La liste de Tornielli (II)


Parmi les premières réactions à l'article surréaliste du vaticaniste préféré des "fans de Bergoglio", celle de François Colafemmina de retour sur son blog 'Fides et Forma' est de loin la plus intéressante. Il nous offre la pièce (presque) ultime d'un puzzle qui se construit depuis 31 mois. A nous de la placer (18/10/2016)

>>> La liste de Tornielli (I)

 

Francesco Colafemmina ne nomme pas ses deux cibles (sans doute à dessein, et ce n'est donc pas moi qui le ferai ici): le vaticaniste rencontré en 2010, et "l'ami de la Lettonie", bien que leur identité soit transparente, surtout pour le premier. Pour le second, je laisse le lecteur intéressé faire ses propres recherches.
Mais il ose dire tout haut ce que ceux qui comme moi s'interrogent sur le consensus médiatique dont jouit François, et en particulier sur le rôle de "Vatican Insider" pensent tout bas. Pour ma part, cela remonte à ce jour lointain du 17 mars 2013, où j'ai vu avec une certaine perplexité ... le célèbre vaticaniste saluer longuement le nouveau pape après la messe célébrée à la Paroisse Sainte-Anne, au Vatican (https://youtu.be/2P7zdzyY7GU?t=3m40s).

Vatikan-Pravda


16 avril 2016
www.fidesetforma.com
Ma traduction

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Je me souviens encore d'une conversation avec un ami vaticaniste aujourd'hui embedded parmi les troupes en défense de Bergoglio. C'était en 2011 ou peut-être en 2010. Je lui donnais un soutien limité pour la rédaction d'un livre consacré à la guerre interne au Vatican - mais pas seulement - déchaînée contre Benoît XVI. Il me parlait du projet d'une plate-forme d'information qui serait mise en place par un célèbre journal et à laquelle il participerait. Je vous avoue qu'à l'époque, je ne compris pas bien le sens de l'opération. De nombreuses expériences de ce genre, même soutenues par des signatures célèbres, s'étaient révélées d'authentiques flops. Pourquoi un journal national aurait-il dû investir sur un portail multilingue dédié à l'Eglise catholique, cette institution si marginale et controversée?

Après presque six ans maintenant, le projet me paraît de plus en plus clair.
Les mails de John Podesta (cf. Vers un Printemps catholique?), directeur de campagne de Clinton, révélés par Wikileaks nous aident à comprendre. Dans un mail du 11 Février 2012, exactement un an avant la démission de Benoît XVI, Podesta répond à l'activiste Sandy Newman qui invoquait un «printemps catholique» pour surmonter «la dictature moyennâgeuse» de la hiérarchie catholique. Il le fait, en prétendant avoir créé deux mouvements catholiques «progressistes» , mais qui étaient de fait portés à un nouveau niveau de pression.

De la même manière, on peut penser que le projet éditorial on line visait à créer la caisse de résonnance médiatique à sens unique ad hoc du pontificat qui devait suivre celui «obscurantiste» de Benoît. Le fait important, c'est que grâce au ciel, nous comprenons jour après jour que cette fonction de pression médiatique n'est pas strictement liée aux faits de l'Eglise, mais à une dimension géopolitique dont l'Eglise, celle de Bergoglio, est un instrument et certainement pas le protagoniste (un acteur de premier plan).

Aujourd'hui, avec un article digne de la Pravda, ce journal présente à ses lecteurs l'équation «catholique traditionaliste» = «ennemi de Bergoglio» = «ami de Poutine». En vérité, le titre sur la version papier du journal est emblématique: «LES CATHOLIQUES ANTI-FRANÇOIS ATTIRÉ PAR LE POUVOIR DE POUTINE». Une prémisse fondamentale, parce que l'idée de base, c'est que ce qui attire ces catholiques, ce n'est pas l'homme d'état Poutine et sa vision géopolitique, mais son «pouvoir». En d'autres termes, en fin de compte, c'est toujours la faute de Poutine, le dictateur parfait, l'homme tyrannique qui respire la puissance, l'ennemi de la démocratie, homophobe et intolérant, le riche ami de magnats russes et ainsi de suite. L'auteur de cette association dont on trouve seulement une référence fugace à la fin de l'article bien que le titre laisse supposer qu'il est le principal argument de la pseudo-enquête, est un sociologue bien connu, ami des Républiques baltes, qui ces derniers temps tente de de refaire une beauté en relançant la russophobie et grâce à ses liens avec le monde néo-conservateur américain.

Laissant de côté le venin de l'ami de la Lettonie, dont les sentences sont clairement inattaquables dans leur authenticité et leur confiance en soi, disons que l'article passe au tamis avec une méticulosité scientifique les «dissidents», en fait les authentiques «ennemis», les «adversaires» de Bergoglio. Cela va du vaticaniste «émérite» de l'Espresso, Sandro Magister, au professeur De Mattei, en passant par Antonio Socci et beaucoup d'autres dont on cite nom et prénom, dans une sorte de liste de proscription médiatique dignes du souvenir de Sylla.

