Fact checking du Père Hunwicke



Quand François cite saint Augustin, hors-contexte: avec son humour inimitable et sa culture impressionnante, Father Hunwicke passe au crible l'homélie du Pape prononcée pour l'ouverture de la Porte Sainte de la Miséricorde (7/1/2016)

 

Le "fact checking" est une mode journalistique anglo-saxonne, que Father Hunwicke pratique ici - avec humour, mais aussi avec tout le respect dû! - sur l'homélie tenue par le Pape le 8 décembre dernier, à l'occasion de l'ouverture de la Porte Sainte de la Miséricorde (à laquelle assistait le Pape émérite...)
La citation de Saint Augustin ne doit évidemment rien au hasard, et on peut supposer que c'est un ghost-writer du Pape qui l'a placée là en hommage à Benoît XVI, et/ou pour souligner une continuité pourtant de moins en moins visible.
Il apparaît qu'elle a été détachée de son contexte, et ouvre sur des considérations relatives à la prédestination qui contredisent les intentions de François, ou au moins les dépassent (je précise que le débat théologique n'est pas de ma compétence!)
On aimerait évidemment connaître l'avis de Benoît XVI, sans doute le plus grand spécialiste vivant de Saint Augustin - comme le souligne Teresa, chez qui j'ai trouvé cet article.

Homélie lors de l'ouverture de la Porte Sainte


liturgicalnotes.blogspot.co.uk
15 décembre 2015
Ma traduction

* * *

«Que de tort est fait à Dieu et à sa grâce lorsqu’on affirme avant tout que les péchés sont punis par son jugement, sans mettre en avant au contraire qu’ils sont pardonnés par sa miséricorde!».
Cette déclaration de notre Saint-Père François, avec laquelle je ne me trouve aucunement en désaccord, est suivie par une suggestion que nous devrions aller regarder De Praedestinatione Sanctorum XII 24, de saint Augustin.
Obéissant à la plus infime suggestion de notre bien-aimé Saint-Père, j'ai dûment relevé ce locus chez saint Augustin d'Hippone. Et je suis resté quelque peu perplexe.
Il s'agit d'une discussion sur les points de vue des gens qui, à l'époque de saint Augustin, débattaient des destins très différent de ces bébés morts sans baptême, et ceux qui meurent baptisés. Il y avait, apparemment, ceux qui faisaient valoir que les bébés qui mouraient baptisés allaient au ciel 'parce que Dieu savait que, s'ils avaient vécu, ils auraient bien vécu'; les non baptisés allaient vers un sort différent 'parce que Dieu savait que s'ils avaient vécu, ils auraient mérité d'être condamnés'.
Je n'ai jamais rencontré qui que ce soit qui discutât de cette question ... se peut-il qu'il s'agisse d'un sujet de discussion courant chez ces types subtiles que sont les jésuites argentins? ... Et je n'arrive pas à voir le rapport avec l'année jubilaire de la Miséricorde. Et le Saint-Père croit-il vraiment que les bébés non baptisés vont en Enfer? Même au cours d'une année de miséricorde? Singulière idée à exposer d'une tribune.

J'ai remarqué un passage voisin (VI 11) dans lequel saint Augustin amène et juxtapose la Miséricorde et le Jugement, dans une discussion sur les destins différents de ces Juifs qui refusent l'Evangile et des Juifs, plutôt moins nombreux, qui l'acceptent. Sa discussion est basée sur une exégèse minutieuse de la Lettre [de saint Paul] aux Romains (11: 5-10). Saint Augustin conclut: «Tels sont la Miséricorde et le Jugement ... Miséricorde envers l'Élection [= les juifs qui, choisis par Dieu, acceptent l'Évangile] qui a reçu la justice de Dieu; mais Jugement pour le reste [Juifs incrédules] qui ont été aveuglés».
«Aveuglés» est un thème que saint Paul avait déployé plus tôt dans sa vie quand il avait débattu de l'incrédulité juive dans la seconde lettre aux Corinthiens (2: 7-18); et l'idée que ceux qui ont rejeté l'Evangile ont été délibérément aveuglés par Dieu, afin que «voyant ils ne voient point ... de peur qu'ils ne se convertissent et qu'il soient pardonnés» [1], renvoie sans doute à l'enseignement du Seigneur lui-même comme rapporté dans Marc 4: 11-12.

Se pourrait-il que ce soit CELA, l'enseignement de saint Augustin que le Souverain Pontife avait à l'esprit?

Quel pape courageux! Les pontifes modernes qui choisissent de traiter les problèmes philosophiques et théologiques de la prédestination sont peu nombreux. Et moi-même, je ne prêche pas souvent sur ce sujet. Peut-être une autre année sainte, après l'actuelle? Une année jubilaire de la prédestination? Avec des indulgences spéciales pour les calvinistes (2)? Elle pourrait être célébrée avec un double Porte Sainte; une entrée pour ceux prédestinés au ciel, l'autre pour ceux prédestinés à l'enfer. Des Confessarii spécialement nommés par le Pontife Romain pourrait être là pour dire à chacun dans quelle catégorie il se trouve. Je parie que la foule affluerait!! Wow!

NDT

[1] Lorsqu'il fut en particulier, ceux qui l'entouraient avec les douze l'interrogèrent sur les paraboles. Il leur dit : C'est à vous qu'a été donné le mystère du royaume de Dieu; mais pour ceux qui sont dehors tout se passe en paraboles, afin qu'en voyant ils voient et n'aperçoivent point, et qu'en entendant ils entendent et ne comprennent point, de peur qu'ils ne se convertissent, et que les péchés ne leur soient pardonnés (www.enseignemoi.com/bible/marc-4).

[2] La prédestination est un concept théologique selon lequel Dieu, aurait choisi de toute éternité, et secrètement, ceux qui seront graciés et auront droit à la vie éternelle.
On parle de « double prédestination » dans les doctrines, calviniste notamment, qui ajoutent que Dieu aurait choisi de toute éternité également ceux qui seront damnés. (fr.wikipedia.org/wiki/Prédestination )