Dubbia: le cardinal Müller s'exprime




Le préfet de la CDF a accordé une interview à l'agence catholique autrichienne <Kath Press>: il ne pourra répondre que si le Pape lui en donne l'ordre... et pour le moment, donc, le Pape lui demande de rester silencieux. Commentaire de Riccardo Cascioli (3/12/2016)

 

L'interview est en accés payant. Mais un autre site en allemand, kath.net en proposait une synthèse, que Teresa a traduite en anglais. Depuis lors, l'information a été reprise par différents sites anglophones et italiens, dont hier celui de Marco Tosatti, et ce matin la Bussola, par Riccardo Cascioli.
Ce dernier va un peu au-delà du simple compte-rendu, lisant entre les lignes pour interpréter les intentions du préfet de la CDF - ce qui est toujours une démarche risquée (*): en cas de polémique trop vive, le cardinal Müller pourra, selon une pratique trop courante aujourd'hui, se retrancher derrière le prétexte d'une interprétation erronée de ses intentions, et il le fera à bon droit puisqu'il n'a rien prononcé d'explicite.
Je comprends certes que le "gardien de la doctrine" ne puisse pas aller plus loin, qu'il veuille "calmer le jeu" (un peu trop? en tout cas, au point que Teresa l'accuse de pratiquer le déni, lorsqu'il évoque par exemple le risque de polarisation, comme si cette polarisation n'existait pas déjà de facto, et à cause du pape!), et je conçois très bien que sa postion soit inconfortable (même si l'on pense à la symbolique de la pourpre cardinalice explicitée dans la formule 'usque ad sanguinis effusionem' d'imposition de la barrette - voir par exemple l'homélie de Benoît XVI lors de son second consistoire, le 24 novembre 2007), mais cela n'empêche pas que sa prudence, pour humaine qu'elle soit, m'inspire un certain malaise.

Le cardinal Müller affirme que le Vatican ne répondra pas aux DUBIA «pour éviter la polarisation»


1er décembre 2016
www.kath.net
Ma traduction, d'après la traduction en anglais de Teresa .

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Le Vatican ne répondra pas à la Lettre des Quatre Cardinaux demandant au pape de clarifier la question de la communion pour les divorcés remariés.

Le CDF agit et parle «avec l'autorité du pape» et «ne peut prendre parti dans une guerre d'opinion» qui «risque la polarisation», a déclaré le cardinal Müller dans une interview accordée jeudi 1er décembre à <kathpress> à Rome.

Müller a souligné que la lettre était adressée personnellement au pape qui, ajoute-t-il, pourrait cependant ordonner à la CDF de «régler le différend». La CDF est chargée de répondre à toutes les questions sur la doctrine et la pratique de l'Église.

L'absence de réponse du pape de à la Lettre des Quatre Cardinaux a été interprétée comme signifiant qu'il avait décidé de ne pas leur répondre du tout et qu'il souhaitait un débat ultérieur sur les DUBIA.

A propos des DUBIA sur Amoris laetitia, Müller a déclaré: «Pour l'instant, il est important pour nous tous de rester objectif, et de ne pas nous laisser polariser ou nous échauffer.

Sur le point le plus controversé, de savoir si Amoris laetitia permet la communion pour les divorcés remariés dans des cas «bien fondés», Müller n'a pas répondu directement. Mais il a souligné que le document ne devrait pas être interprété comme si les déclarations antérieures des papes et de la CDF sur cette question n'étaient plus valables.

Il a notamment cité la réponse officielle de la CDF à la lettre pastorale de trois évêques d'Allemagne du Sud en 1994 sur la communion pour les divorcés remariés, dans laquelle le cardinal Joseph Ratzinger, préfet du CDF rejetait la proposition des évêques de donner la communion au cas par cas.

L'indissolubilité du mariage doit être «la doctrine fondamentale inébranlable pour tout accompagnement pastoral», a dit Müller. Mais en même temps, a-t-il dit, le pape souhaite aider tous ceux dont le mariage et la famille sont en crise «à trouver un chemin en accord avec la volonté toujours miséricordieuse de Dieu».

Müller a également rejeté les rapports d'une prétendue (!!) «guerre des tranchées» au Vatican. Les rumeurs et les stéréotypes (!!) de «lutte de pouvoir dans les coulisses ... entre les réformateurs et les bagarreurs» montrent seulement une «mauvaise perception des catégories de pouvoir» (par qui?), étant donné que la lutte est pour «la victoire de la vérité et non le triomphe du pouvoir».