C'est la démonstration plastique de la guerre future. Non pas simplement un conflit entre la Russie et les Etats-Unis, mais un conflit entre la bulle idéologique d'un occident privé d'identité, de racines, de références éthiques non négociables, et tous les pays qui, au contraire, défendent et promeuvent leur identité, leurs racines, leurs propres valeurs. La Russie est un exemple emblématique en ce sens, et un exemple proche de nous, parce que nous parlons d'une nation chrétienne. Mais la Russie constitue également un modèle de co-existence des diversités culturelles et religieuse. Un modèle opposé à celui de l'échec des intégrations forcées en France, en Allemagne et en Grande-Bretagne. La Russie est au centre du viseur tout simplement parce qu'elle est la seule puissance antagoniste à la vision unipolaire américaine.

Quoi qu'il en soit, l'utilisation du journalisme pour marginaliser, ghettoïser, criminaliser les minorités évidemment gênantes, qui ne se conforment pas au consensus inconditionnel envers Bergoglio, est sans précédent. Elle est sans précédent, surtout si nous pensons à la soi-disant église de la miséricorde, dont le vrai visage se manifeste dans la Vengeance et dans la Perfidie. Elle est sans précédent parce que cette utilisation de la presse à des fins géopolitiques, dans le but ultime d'annuler toute liberté d'expression, en ridiculisant la dissidence, montre pleinement quel pouvoir le journalisme sert.

Un journalisme hystérique qui toutefois utilise des méthodes assez puériles pour déclassifier au niveau de simple exaltation borderline une dissidence variée et souvent bien fondée: associer les sédévacantistes aux «ultratraditionalistes», attribuer une «salle de contrôle» à De Mattei, émettre l'hypothèse de la participation des cardinaux et d'une fronde politico-théologique, pour finir par les financement présumés reçus de la Russie, c'est écrire l'intrigue d'un roman de Joseph Thornborn, certainement pas faire du journalisme. De même, il est ridicule que cette «opposition» soit taxée d'occidentalisme par un professeur de la Cattolica (l'Université catholique), quand elle est ensuite accusée d'être attirée «par le pouvoir de Poutine». Il y a la volonté de créer un minestrone mauvais et scélérat pour y mettre tous et tout, associant la dissidence à Bergoglio à chaque élément de disqualification sociale: traditionalisme, Liguisme, sédévacantisme, ultratraditionalisme, ésotérisme, hypertraditionalisme, ultraprogressisme, Poutinisme. Tous concepts utilisés dans l'article, authentique manifeste de la police de la pensée du nouveau régime vatican.

Une attaque similaire avec une violence aussi puissante semblerait presque une expression de la volonté de réduire au silence et priver définitivement de la plus minime autorité toute dissidence, non pas, certes, avec Bergoglio et son église en sortie. La dissidence à réduire au silence est celle contre la bulle idéologique d'un Occident asservi à la religion du politiquement correct. La dissidence contre l'abattement des frontières éthiques, ethniques, culturelles, spirituelles, entre les peuples, qui doivent être asservis à un unique paradigme universel. Il est clair que si l'Église devient le moteur de cette vision d'homogénéisation globale, il faut lui donner un coup de main, faire taire les dissidents internes.

Il fallait naturellement s'y attendre. En Novembre 2013, j'avais publié [ma traduction ici: benoit-et-moi.fr/2013-III] des extraits d'un livre très intéressant du Père Malachi Martin [l'auteur de l'extraordinaire Windswept House] sur l'Eglise et ses perpectives géopolitique. En particulier ceci:

«La réduction du Pape dans son haut Office, sera le résultat que la conviction que l'Office pétrinien et papal originel, tel que pratiqué par les papes romains jusqu'au dernier tiers du XXe siècle, n'est rien d'autre que le résultat conditionné par le temps de modes culturelles qui se prolongent derrière nous depuis des siècles; et qu'il est désormais temps d'en dégrader l'importance pour pouvoir libérer "l'esprit de Vatican II", pour modeler l'Eglise dans une image qui soit adaptée à la conception progressiste d'une époque nouvelle et très différente de celle qui précède.
Les catholiques verront alors le spectacle d'un Pape validement élu qui séparera le corps entier de l'Eglise, détaché de sa traditionnelle unité apostolique orienté vers la papauté, que l'Eglise avait jusqu'alors cru d'institution divine.
Le frisson qui secouera le corps de l'Eglise Catholique en ces jours sera le frisson de son agonie. Parce que ses peines viendront de son intérieur, orchestrées par ses leaders et par ses membres. Aucun ennemi extérieur n'aura amené à cette situation. Beaucoup accepteront le nouveau régime. Beaucoup résisteront. Tous seront divisés. Personne ne pourra plus maintenir ensemble sur la terre les membres épars du corps visible de l'Eglise catholique comme si elle était une organisation vivante compacte»
(Malachi Martin, The Keys of This Blood, Simon and Schuster, 1990.)