appelle... et cette infection urinaire, ça va?
- Oui, Rafaela, très bien.
« Bon, je te rappelle...
- Rafaela…
« À demain… Et Astete, tu dis qu'on continue comme avant, n’est-ce pas ?
- Rafaela…
« À demain. (**)

 

NDT

(*) Astete : en référence à un petit livre de catéchisme qui était en usage en Espagne et sur la planète hispanophone jusqu’à il y a peu, au regard de l’histoire de l’Église (l’on en trouve encore d’occasion et même dans des éditions de la deuxième moitié du XXème siècle). Je pense que, comme en France, il a du être remplacé, depuis que l’enseignement du catéchisme a du être « contextualisé » (!!), par un livre de caté qui ressemblait plus à un guide touristique pluri-religions des Lieux Saints ! (Oui, je sais j’exagère…).

Bien sûr à l’époque du caté d’Astete, l’on apprenait encore par cœur quelques règles (en les comprenant, l’un ne va pas sans l’autre, chez les bons pédagogues). Ce catéchisme était l’œuvre d’un jésuite espagnol, Gaspar de Astete (1537-1601). Ordonné prêtre en 1571, le jésuite a publié en 1599 « Une doctrine chrétienne et des documents d’éducation » appelé ultérieurement « Catéchisme de la doctrine chrétienne » ou plus familièrement le catéchisme d’Astete ou l’Astete, un remarquable petit ouvrage, paru pour la première fois, en pleine époque où la Tunique du Christ était si malmenée avec le développement du calvinisme et du luthérianisme (sauf dans l’Espagne péninsulaire et d’Outre-Atlantique).

(**) Eh oui, c'est le quotidien d’un curé de terrain ! Qui en plus de sa mission auprès de ses fidèles doit désormais expliquer les textes romains, des textes qui n’ont malheureusement plus la clarté d’un catéchisme qui avait fait ses preuves pendant quatre siècles comme celui du P. Jésuite Astete!
Voir ici une très bonne illustration aussi du sacerdoce au quotidien, dans une petite vidéo diffusée à l’occasion de la journée de prière pour les vocations (17 avril 2016) et faite par l’archidiocèse de Madrid: (gloria.tv/video/jBUMM2jdr2U.

Le scénario : peu avant LE grand match de foot où l’Atlético de Madrid va affronter le Bayern de Munich, dans un Madrid déjà enfiévré (sauf les allergiques au foot !), plusieurs curés passionnés du ballon rond, - ils ont déjà mis autour du cou l’écharpe de leur équipe préférée-, s’apprêtent à passer une « petite soirée de repos » devant leur poste de télé ou leur ordinateur. Mais ils vont devoir changer leur programme pour répondre à leur mission, l’un ira baptiser un nouveau né dont les minutes sont peut-être comptées et réconforter la mère et la famille, d’autres iront soutenir des fidèles qui les appellent inquiets: l’arrivée d’un noir africain que personne ne comprend, une dame qui vient d’avoir un contact téléphonique avec un fils qui avait déserté le foyer familial depuis des années, des confessions qui dureront plus longtemps que prévues (une dame se confesse, l’on peut supposer d’un avortement ancien ; une adolescente se présente au confessionnal pour insulter le prêtre et l’Église).

Parmi les acteurs, de vrais prêtres, donc notre curé madrilène Jorge González Guadalix dans le rôle du Père Jacinto. Je n’ai pas le temps de retranscrire les dialogues, mais c’est vraiment une vidéo pleine d’authenticité et d’émotion, mais aussi de joie.