Les quatre cardinaux ne sont pas seuls.
Même Muller est avec eux


Riccardo Cascioli
www.lanuovabq.it (*)
3 décembre 2016
Ma traduction

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Et maintenant, le mot d'ordre est: «minimiser».
Nous voulons parler de l'effet explosif des propos du préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, Gerhard Ludwig Müller dans le débat sur Amoris Laetitia et les "dubia" des quatre cardinaux.
Dans une interview à l'agence autrichienne <Kathpress>, il explique qu'officiellement, la Congrégation ne prend aucune position, et le préfet invite même à ne pas polariser le débat, à ne pas élever le ton, mais en même temps, il indique clairement - dans les limites qui lui sont fixées par le rôle qu'il assume - ce qu'affirme la tradition de l'Eglise, à savoir que la communion pour les divorcés remariés est clairement exclue.
Et voilà qu'immédiatement, Vatican Insider [par la plume de l'inévitable et omniprésent courtisan en chef, qui n'en rate pas une!!] explique à ses lecteurs qu'il s'agit d'un «opinion personnelle», excluant ainsi à la racine toute valeur objective. La tentative aussi grossière que maladroite est de désamorcer une critique radicale de ce que certains ont appelé «hérésie kasperienne» . Mais si nous examinons l'interview, ce n'étaient certainement pas les intentions du Cardinal Müller.

Voyons donc ce qu'a vraiment dit le préfet de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi.
Avant tout, pourquoi la Congrégation n'a-t-elle pas répondu aux dubia bien qu'ils lui aient été adressées ainsi qu'au Pape? Parce que la Congrégation parle et agit «avec l'autorité du pape» et ne peut «prendre part aux différends». A ce propos, Müller voit «le danger d'une polarisation» et demande un débat objectif, sans «surchauffe». Traduction: le pape ne veut pas répondre, et par conséquent la Congrégation ne peut pas non plus le faire, mais les quatre cardinaux ont raison quand ils disent que silence est un feu vert pour ouvrir le débat. Et donc, que Kasper, le Père Spadaro et Avvenire se calment, le débat n'est pas clos comme ils le prétendent, mais il faut continuer la réflexion sur le contenu et non pas insulter ceux qui demandent la clarté.

Müller, donc, ne répond pas directement - il ne peut pas, comme nous l'avons vu - à la question sur la communion pour les divorcés remariés, mais sa réponse est malgré tout très significative: en tout cas, dit le cardinal, Amoris Laetitia «ne doit pas être interprétée en indiquant que les prises de position antérieures des papes et de la Congrégation pour la Doctrine de la foi ne sont plus valables». Il fait explicitement référence à la réponse officielle qu'en 1994, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi (dirigée par le cardinal Joseph Ratzinger) donna aux trois évêques allemands qui avaient annoncé dans une lettre pastorale l'intention d'admettre à la communion des divorcés remariés. Eh bien, la réponse fut que, bien que ces personnes ne soient pas exclues de la communion ecclésiale, elles ne peuvent cependant pas s'approcher de la Sainte Communion. Sans "si" ni "mais". Et au cas où il n'aurait pas été clair, le cardinal Müller souligne que «l'indissolubilité du mariage doit être le fondement doctrinal indéfectible de toute pastorale».

Tout le monde peut facilement comprendre que l'affirmation de la vérité sur le mariage et l'impossibilité de contredire ce qui a été clairement indiqué par les papes précédents ne sont nullement une opinion personnelle, ni que le cardinal Müller l'envisage ainsi. C'est au contraire une intervention lourde qui entend barrer la route aux innovations doctrinales fantaisistes, et qui suit deux jours après une intervention similaire du cardinal Robert Sarah, Préfet de la Congrégation pour le Culte Divin, lequel, toujours dans une interview, a déclaré que «l'Eglise toute entière a toujours été ferme sur le fait qu'on ne peut pas recevoir la communion quand on est conscient d'avoir commis un péché grave, principe qui a été confirmé définitivement par l'encyclique Ecclesia de Eucharistia de saint Jean-Paul II». Et au cas où ce ne serait pas clair, il a ajouté que «même pas un pape ne peut pas dissoudre cette loi divine."

Le cardinal Müller a expliqué un dernier élément: dans l'Église, a-t-il dit, il n'y a pas de lutte pour le pouvoir ou de lutte entre conservateurs et progressistes, comme beaucoup aiment l'affirmer, mais une bataille «pour la victoire de la vérité» [en fait "il ne devrait pas y avoir", mais dans l'Eglise-institution d'aujourd'hui, c'est pourtant le cas]. Cela, et seulement cela, peut effectivement être une opinion personnelle. Mais pour ce qui nous concerne, nous la partageons totalement.

Addendum


(*) Au moment où je mets en ligne cette traduction, après l'avoir relue pour corriger d'éventuelles coquilles, je constate avec surprise que l'article a disparu le site de La Bussola (mais on peut le trouver dans le cache de Chrome...)